lundi 31 octobre 2011

Mon Top Ten des parfums de l'automne



(To read in English, click here.)

Pour varier notre rituel du Top Ten saisonnier, mes consœurs américaines ont proposé un thème Halloween. Cette fête anglo-saxonne n’a jamais vraiment pris en France malgré les efforts des marchands du temple : aussi y a-t-il plus de vingt ans que je n’ai pas vu un gamin déguisé en vampire se présenter au pas de ma porte, bave aux crocs, pour réclamer des bonbons. Je me souviens tout de même du mélange de plaisir et de déception éprouvés chaque 31 octobre quand j’étais petite. Plaisir d’inventer mon déguisement. Déception qu’il ne me transforme pas vraiment en super-héros ou en danseuse andalouse…
D’une certaine manière, mon amour des parfums relève peut-être en partie de ce amour du déguisement : invisible, certes, mais capable de me transporter vers d’autres personnages. De quoi faire la joie de la petite fille que je n’ai jamais cessé d’être. Chacun de mes parfums est une vie parallèle.

Voici donc ce que je porterais si je me déguisais…

En fantôme du glamour d’antan: Mon Parfum Chéri, hommage de Camille Goutal et d’Isabelle Doyen aux grands chypres fruités, a la splendeur d’une robe du soir vintage exhumée, démantelée et rassemblée par une petite fille qui préférerait l’alcool de prune de mamie aux bonbons Haribo.

En réplicante : Philippe K. Dick se demandait si les androïdes rêvaient de moutons électriques. On pourrait également se demander s’ils se font la cour en s’offrant des fleurs synthétiques. Le nouveau parfum Comme des Garçons d’Antoine Lie et Antoine Maisondieu colle de subversives odeurs industrielles au charme nostalgique d’un bouquet de lilas et de pois de senteur. Manque plus que Rutger Hauer à mon bonheur.

En déesse hindoue : Le Trayee de Bertrand Duchaufour pour Neela Vermeire Créations, c’est des coups à vous donner envie d’avoir six bras comme Kali, donc six poignets à vaporiser de cet élixir profond, résineux, fumé, épicé, qui fond sur la peau comme un baume.

En faunesse : Onda de Vero Kern, désormais en version eau de parfum, attire sa potion de sauvagesse hors des bois en tempérant les notes animales, remplacées par un fruit de la passion aux notes encore un peu diaboliques puisqu’elles sont soufrées. Une touche de l’extrait entre les cornes, tout de même. Désormais disponible chez Jovoy, hourrah !

En diablesse : Plume d’oie et parchemin glissé sous le smoking au cas où une âme se propose à l’achat, coiffée d’un haut de forme à la Marlène Dietrich, la diablesse s’inonde du Patchouli Impérial ultra-raffiné et pourtant animal de François Demachy pour Dior, assombri par l’ambre et la civette.

En fée : Forcément le Baiser Volé de Mathilde Laurent pour Cartier, inspiré par la Fée de Lilas coquette et capricieuse de Delphine Seyrig dans Peau d’âne : tant qu’à faire la fée, autant jouer du lys nimbé de poudre de riz que des paillettes girly.

En sultane : Mais façon Paul Poiret ou Ballets Russes, arrosée d’une liqueur de fruits secs – datte et prune – relevée d’un cocktail d’épices aphrodisiaques. L’Aziyadé de Marc-Antoine Corticchiato pour Parfum d’Empire, c’est un peu Femme revu par Constantinople.

En truffe au chocolat : Rien qu’à dire Angel eau de parfum sublimée de cacao amer, on a la bouche qui colle. Et comme sa sœur Alien eau de parfum sublimé de beurre de caramel salé, cet Angel cacaoté est d’une telle puissance et d’une telle ténacité qu’il devrait être vendu avec un rendez-vous chez l’exorciste. Un parfum qui, littéralement, vous hantera des jours entiers.

En rose bonbon : Le Candy de Daniela Andrier pour Prada, c’est le caramel le plus chic après celui des macarons de Pierre Hermé, mais en fait, malgré ses atours rose shocking, c’est surtout un parfum délicat de musc et de benjoin que je trouve very irrésistible.

En Cendrillon au potiron : Phaedon, la nouvelle marque produite – mais non composée, à part deux parfums – par Pierre Guillaume, était présentée la semaine dernière chez Sens Unique. Pierre m’a fait sentir une bougie assez délicieuse appelée Carrosse, manifestement celui de Cendrillon après transformation car il affiche une note citrouille extrêmement réaliste, donc parfaite pour Halloween. Les souris ne sont pas comprises.

Et maintenant, à vous : comment vous déguiseriez-vous pour Halloween, et quel parfum porteriez-vous pour entrer dans votre personnage ?

Pour d’autres Top Ten (en anglais), voyez :


My Top Ten Perfumes for Fall 2011: The Halloween Edition



A few years ago, the retail industry tried to promote Halloween in France, but it never quite caught on. So it’s been decades since I caught the sight of a trick-or-treater. I do, however, remember the combination of fun and disappointment of the few Halloweens where I went out in disguise. The fun was thinking up the costume. The disappointment was that it never actually transformed me into a superhero or a Gipsy dancer.
Part of the pleasure of perfumes is slipping on different personas, invisible disguises that send my inner little girl into raptures.
So this is what I’d wear if I wanted to dress up as…

The Ghost of Glamour Past: Mon Parfum Chéri, Camille Goutal and Isabelle Doyen’s tribute to old-style chypres, has the earthy glory of a vintage gown exhumed, torn apart and reassembled by a little girl on a sugar high.

A Replicant: If androids dream of electric sheep, do they woo each other with packing tape flowers? Comme des Garçons’ “New Perfume” by Antoine Lie and Antoine Maisondieu grafts subversive industrial smells on the nostalgic charm of a lilac and sweet pea bouquet.

A Hindu Goddess: You’d want six arms too, just to douse yourself in Trayee, Bertrand Duchaufour’s take on the scents of Vedic India for Neela Vermeire Créations. A deep, smoky, spicy, resinous potion which develops balsamic, arm-licking facets.

A Fauness: Vero Kern’s Onda in eau de parfum takes her dirty, bawdy, foresty brew into ever so slightly more civilized territory, with the animal notes toned down and replaced by passion fruit, which adds its touch of raspy, sulfurous devilry. But I’d add a dab of the parfum between my horns.

The Devil: An urbane creature with a quill pen and parchment for you to sign away you soul, the Devil sports Marlene Dietrich top hat and tails, and wafts François Demachy’s ultra-refined, yet troublingly animalic Patchouli Impérial for Dior Collection Privée, a modern take on Bois des Iles dipped in civet and amber.

A Fairy: Obviously, Mathilde Laurent’s Baiser Volé, conceived with a flighty, coquette but iron-willed fairy in mind: a confidently femme lily in a cloud of face powder rather than a wimpy sprite sprinkled with fairy dust.

A Sultana: With a, Ballets Russes Scheherazade get-up, I’d spray on Marc-Antoine Corticchiato’s vivid brew of candied fruit – date and prune – macerated in booze and aphrodisiac spices. Aziyadé for Parfum d’Empire is Femme gone full-on native in Constantinople.

A chocolate-drunk trick-or-treater: Thierry Mugler’s new Angel eau de parfum sublimée de cacao amer isn’t just a mouthful to ask for at the counter. It's like being sprayed with Angel before being rolled in cocoa powder. And it is possibly, with its sister Alien eau de parfum sublimée de beurre de caramel sale (that’s “salty caramel butter”), a fragrance that should be sold along with wooden stake or an exorcist's book. Delightful, but it'll haunt you for days.

A hot pink trick-or-treater on a candy high: Daniela Andrier’s Candy for Prada, obviously, the chicest take on the note this side of Pierre Hermé’s crème caramel au beurre sale, and really actually a delicate benzoin and musk scent. Despite the girly trappings, I find it very irrésistible.

Cinderella in her pumpkin carriage: Phaedon, the new brand produced – but not composed, except for two scents -- by Pierre Guillaume, was presented last week at Sens Unique, a new multi-brand niche store in Paris. He made me sniff a rather delicious candle called Carrosse, a vividly realistic pumpkin and orange blossom accord, whose name means “carriage” and is clearly meant as an allusion to Cinderella’s vehicle of choice. Mice not included.

And now, on to you: If you were to wear a disguise today, what would it be? And what perfume would you wear to immerse yourself in your character?


For more Top Tens, check out the usual suspects:

vendredi 28 octobre 2011

Can perfumes be legally protected? Debate at the Société Française des Parfumeurs



When you speak to “civilians” about perfume, they are usually astonished to find out that formulas aren’t protected by law and can therefore be unrestrainedly copied, twisted and otherwise modified without the assent of their authors.
Of course, knock-offs have always existed: before the widespread use of technologies like gas chromatography, mass spectrometry and headspace analysis, perfumers reproduced the competition’s stuff “by nose” (it is still part of their apprenticeship). The advent of the aforementioned technology has just made the copycats' task easier.

So how can the perfume industry protect itself from copycats and counterfeiters? How can it legally protect perfume formulas? And what impact could legal protection have on the industry, when many products are “twists” (i.e. reproduction of a formula with some of the notes changed) or “remixes” (accords plucked from different products)? When does “inspiration” stop and copying start?

The debate organised on October 20th by the Société Française des Parfumeurs was an attempt to lay those problems flat. Interestingly, attendance was untypically sparse for an SFP conference. No representative of a major player was willing to participate in the panel; the perfumers in attendance, at least those I recognized, were all either retired or independents like Osmothèque president Patricia de Nicolaï. The panel, chaired by the industry journalist Sabine Chabbert, was composed of Maître Emmanuelle Hoffman (a lawyer specialized in intellectual property), Frédéric Beaulieu (owner of Millenium Fragrances and administrator of the Syndicat Français de la Parfumerie), Bernard Marionnaud (founder of the eponymous chain of perfumeries and consultant of the French Prime Minister on matters of perfume counterfeiting), Jacques Vaillant (ISIPCA teacher) and Pierre Nuyens (perfumer and board member of the SFP).

Maître Hoffman told us about the different protection mechanisms in French law:
1)      The patent covers inventions with industrial applications, but it is publicly accessible and expires after 20 years. For these two reasons it is not applicable to perfume formulas, especially since many fragrances are produced for more than two decades.
2)      Trademark protection covers visual material and excludes chemical formulas, verbal descriptions and deposit of samples. So: no good.
3)      Copyright protection seems to be the only solution, since the list of eligible works, though it does not include perfume, is non-comprehensive and includes the wonderful little adverb notamment, “notably”, which means that although it does not mention works perceptible by the sense of smell, it does not explicitly exclude them.

However, as I remarked in another post, the French Cour de cassation (final court of appeals) ruled in 2006 that perfume formulas were “simple implementations of know-how” and could not be considered as oeuvres de l’esprit, “creative work” characterized by its originality.
Maître Hoffman did underline that this judgment had been disputed in several instances by juges du fond (judges ruling on the merits of a case), most recently on December 10th 2010 by the court of appeal of Aix-en-Provence, who found that “works perceptible by the sense of smell” could not on principle be excluded from protection under copyright laws.

This, of course, raises many vexing issues which were discussed during the Q/A session. For instance:
 If Chanel decides to put out N°5 Eau Première, must it first apply for authorization to Ernest Beaux’s estate, since an author or his estate have moral rights to N°5?
Who would detain the copyright if a perfume were a collective work, for instance when a perfumer, creative director and designer were all involved in the conception? Should the copyright be owned by the brand?
What happens when a client-brand “repatriates” a product whose formula was conceived by a composition house, even if it introduces small variations?
What of reformulations imposed by changes in regulations or raw material availability?
And finally, how are the limits established between a product that was “inspired” by a previous one, a perfectly legitimate practise, and a copy? What are the criteria – two accords? Three?

Neither the big labs nor their client brands really want to go there, as strictly applying such a copyright law would probably empty three-quarter of the aisles: it is unimaginable, in the present state of the industry, for companies to start suing each other unless the copy is absolutely flagrant, as it was in the case opposing Thierry Mugler to Molinard, which had turned its Nirmala into a copy of Angel, and Clarins, owner of the Mugler license, could argue for unfair competition.
It’ll probably be a long time before perfume formulas enjoy some sort of legal protection, and the effort will involve strenuous lobbying at the French and European levels. What seems like a basic right in the case of musicians, painters or writers, and would protect perfumers’ brainchildren as well as ensure their children’s futures (should their perfume prove successful), is a long way off. The legal apparatus will probably be conceived first and foremost to protect brands from counterfeit products (fakes perfumes represent 10% of the counterfeit market), which represents a huge economic loss but also also a potential sanitary risk.

The meeting concluded with a unanimously voted motion proposed by SFP chairman Patrick Saint-Yves to set up a new panel to discuss the copyright issue more specifically. One hopes that the major players of the industry will take up the challenge of discussing this awkward issue.

Les parfums peuvent-ils être protégés par la loi ? Table ronde à la SFP


Lorsqu’on parle de parfums aux « civils », ils sont en général stupéfaits d’apprendre que leurs formules ne bénéficient d’aucune protection juridique et qu’elles peuvent donc être quasi-impunément copiées en tout ou partie, ou autrement modifiées sans l’assentiment de leurs auteurs.

Bien sûr, copies et imitations ont toujours existé : avant que des technologies comme la chromatographie en phase gazeuse, la spectrométrie de masse et l’analyse headspace se soient répandues, les parfumeurs reproduisaient « au pif » (cela fait d’ailleurs toujours partie de leur processus d’apprentissage). L’arrivée de la technologie susmentionnée a simplement rendu le boulot des copistes plus aisé.

Comment l’industrie du parfum peut-elle alors se protéger des plagiats et des contrefaçons ? Comment protéger juridiquement ses formules ? Et quel impact une telle protection juridique aurait-elle sur une industrie qui produit un tsunami de « twists » (formules reprises avec certaines modifications) et de « remix » (accords piqués à différents produits et combinés) ? Où s’arrête « l’inspiration » (légitime), où commence le plagiat ?

La table ronde organisée le 20 octobre par la Société Française des Parfumeurs a tenté de mettre à plat certains de ces problèmes. Ce sont, manifestement, des questions qui fâchent : dans l’assistance, pas aussi nombreuse que d’habitude pour les conférences de la SFP, on comptait fort peu, à ma connaissance, de représentants des grandes sociétés de composition, parfumeurs ou autres. 
 Le panel, animé par la journaliste Sabine Chabbert, était composé de Maître Emmanuelle Hoffman (spécialiste de la propriété intellectuelle), Frédéric Beaulieu (propriétaire de Millenium Fragrances qui produit des parfums sans alcool pour petits enfants, et administrateur du Syndicat Français de la Parfumerie), Bernard Marionnaud (fondateur de la chaîne éponyme et consultant auprès du premier ministre sur les problèmes de contrefaçon en parfumerie), Jacques Vaillant (professeur à l’ISIPCA) et Bruno Nuyens (parfumeur).

Maître Hoffman a tracé les grandes lignes des mécanismes de protection proposés par la loi :
1)      Le brevet, qui présente le double inconvénient d’être public, et de n’être valable que pour une durée de vingt ans, et n’est donc pas envisageable, notamment parce que certains parfums ont une durée de vie commerciale bien supérieure à deux décennies.
2)      Le droit des marques, qui malheureusement s’applique exclusivement aux représentations graphiques et non aux formules chimiques, descriptions écrites ou dépôts d’échantillons.
3)      Le droit d’auteur, valide pendant 70 ans après la mort de l’auteur, constituerait le seul recours envisageable car la liste des œuvres de l'esprit susceptibles d’être protégées est non-exhaustive (le merveilleux petit adverbe « notamment » y pourvoit) et pourrait donc inclure celles perceptibles par l'odorat.

Cependant, comme je le soulignais dans un autre article, la Cour de Cassation a statué en 2006 que la formule d’un parfum étant « la mise en œuvre d’un savoir-faire », elle ne saurait être protégée au titre d’œuvre de l’esprit.
Maître Hoffman a cependant souligné une résistance de la part des juges du fond, qui en quelques instances – le plus récemment à la Cour d’Appel d’Aix-en-Provence le 10 décembre 2010 – ont estimé que des « œuvres perceptibles par l’odorat » ne pouvaient, en principe, être exclues de la protection au titre des droits d’auteur.

Avancée encourageante, certes, mais qui pourrait rencontrer bien des résistances au sein de l’industrie, désireuse de se défendre de la contrefaçon qui lui fait perdre des millions, mais extrêmement méfiante sur la question des droits d’auteur, véritable sac de nœuds dont certains ont été repérés au cours de la discussion. Par exemple :
Si le parfum était protégé par un droit d’auteur, Chanel, en lançant son N°5 Eau Première, devrait-il demander l’autorisation (et le cas échéant reverser des droits) aux ayants-droits d’Ernest Beaux, qui pourraient par ailleurs exercer un droit moral sur son œuvre et refuser cette variation ?
Qui détient les droits d’auteur d’un parfum conçu par une équipe – parfumeur, directeur de création, créateur de mode ? Ce groupe de personnes, au titre d’auteur collectif ? Ou serait-il plus utile d’accord le statut d’auteur à la marque ?
Que se passe-t-il lorsqu’un metteur sur le marché « rapatrie » une formule créée par une maison de composition, quitte à la modifier un peu ?
Quid des reformulations rendues nécessaires par l’évolution des réglementations ou la disparition de certaines matières premières ?
Et enfin, sur quels critères protège-t-on une œuvre olfactive ? La formule, sachant qu'on peut obtenir des résultats olfactifs très similaires avec des formules sensiblement différentes ? L’effet olfactif rendu par le headspace, même si la formule n’est pas identique ? Combien d’accords caractéristiques et originaux doivent-ils être repris pour qu’on juge qu’il s’agit d’un plagiat ?
Jacques Vaillant, sur ce point, faisait remarquer que par exemple, des parfumeurs pouvaient distinguer des différences entre deux produits que des clients ne percevraient pas, et penchait pour des panels mixtes professionnels/consommateurs, soutenus par une combinaison de différentes techniques d’analyse dont le nez électronique et le headspace.

Qu’on imagine une stricte application de la protection des parfums au titre de droit d’auteur : quelle proportion des rayons serait-elle décimée ? On ne voit pas très bien non plus marques et maisons de composition s’engager sur la voie des procès car en l’état, on n’en sortirait jamais. Pour un Thierry Mugler obtenant gain de cause contre Molinard car on a pu démontrer que Nirmala était à l’origine un tout autre parfum, d’une part, et que d’autre part les consommatrices le confondaient bien systématiquement avec Angel, combien de flous artistiques qu’il vaudrait mieux maintenir sous peine de voir l’industrie s’effondrer ?
Il est certes moins compliqué, bien que ce soit diaboliquement difficile, de s’attaquer aux contrefacteurs purs et simples (comme le faisait remarquer Sabine Chabbert, « les Chinois ont bon dos ») que d’aborder la délicate question du parfum comme œuvre de l’esprit.

Ce thème du droit d’auteur sera néanmoins abordé dans une prochaine conférence de la SFP, après un vote unanime de la salle sur proposition du président Patrick Saint-Yves. On espère que cette fois, les grandes maisons se prêteront au débat.

mardi 25 octobre 2011

Comme des Garçons: Industrial Flower



(Pour lire en français, cliquez)

Rei Kawakubo doesn’t like flowers. At least, not in a bottle. Which is why you’d be hard-pressed to find florals in the nearly 60-strong Comme des Garçons Parfums oeuvre, apart from Champaca and Daphne (the latter, tailor-made to Ms. Guinness’s tastes, doesn’t really count). 

But an artificial flower? A flower made out of packing tape? “A fragrance that couldn’t exist in a bottle that shouldn’t exist” sounded just about right for the designer who has introduced provocative dyssymetry in fashion and has always courted the beauty of the accident. “Who has the right to decide what should be rejected?” states the press release. Hence the misshapen, blobby bottle, modelled after rejects from glass factories, made out of purposely cheap, bubble-shot glass; a monster that can’t even stand upright, presented in a humble white cardboard box.


Displaying the beauty of the accident, of the ugly bits sticking out, of modern man-made smells, has long been part of Comme des Garçon Parfums’ aesthetic stance, epitomized by Odeur 53, Odeur 71 and the Synthetic series. In fact, the house’s creative director Christian Astuguevieille is prone to asking the perfumers he works with to mess up too-pretty formulas; to strip bare “defects” in raw materials that are usually covered up.

Being the project manager in charge of the Comme account at Givaudan must be a hoot. You’re asked by Astuguevieille to work on stuff like the smell of a squished ping-pong ball, a pebble or a supermarket cashier with her lipstick askew. At any moment, there are between fifteen and twenty ideas under development, from which to draw for new compositions. Perfumers are “cast” according to their interests and affinities with the concepts. In the case of the slightly confusingly named “Comme des Garçons”, the brief landed on Antoine Lie’s desk. After the senior perfumer left Givaudan for new ventures, the composition was worked on by his frequent partner-in-scent Antoine Maisondieu. 

The result is truly a hybrid between a flower and an industrial product, cross-bred so that molecules that are actually present in flowers produce synthetic effects. The maturation period of the oil (the time in which the raw materials continue their chemical reactions) was actually reduced to two weeks so that the rough bits would stand out more vividly. Thus, the faintly metallic, almost blood-like facets of aldehydes are left raw-edged in the opening notes, an effect reinforced by geranium and rose oxides (the latter is what gave Calandre and Rive Gauche their odd, diesel-fume modernity).
Similarly, paracresol, already present in many flowers (jasmine, narcissus, lilac…) can be used to produce leathery-rubbery-medicinal effects. Safraléine, also used for leather effects, and styrax, not only a major player in leather accords but also, Octavian Coifan tells me, once used in lilac accords, further enhance the burnt, industrial character of the composition.

The floral note itself is a hybrid of humble French flowers that haven’t been featured much recently in perfumery: lilac, sweet pea, hawthorn. However, they weren’t picked because despite their current triteness, they have as much of “a right to exist” as the misshapen bottle, but for their potential affinities with the smells of tape and glue (the latter conjured by the almond-y facets of lilac, for instance). Still, interestingly, this also makes Comme des Garçons a powerfully diffusive floral scent with rich white floral, anisic and rosy aspects, borne by a blend of powdery musks (including the Givaudan captive Silvanone).

Splicing this ample, almost retro bouquet with a vividly realistic brown tape note drags into radically modern territory.Yet for all its weirdness, the vodka-clear Comme des Garçons is exhilaratingly wearable, if you’re the type who wouldn’t shirk from spraying Yves Rocher’s Pur Délice de Lilas over Bulgari Black, as I’ve been known to do.
This is CdG Parfums doing what they do best, introducing a lick of humour and a hefty dose of subversion into the conventional codes of perfumery.

Comme des Garçons: Fleur de Scotch


(For the English version, click here)

Rei Kawakubo n’aime pas les fleurs. En tous cas, pas dans un flacon. D’où la rareté des floraux dans une collection qui compte déjà près d’une soixantaine de créations, si l’on excepte Champaca et Daphné (qui, étant inspiré par les goûts de Daphné Guinness, a un statut un peu à part). 

Mais une fleur artificielle ? Une fleur en ruban adhésif ? « Un parfum qui ne peut pas exister dans un flacon qui ne devrait pas exister », voilà qui colle mieux au discours d’une créatrice qui a joué de l’asymétrie pour réinventer les silhouettes, et toujours provoqué la beauté de l’accident. « Qui a le droit de décider ce qui doit être rejeté ? », demande le communiqué de presse. D’où un flacon informe, bulbeux, modelé d’après les rebuts des processus de verrerie semi-automatiques, arrimé à son statut de détritus, d’accident heureux ; délibérément produit dans un verre de mauvaise qualité plein de bulles ; un truc qui ne tient même pas debout, présenté dans une humble boîte en carton blanc.


Exhiber la beauté des monstres, des odeurs issues de l’industrie humaine : c’est le manifeste esthétique des Comme des Garçons les plus radicaux, les Odeur 53, Odeur 71 et autres Synthétiques. D’ailleurs, le directeur de création de la maison, Christian Astuguevieille, demande souvent aux parfumeurs qui collaborent avec lui de casser des formules trop jolies ; de dénuder les « défauts » de certaines matières premières qu’on s’ingénie en général à maquiller… 

Gérer le budget Comme des Garçons dans une maison de composition demande une solide dose d’humour. On imagine les éclats de rire chez Givaudan lorsque Christian Astuguevieille demande l’odeur d’une balle de pingpong écrasée, d’un galet ou d’une caissière de supermarché avec son rouge à lèvres qui dépasse. En tout temps, ce sont entre quinze et vingt idées qui sont en développement. Les parfumeurs sont choisis en fonction de leur intérêt et de leurs affinités pour le projet. Pour « Comme des Garçons » (c’est le nom du nouveau parfum), le brief est arrivé chez Antoine Lie, puis, lorsque ce dernier a quitté Givaudan pour une nouvelle société, c’est son complice Antoine Maisondieu qui a repris le flambeau.

Le résultat est une hybridation entre une fleur-qui-n’existe-pas et un produit industriel, où des molécules présentes dans certaines fleurs produisent des effets synthétiques. La période de maturation du concentré (au cours de laquelle des réactions chimiques continuent de se produire entre les composants) a été délibérément écourtée à deux semaines afin que ces aspérités ne soient pas lissées. Ainsi, les facettes un peu métalliques aux effets « sang » des aldéhydes ressortent en notes de tête ; cet effet est renforcé par un travail sur les oxydes de géranium et de rose (ce dernier est ce qui confère à Calandre et à Rive Gauche leur note « diesel »). De même, le paracrésol, déjà présent dans plusieurs fleurs (jasmin, narcisse, lilas…) peut être utilisé pour produire des effets cuirés, caoutchoutés, médicinaux. La safraléine, également utilisée pour ses effets cuirés, et le styrax, qui est non seulement une note cuir mais qui était aussi intégré jadis aux compositions lilas (m’a appris Octavian Coifan), renforcent le caractère brûlé, industriel de la composition.

Quant à la note florale, c’est un composite de modestes fleurs françaises qu’on ne voit plus souvent dans les parfums : lilas, justement, mais aussi pois de senteur, aubépine. Si elles ont été choisies, ce n’est toutefois pas parce que malgré leur ringardisation, elles ont autant que le « flacon-rebut » le « droit d’exister », mais pour les affinités potentielles avec les odeurs de ruban adhésif et de colle (les facettes amandées du lilas, par exemple, évoquent la fameuse colle Cléopâtre). Malgré cette distorsion, Comme des Garçons reste un parfum floral puissamment diffusif, avec des aspects fleurs blanches, rosés et anisés, portés par un cocktail de muscs poudrés (dont la Silvanone de Givaudan). 

Évidemment, c’est le fait d’avoir emballé ce bouquet quasiment rétro dans une bobine de Scotch brun qui l’entraîne dans une modernité assez radicale – une sorte de décalage sur la carte olfactive de l’accord cerise-héliotrope-réglisse-cuir d’un Boxeuses, par exemple, avec l'accord "Scotch et colle" en guise de cuir mutant.

Et pourtant, malgré son inquiétante étrangeté, ce Comme des Garçons limpide comme une vodka est éminemment portable, si comme moi vous n’hésiteriez pas à vaporiser le Pur Désir de Lilas d’Yves Rocher sur Bulgari Black.
Ce parfum joue sur la principale force de Comme des Garçons, cette touche d’humour et cette dose de subversion qui distordent les codes de la parfumerie. À une époque où trop de produits sentent la peur, cette odeur de soufre est franchement assez délectable.

dimanche 23 octobre 2011

On IFRA, regulations and reformulations: WIRED magazine investigates


While perfumers have been grumbling and the online perfume community has been howling for years about regulations and reformulations, the matter has seldom been addressed by the mainstream press. 

For Wired magazine, science editor Courtney Humphries breaks the omerta with Engineering Replacements for Essential Perfume Ingredients, a limpidly-written, highly informative investigation in the November issue. 

Humphries’ investigation takes her from New York to Paris and Grasse, where she speaks to industry insiders such as IFF perfumers Clément Gavarry and Calice Becker as well as Regulatory Affairs VP Greg Adamson; Mane perfumer Ralph Schwieger and the researcher Cyril Rolland; Isabelle Doyen, Andy Tauer, Roja Dove and… myself. 


A link to the article will be permanently featured on the right-hand sidebar of Grain de Musc, as it summarizes the issue neatly.

IFRA, règlementations, reformulations : le magazine américain WIRED enquête


Les parfumeurs râlent, la communauté web des amateurs de parfums hurle, mais la question des règlementations et des reformulations a rarement été abordée dans la presse « papier » (à l'exception des articles de Nicole Vulser dans Le Monde).

La correspondante scientifique du magazine américain Wired, Courtney Humphries, brise l’omerta avec Engineering Replacements for Essential Perfume Ingredients, une enquête truffée d’information publiée dans le numéro de novembre et accessible en ligne.

L’enquête de la journaliste l’a conduite de New York à Paris et Grasse, où elle a pu interviewer plusieurs acteurs de l’industrie, notamment les parfumeurs Calice Backer et Clément Gavarry chez IFF, Ralph Schwieger chez Mane, des spécialistes des affaires réglementaires et de la recherche sur les nouvelles molécules, ainsi qu’Isabelle Doyen, Andy Tauer, le grand-prêtre des parfums de Harrods’ Roja Dove et… moi-même.


J’ai d’ores et déjà placé un lien permanent à cet article, qui résume bien la situation, dans la colonne de droite de Grain de Musc. Si vous vous débrouillez en anglais, je vous engage vivement à le lire.

The Perfume Lover, A Personal History of Scent... Mon livre paraîtra en mars 2012


Chers lecteurs francophones, désolée de ne pas avoir traduit la note ci-dessous, mais vous comprendrez que s’agissant d’une traduction littéraire, fût-ce une auto-traduction, je n’aie pas envie de la bâcler.

Comme vous l’aurez sans doute compris, mon livre The Perfume Lover, A Personal History of Scent paraîtra en mars 2012 aux éditions britanniques HarperCollins. Il est d’ores et déjà disponible en précommande sur Amazon UK.
L’agence littéraire qui me représente, A.P. Watt, s’est rendue à la foire internationale du livre de Francfort et des pourparlers sont en cours pour diverses éditions à l’étranger. Bien entendu, dans le cas de l’édition française, j’en assurerai moi-même l’adaptation.
En attendant, juste un teaser, la traduction de la phrase d’accroche placée en couverture :

« Et si la plus belle nuit de votre vie devenait un parfum ? »

L’illustration ci-dessus est une sculpture polychrome allemande du 16ème siècle des collections du Louvre, qui représente sans doute Marie Madeleine, patronne des parfumeurs : j’ai tenu à ce qu’elle figure sur la couverture de mon livre…

vendredi 21 octobre 2011

The Perfume Lover, A Personal History of Scent... Yes, my book!



As the press releases are now going out, it’s about time I made the official announcement. My book, The Perfume Lover, will be published by HarperCollins UK on March 15th, 2012. You can already pre-order it on Amazon (click for the link), so even if you don’t live in the UK, it’ll be easily available. 
Meanwhile, because March is still a long time off, here’s an excerpt from the first pages. This is the story that starts it all...

I am in Seville, standing under a bitter orange tree in full bloom in the arms of Román, the black-clad Spanish boy who is not yet my lover. Since sundown, we’ve been watching the religious brotherhoods in their pointed caps and habits thread their way across the old Moorish town in the wake of gilded wood floats bearing statues of Christ and the Virgin Mary. This is the Madrugada, the longest night of Holy Week, and the whole city has poured into the streets: the processions will go on until the dawn sky is streaked with hunting swallows. In the tiny white-washed plaza in front of the church, wafts of lavender cologne rise from the tightly pressed bodies. As altar boys swing their censers, throat-stinging clouds of sizzling resins – humanity’s millennia-old message to the gods – cut through the fatty honeyed smell of the penitents’ beeswax candles.
Under the silver-embroidered velvet of her dais, the Madonna, crystal tears on her cheek, tilts her head towards the spicy white lilies and carnations tumbling from her float. She is being carried into the golden whorls of a baroque chapel, smoothly manoeuvred in and out, in and out, in and out – they say the bearers get erections as they do this – while Román’s hand runs down my black lace shift and up my thigh to tangle with my garter-belt straps. His breath on my neck smells of blond tobacco and the manzanilla wine we’ve been drinking all night – here in Seville, Holy Week is a pagan celebration: resurrection is a foregone conclusion and there is no need to mourn or repent. As the crowd shifts to catch a last sight of the float before the chapel doors shut behind it, the church exhales a cold old-stone gust. I am in the pulsing, molten-gold heart of Seville, thrust into her fragrant flesh, and there is no need for Román to take me to bed at dawn: he’s already given me the night.

mardi 18 octobre 2011

Baiser Volé by Mathilde Laurent for Cartier: The Kiss of the Lily Fairy



(Pour lire cet article en français, cliquez ici.)

The tiny, earthshaking thrill of a stolen kiss implies a transgression of personal or social boundaries; a fleeting taste of the forbidden. But it is volé part of the baiser that has fascinated me here: a purloined letter hidden in plain view, disclosing the imaginary genealogy of the new Cartier and its secret muse…  

The name “Baiser Volé” creates a link with Cartier’s 2003 Le Baiser du Dragon. It may also have sprung from the idea that inspired Mathilde Laurent when she was composing the fragrance: armfuls of lilies rubbed against a woman’s skin – between des lys en brassées, “armfuls of lilies”, and des lys embrassés, “lilies embraced” or “kissed”, there is barely the distance of a sigh.
In France, the expression baisers volés immediately conjures the lyrics of Que reste-t-il de nos amours (known in English as I Wish You Love), performed for six decades by one of France’s most beloved entertainers, Charles Trenet. It is this song that provides both the credits music and the title of François Truffaut’s 1968 Baisers volés.

As I was channel-surfing one afternoon I stumbled on Stolen Kisses, in which Antoine Doinel, Truffaut’s alter ego played by Jean-Pierre Léaud, is hired by a detective agency to find out whether the glamorous and mysterious Fabienne Tabard (Delphine Seyrig) has a lover, as her husband suspects. Antoine falls in love with Mme Tabard, and sends his declaration in a telegram. The next day, she appears in his room:   “You wrote to me yesterday, and the answer is… me.”



If you’ve taken four minutes to watch this scene, you might have been struck, as I was that afternoon, by the fact that Mme Tabard refers to the two main notes of Baiser Volé, lilies and cosmetics. The first reference pops up as she mentions Balzac’s The Lily of the Valley, the story of an impossible love between a very young man and a married woman, who is explicitly compared in the book to a lily, both for her candid virtue and for her fragrant, white-skinned, full-fleshed beauty... The only carnal contact between these two impossibly chaste lovers is a stolen kiss that lands on Mme de Mortsauf’s shoulders. Coincidentally, the supremely elegant, raspy-voiced Delphine Seyrig would go on to play Mme de Mortsauf in a made-for-TV adaptation of the Balzac novel.

Convinced that this key scene of Stolen Kisses was the secret inspiration for the fragrance, I resolved to ask Mathilde Laurent about it directly. She replied that though of course she’d seen the film, she didn’t remember that particular scene and that besides, the name Baiser Volé had been found quite late into the two-year development. However, she added, it just so happened that she had been thinking of Delphine Seyrig, but in her role as the flighty, coquette Lilac Fairy in Jacques Demy’s musical-comedy adaptation of Perrault’s fairy tale Donkeyskin. 



Mathilde even wrote a fairy-tale-style poem for the launch to turn the fairy’s lilacs into lilies… So that in the end, it was indeed Delphine Seyrig who wove a fragrant thread binding Perrault, Balzac, Trenet and Truffaut to that armful of lilies.

But if Baiser Volé has Seyrig as its secret muse, the fragrance itself is not quite as sexily raspy as the cult French actress’s voice. Though it’s probably a ballsy move to launch a lily soliflore in the mainstream, Cartier shied away from the spectacular asperities of the flower.
The lily is a paradox: though its scent is indecently heady, it has come, in the Catholic culture, to symbolize not Mary Magdalene’s sexy adulteress but the Virgin Mary. Baiser Volé attempts to resolve this Virgin/Whore dichotomy by wrapping the lily in a lush, powdery rose-musk cosmetic accord, much like Seyrig’s well-bred French bourgeoise tucks her adulterous secrets and smouldering sensuality under an impeccable demeanour and a proper Chanel suit.

As a result, Baiser Volé could be defined by the excesses it will not admit to. Though it becomes rather peppery in the heart notes, it is neither overtly clove-y/spicy nor smoky/cresolic. It is extremely powerful and long-lasting, but not indolic, and not as heady as, say, Donna Karan Gold. It features vanilla, but plays neither on the cool, watery features of the pod like Hermessence Vanille Galante (which is in many ways a lily), nor on its sweet, balsamic effects like Serge Lutens Un Lys. 

The lily itself is most prominent in the opening sequence, when galbanum infuses the scent with split-stem, cool-petal greenness. But the flowers in Baiser Volé have indeed been kissed and rubbed on skin, and some of Fabienne Tabard’s lipstick and powder have rubbed off on them in turn.
There is a true, arrestingly realistic lily aspiring to break out from Baiser Volé, just as Balzac’s and Truffaut’s sensuous upper-class heroines long to break out of their marriages. And like the social boundaries that keep them from straying past a stolen kiss, the mainstream codes keep Baiser Volé’s lily from blooming as fiercely as Mathilde Laurent’s talent and fearlessness could have led us to hope.

As it is, there’s enough vigour in Baiser Volé to make it a lovely, adult commercial proposition, and one that seems to attract male compliments. But I wouldn’t have minded it scrubbing off the makeup and stepping out of its evening gown to show its beauty in all its rawness. After all, “consider the lilies of the field, how they grow; they toil not, neither do they spin…







Baiser Volé de Mathilde Laurent pour Cartier: Embrassée par la Fée des Lys


(To read this post in English, click here)

Le minuscule séisme d’un baiser volé implique une transgression des limites intimes et sociales ; la cueillette fugace d’une saveur interdite. Mais dans ce baiser, c’est le vol que j’ai suivi des yeux : baiser volé comme on dit « lettre volée », c’est-à-dire tellement visible qu’elle en est cachée. Et ce que révèle cette lettre, c’est la généalogie imaginaire du nouveau parfum de Cartier ainsi que le nom de sa muse secrète…
Le nom Baiser Volé renvoie sans doute au Baiser du Dragon de 2003 ; il pourrait être né de l’idée qui a inspiré Mathilde Laurent durant la création, celle d’une brassée de lys frottée contre la peau d’une femme. Entre « des lys en brassées » et « des lys embrassés », il n’y a qu’un souffle.
Mais comment ne pas penser aussi au Que reste-t-il de nos amours de Charles Trenet – « Bonheur fané, cheveux au vent/ Baisers volés, rêves mouvants » -- et plus encore, au film de François Truffaut ?
En zappant un après-midi je suis tombée sur ce Baisers volés où Antoine Doinel (Jean-Pierre Léaud) est engagé par une agence de détectives pour espionner la belle et mystérieuse Fabienne Tabard (Delphine Seyrig), soupçonnée d’adultère par son mari marchand de chaussures. Antoine tombe amoureux de Mme Tabard et lui fait sa déclaration par télégramme. Le lendemain matin, elle fait son apparition dans la chambre de bonne du jeune homme. « Vous m'avez écrit hier et la réponse c'est... moi. »


Si vous avez pris quatre minutes pour regarder cette scène, vous aurez été frappé comme moi d’entendre au passage Mme Tabard faire référence aux deux notes principales de Baiser Volé, le lys et le maquillage. Plus précisément, elle parle du Lys dans la Vallée de Balzac, « une histoire lamentable » d’amour impossible entre un très jeune homme et une femme mariée qu’il compare au lys à la fois pour sa vertu candide et sa beauté opulente. Le seul contact des amants est d’ailleurs, justement, un baiser volé par Félix de Vandenesse aux épaules de Mme de Mortsauf lors de leur première rencontre… Delphine Seyrig allait d’ailleurs par la suite incarner Mme de Mortsauf dans un téléfilm de Marcel Cravenne.

Convaincue que cette scène-clé de Baisers Volés était l’inspiration secrète du parfum, j’ai carrément posé la question à Mathilde Laurent. Bien entendu, elle connaissait le film mais elle ne se rappelait pas cette scène et d’ailleurs, le nom du parfum n’avait été trouvé que vers la fin du processus de développement de deux ans. Et pourtant, le fantôme élégant de Delphine Seyrig errait bien entre les joyaux de Cartier puisque Mathilde avait songé à sa Fée des Lilas coquette et capricieuse dans le Peau d’âne  de Jacques Demy…


Elle avait même écrit un poème-conte de fées pour le lancement, inspirée par la Fée des Lys. Ainsi, c’était bien Delphine Seyrig qui tirait sur le fil tenant Perrault, Balzac, Trenet et Truffaut étroitement embrassés à ces lys en brassées…

Mais le parfum n’est pas aussi rauque que la voix de sa muse clandestine. Sans doute est-ce déjà assez  d’audace que de sortir un lys en soliflore dans le mainstream, car Cartier a esquivé les aspérités spectaculaires de la fleur.
Le lys est un paradoxe : malgré son indécence capiteuse, la religion catholique en a fait le symbole, non pas de la pécheresse Madeleine, mais de la Vierge Marie. Baiser Volé tente de résoudre cette tension entre péché et pureté en civilisant la fleur d’un accord cosmétique rosé-musqué, poudré, crémeux, un peu comme une Mme Tabard envelopperait ses écarts sensuels sous le respect des convenances et un impeccable tailleur Chanel. 

Baiser Volé, d’une certaine manière, pourrait aussi être défini par ces excès qu’il refuse d’avouer. Assez poivré en cœur, il n’est ni aussi épicé/girofle, ni aussi fumé, ni aussi indolé que certains lys. Il est d’un volume extravagant et d’une ténacité sans faille, mais sans le capiteux d’un Gold de Donna Karan. Il joue sur la vanille comme tout lys qui se respecte, mais pas sur sa fraîcheur aqueuse comme le Vanille Galante de Jean-Claude Ellena (qui est aussi un lys), ni sur ses effets baumés comme Un Lys de Serge Lutens. Autrement dit, il se mesure

L’effet lys est particulièrement prononcé en ouverture, lorsque le galbanum imprègne le parfum d’une verdeur de tige fendue et de pétales froids. Mais bien vite, les fleurs sont dévorées de baisers qui déposent poudre et rouge à lèvres sur leurs corolles.

Il y a bien un lys saisissant de réalisme qui perce à travers Baiser Volé, un peu comme les héroïnes de Balzac ou de Truffaut laissent percer leur sensualité dévorante sous le voile des convenances. Et comme les codes sociaux auxquels elles se soumettent par instinct de survie les empêchent de s’aventurer au-delà d’un baiser volé, les codes du mainstream retiennent Baiser Volé de s’épanouir en lys aussi extravagant que le talent et l’audace de Mathilde Laurent auraient pu le permettre. 

Mais ce Baiser Volé est encore assez fougueux pour faire du parfum de Cartier une proposition élégante, sensuelle et adulte qui semble attirer les compliments masculins. Pour ma part, j’aurais voulu le démaquiller et lui arracher sa robe du soir pour montrer sa beauté dans toute sa crudité. Après tout, « Voyez les lys des champs, ils ne tissent ni ne filent, cependant Salomon, dans toute sa gloire ne fut jamais vêtu comme l'un d’eux.»