vendredi 30 décembre 2011

Le Best-of des parfums 2011 : L'Europe sombre mais sent bon



Bonne pioche pour les chypres en 2011. Ce qui n’a rien d’étonnant, au fond: les chypres sont des parfums pour temps durs. Le gaz moutarde soufflait encore sur les tranchées lorsque Coty a lancé la tête de file de la famille. La seconde vague – les Bandit, Femme, Miss Dior… -- a déferlé en pleine Occupation ou peu après. Tout se passe comme si les facettes humus et légèrement iodées de la mousse de chêne, qui ancrent la chair des fruits et des fleurs, arrosaient la terre de quelques larmes… Cet inconscient du chypre l’accorderait-il aux périodes historiques difficiles ?
Ou alors, plus simplement, la remontée des chypres au nombre des lancements de l’année traduit la même envie de se réfugier dans des esthétiques surannées que des films comme Midnight in Paris de Woody Allen, Hugo de Martin Scorcese ou L’Artiste de Michel Hazanavicius.  Quoi qu’il en soit, les plus beaux chypres 2011 nous ramènent par le bout du nez à une époque où les parfums étaient adultes, complexes et un peu ténébreux. Et ce n’est sans doute pas par hasard que deux des plus émouvants aient été inspirés par les souvenirs d’enfances les plus poignants de leurs auteurs…

MonParfum Chéri (Annick Goutal), hommage rendu à Femme par Camille Goutal et Isabelle Doyen, assombrit encore les tonalités « fruit blets sur terre humide » de l’un des parfums jadis portés par Annick Goutal. Rétro, certes, mais plutôt à la manière d’une réécriture du film noir par les frères Coen – on songe à Miller’s Crossing – que d’un exercice de style…Culotté, excessif, charnel : l’un des plus beaux lancements de l’année.

Azemour (Parfum d’Empire) offre une palette diamétralement opposée aux nuances automnales et crépusculaires de Mon Parfum Chéri : brises océanes soufflant sur les dunes et les orangers brûlant au soleil. Et pourtant, ce sont les larmes autant que les embruns qui l’imprègnent d’un effet salé-iodé : Azemour évoque la terre où Marc-Antoine Corticchiato est né et a grandi, paradis perdu qu’il n’a eu le courage de retrouver que tout récemment… Du coup, ce chypre robuste et juteux comme une orange dévoile une tendresse élégiaque inattendue.

Toujours dans le registre du passé revisité : AromaticsElixir Perfumer’s Reserve, réécriture par Laurent Le Guernec du classique de Clinique pour son 40ème anniversaire. Un jus à la fois sombre et scintillant comme un bourgogne versé dans une coupe en cristal taillé, qui exalte l’accord aromatique rose-patchouli créé par Bernard Chant en le glaçant d’un accord floral aldéhydé souverainement dédaigneux des tendances…

À l’inverse, Bottega Veneta Eau de Parfum a la modernité de ces formules courtes auxquelles Michel Almairac excelle. Le parfumeur a soulevé la peau des chypres fruités d’antan (dont il avait déjà proposé une réécriture radicale dans Rush de Gucci) pour la greffer sur un accord cuir inédit. Sans doute la plus belle surprise de l’année dans le mainstream : son succès, on l’espère, poussera d’autres maisons de luxe à emprunter d’autres voies que celles du fleuve fruitchouli…

Là où Bottega Veneta se distingue par sa parfaite adéquation à l’esprit maison, le charme du Candy de Prada se situe précisément dans sa dissonance : un bonbon rose shocking insolemment collé sur un sac à main à 3000 euros. Mais une fois l’enrobage caramel fondu, Candy porte la signature composée par Daniela Andrier pour Prada, un nuage délicat de musc et d’iris imprégné d’une bouffée de benjoin. Par là-dessus, mieux vaut inhaler sa dose de sucre que de l’avaler : c’est la jouissance sans la pénitence, même pas la minuscule humiliation de porter un parfum girly-nunuche. Après tout, c’est quand même Prada.

Par-delà les charmes régressifs de la confiserie, nous verrons sûrement beaucoup plus de passerelles entre parfums et arômes au cours des prochaines années. Thierry Mugler, assurément la marque mainstream la plus couillue de la planète et des galaxies avoisinantes, ouvre encore la voie avec la collection Le Goût du Parfum, traduite en recettes par le chef Hélène Darroze (pour lestélécharger depuis le blog de Nicolas Olczyk, cliquez ici).

L’autre maison de parfum de créateur qui porte l’étrangeté dans son ADN, Comme des Garçons, a renoué cette année avec sa veine expérimentale la plus radicale après une série de « joint ventures ». Antoine Lie et Antoine Maisondieu sous la direction de Christian Astuguevieille, ont fait pousser une fleur faite de ruban adhésif d’emballage, plantée par Rei Kawakubo dans un flacon informe et bulbeux. Un jus à la fois urbain, curieusement romantique et finalement assez portable, qui démontre la complicité secrète des odeurs naturelles et synthétiques.

Les Perfume Guns de Frédéric Malle jouent également sur cette alliance de l’industriel et du romantique : parfums d’ambiance ultraraffinés proposés dans des vaporisateurs en plastique gris ultra-fonctionnels, capables d’embaumer une pièce d’un pschitt. Mon préféré pour l’instant : le Chez Monsieur de Bruno Jovanovic, qui a l’odeur de l’endroit où j’aimerais vivre, un bureau tapissé de vieux livres qui sent le cuir et le Havane.

Je ne me suis pas donné la peine de compter les nouvelles marques de niche lancées cette année (je laisserai ce soin à Michael Edwards), mais je me dis qu’au lieu de nous lamenter de cette surabondance, nous pourrions tout aussi bien nous en réjouir. Certes, elle signifie que plus jamais nous ne pourrons sentir tout ce qui sort, que nous raterons des merveilles (c’est là qu’il faudra compter sur les blogs, qui continuent également à se multiplier). 
Mais cet effet « longue traîne » signifie tout de même que plus de voix pourront s’exprimer, et que les inspirations les plus diverses, voire les plus saugrenues, aboutiront dans les flacons.
Il n’est pas non plus impossible que cette multiplication de petites marques indépendantes pousse l’industrie, des grands labos aux verriers et aux conditionneurs, à envisager autrement ses rapports avec les « petits » clients, qui doivent souvent affronter un chemin de croix dès qu’ils ne comptent pas produire 5000 flacons. C’est aussi le modèle de distribution qui devra évoluer… Mutations en vue ?

Parmi ces nouvelles marques, Olfactive Studio se distingue, non seulement parce que les trois premiers parfums sont très beaux, mais parce que le concept – utiliser des photos originales en lieu et place d’un brief – est développé de façon très cohérente et professionnelle. Céline Verleure a su s’entourer d’une équipe créative et mobiliser un budget conséquent, ce qui confère à sa petite maison une allure de grande marque. Son concept « photo » colle aussi à une tendance qui devrait se développer : croiser le parfumerie avec d’autres pratiques artistiques.

Et puis il y a les petites marques créées et portées à bout de bras en solo, pour l’amour de l’art, comme Neela Vermeire Créations. Fondés sur la culture olfactive de l’Inde natale de Neela – marché qui n’a pas encore assez de maturité pour les marques de niche, mais source féconde d’inspiration – le trio créé par Bertrand Duchaufour suggère la possibilité d’une parfumerie réellement métissée (Sandrine Videault, avec Manoumalia, s’est déjà aventurée très loin dans cette direction).
On se prend à rêver de ce que serait une parfumerie créée par des parfumeurs non-occidentaux formés « à la française »… Les prochaines innovations nous viendront-elles des BRICs ?
Bref, je suis optimiste, sinon pour l’avenir du monde en général, du moins pour celui de la parfumerie – on ne va tout de même pas passer sa vie à se lamenter sur les reformulations ou les fruitchoulis…

Maintenant, à vous : avec quel parfum comptez-vous dire adieu à 2011 et accueillir 2012 ?

Pour d’autres Top Ten de l’année, cliquez sur Bois deJasmin, Now Smell This, Perfume Posse et Perfume-Smellin’ Things.

Photo de Roxanne Lowit.

Best of 2011: Spritzing away while Europe sinks (and smelling lovely)


2011 was a bumper year for chypres. Which isn’t especially surprising: chypres are perfumes for tough times. Though they go back centuries, the Coty template was composed while lethal clouds of mustard gas were still blowing over the trenches. The second wave blossomed in the midst or aftermath of the German Occupation. There’s something about chypres, a gravitas in the earthy, iodic facets of oakmoss grounding the sweet flesh of fruit and flowers – soil and tears -- that suits troubled times.
Chypre may well have been, from the outset, a genre teetering between nostalgia and toughness, and if there’s been an uptick recently, it may be for the same reason we’re craving the aesthetics of bygone eras in movies like Woody Allen’s Midnight in Paris, Martin Scorcese’s Hugo and Michel Hazanivicius’s The Artist or television series like the BBC’s Downton Abbey or HBO’s Mildred Pierce.
Today’s best chypres lead us by the nose back to a time when perfumes were grown-up, complex and a little brooding. And it may not be by chance that the two that moved me most last year were drawn from their authors’ poignant childhood memories…

Mon Parfum Chéri (Annick Goutal) is Camille Goutal and Isabelle Doyen’s wine-dark, ripe-plums-strewn-on-moist-earth tribute to Femme, a fragrance worn by Camille’s mother Annick. This is less 40s film noir than a Coen brothers rewrite – as damp, earthy and tough as Miller’s Crossing – but it’s got a satisfyingly hefty retro feel, and is one of the most beautiful launches of the year.

Azemour (Parfum d’Empire) is the polar opposite of Mon Parfum Chéri’s autumnal hues: ocean breezes blowing through sun-baked dunes and orange groves. But it owes its unusual salty tinge to tears as much as sea-spray: the scent is meant as an evocation of the land where Marc-Antoine Corticchiato was born and grew up, which his family lost forever, and where he only recently found the courage to go back. As a result, its robust juiciness hides a tender, elegiac quality.

Aromatics Elixir Perfumer’s Reserve, Laurent Le Guernec’s Bordeaux-in-Baccarat-crystal reinterpretation of the Clinique classic, issued for its 40th anniversary in precious extrait form, showcases the seminal herbal-rose-patchouli accord created by Bernard Chant by glazing it with an aldehydic floral accord that regally snubs contemporary trends.

Conversely, Bottega Veneta Eau deParfum is a thoroughly modern product. Michel Almairac, renowned for the elegance of his short formulas, has lifted the skin off the fruity chypres of yore (a genre he had already radically revamped with Gucci Rush) to graft it onto a novel leather accord. Probably the best surprise in the mainstream this year, and one I hope will be successful enough to prompt other luxury houses to veer off the fruitchouli river…

If Bottega Veneta is perfect because it fits the Italian house’s brand identity as snugly as a pair of kid gloves, Prada Candy’s charm lies in its very dissonance: a hot pink piece of caramel stuck on a $3000 handbag. But once that caramel coating melts, Candy bears the signature composed by Daniela Andrier for Prada, revealing a delicate work on musk and iris wrapped in fluffy benzoin. Snorting your sugar fix rather than sucking on it is like sinning without penance – not even the tiny humiliation of wearing an un-classy, girly fragrance. After all, this is Prada.

Beyond the regressive charms of the confectionary shop, we’ll certainly be seeing a lot more cross-pollinating between cuisine and perfumery in coming years. Thierry Mugler, the ballsiest mainstream brand to walk the earth and neighboring galaxies, has paved the way with the Le Goût du Parfum collection, which the chef Helen Darroze has translated into recipes (click here to download in French from Nicolas Olczyk's blog). 

Comme des Garçons is the other fashion/perfume house that’s got weirdness branded in its DNA, and with their new, eponymous oddity – aka “The Blob” – they’ve gotten back in touch with it after a series of co-branded ventures. Under Christian Astuguevieille’s direction, Antoine Lie, then Antoine Maisondieu, grew a flower out of brown packing tape; Rei Kawakubo stuck it in a misshapen glass blob. The resulting monster is urban, romantic and oddly wearable: a brain-exploding demonstration of the secret complicity of synthetic and natural smells.

That industrial/romantic contrast is also what I love about Frédéric Malle’s Perfume Guns: utterly functional gray plastic spray guns spouting utterly refined compositions – my current darling being Bruno Jovanovic’s Chez Monsieur, which basically smells like the place where I’d love to live: a book-lined study with leather chairs and a whiff of cigar. This is my favourite home-fragrancing device of the year, conceived for hotels, and one spritz really does fill a large room.

I haven’t bothered counting the number of new niche brands that sprung up over the past year, but I’ve been thinking that instead of bemoaning the fact, we should embrace it. 
Granted, we’ll never again be able to keep track of it all. But this “long-tail” effect means more voices and sources of inspiration can materialize. It may also, at some point, reach a critical mass that will compel the industry – not only the big labs selling materials and blending oils, but also glass manufacturers and various suppliers – to reconsider its policies vis-à-vis “small” clients and, further along the line, to rethink distribution schemes and circuits…

I’ve been quite impressed by Olfactive Studio, not only because the scents are beautiful, but because the concept – using original photographs as briefs – is very consistently and professionally developed. Céline Verleure, a former perfume industry exec, rounded up a proper creative team and scared up enough of a budget to give the whole endeavour a big-brand effect on a small-brand scale. Her “photography” angle also clicks with a trend that’s gaining ground: the explicit cross-inspiration between perfumery and other art forms.

At the other end of the spectrum, there are the tiny, labour-of-love, one-person operations like NeelaVermeire Créations. This time the source of inspiration is Neela’s native country, India – a market not yet mature for niche brands, but a rich olfactory seam to be mined. Like Sandrine Videault’s Manoumalia for Les Nez, Bertrand Duchaufour’s French-Indian trio hints at the possibility of cross-cultural perfumery. And at the intriguing possibilities that will arise when non-Western perfumers trained in Western techniques start breaking loose… Perhaps the next fragrant breakthrough will come from the BRICs?

I'm optimistic, if not for the world in general, at least for the future of perfumery. It's not all bawling about reformulations or griping fruitchoulis and iFrags, is it? There's still gorgeous stuff pouring out of the labs...


And now, on to you... 
What will you be wafting on New Year's Eve to usher in 2012?

For more 2011 round-ups, check out Bois de Jasmin, Now Smell This, Perfume Posse and Perfume-Smellin’ Things.

 Picture by Roxanne Lowit.

lundi 26 décembre 2011

An Update on my Perfume Courses at the London College of Fashion

In the 26 december edition of The Scotsman (click here to read), the UK-based American journalist and perfumista Lee Randall gives an account of the December 2010 edition of my London perfume course. 

Speaking of which... Many of you have written to ask me when I’d resume the courses. I’d love nothing more, but there’s a glitch: I’ve got a Canadian passport. As long as I was doing the odd series of lectures, I could somehow wiggle through, but in order to get a proper contract, I need a work visa.  For which I can’t apply since I’d only be doing 100 hours a year, which renders me ineligible – the visa is conceived for people coming to work full-time in the UK.


Long story short:  the London College of Fahsion is currently exploring the idea of offering the courses in Paris, which makes sense since Paris is more of a perfume capital than London, and the location would allow us to offer more fragrance-related activities.

The LCF has set up a page on its website so that people can register their interest in a Paris-based perfume course: click here.

Meanwhile, if you have any comments and suggestions, please feel free to write!

mercredi 21 décembre 2011

Boucheron: Diamonds go with everything


Hear that tinkling sound? Those are the iFrags cowering on their shelves, exhaling asthmatic little puffs of iso-e super. In the wake of a new licensing deal with Interparfums (Lanvin, Van Cleef & Arpels…), the 1988 Boucheron is being re-launched, and she’s going to show them how it’s done. 
 
I never wore Boucheron back in the days and so can’t assess whatever nips and tucks it underwent. But such as it is, it’s a compliment-getter (and from people in the industry, no less). Despite coming twelve years after Van Cleef & Arpels’ First, the first jeweler’s perfume and perhaps the last straight-faced aldehydic floral, the scent belongs to the classical era: a haughty, hefty, complex floriental carrying some of L’Origan’s DNA by way of Bal à Versailles. Both the 1988 Boucheron and the 1962 Bal à Versailles were already somewhat retro at the time of their launch.
This classical stance was deliberate: in Michael Edwards’ Perfume Legends, Boucheron Parfums CEO Jean-Claude Le Rouzic explains that the “aggressive” style of 80s blockbusters like Poison and Giorgio was the last thing he wanted.

In his Journal of a Perfumer, Jean-Claude Ellena explains that in First, he “collected, borrowed and piled on all the signs of femininity, wealth, power”. Firmenich’s Francis Deléamont and Jean-Pierre Béthouart worked on a similar idea, glazing the honeyed (broom, narcissus), heady (jasmine, orange blossom) and balsamic (tonka bean, vanilla) warmth of the base notes with a hard, pearly sheen. Both effects – the cold, sparkling top notes; the opulence of the floral heart and oriental base – convey the idea of luxury, as well as the feel of a strand of pearls: cold and hard at the outset, warming and coming alive on skin…

Because it refers to the heritage of perfumery, the fragrance also achieves the same heirloom quality as Boucheron’s jewels. Boucheron Eau de Parfum has the natural authority that comes from being the offspring of a long line of classics; somehow, despite its grandness, it is an easy wear. Was it Elizabeth Taylor who said diamonds go with everything?

Photo: Helen Bennett by Horst P. Horst, c. 1937

Boucheron, parfum bijou



Vous entendez ce bruit de verres qui tintent ? Ce sont les iFrags anorexiques qui tremblent sur leurs rayons en exhalant de petites bouffées asthmatiques d’iso E super. Dans le sillage d’un nouveau contrat de licence chez Interparfums (qui fabrique également Van Cleef & Arpels), Boucheron relance son eau de parfum éponyme, créée en 1988, histoire de démontrer que la grande dame est toujours d’actualité.
Je n’ai pas porté Boucheron à l’époque ; je suis donc incapable d’évaluer quelles opérations il a dû subir entretemps pour se conformer aux réglementations. Mais même en l’état, ce parfum est suffisamment beau et diffusif pour attirer les compliments au moment de la bise…

Bien qu’il ait été lancé douze ans après First de Van Cleef & Arpels, premier parfum de joaillier et sans doute le dernier floral aldéhydé qui n'ait pas été pensé au second degré, Boucheron appartient encore, comme son prédécesseur, à l’ère classique de la parfumerie. Et comme Bal à Versailles qui était déjà aussi, en 1962, une fragrance décrochée de son époque, Boucheron charrie l’ADN des grands orientaux floraux nés avec L’Origan de Coty.
Ce parti-pris de classicisme était délibéré : dans le Parfums de Légende de Michael Edwards, le président des parfums Boucheron, Jean-Claude Le Rouzic, explique qu’il voulait à tout prix éviter le style « agressif » des blockbusters des années 80, Poison et Giorgio.

Dans son Journal d’un Parfumeur, Jean-Claude Ellena raconte que pour First, il avait « collecté, emprunté et entassé tous les signes de féminité, de richesse, de pouvoir ». Francis Deléamont et Jean-Pierre Béthouart de chez Firmenich ont manifestement adopté une démarche similaire, en glaçant d’un vernis perlé, endiamanté, la douceur miellée (genêt, narcisse), capiteuse (fleur d’oranger, jasmin) et baumée (fève tonka, vanille) du cœur. Ces deux effets – notes froides et scintillantes en tête, opulence du cœur floral oriental – traduisent à la fois l’idée du luxe et la sensation d’un bijou, dur et froid dans son écrin, s’éveillant à la tiédeur de la peau…

Parce qu’elle se réfère délibérément au patrimoine de la parfumerie, la fragrance dégage la même sensation intemporelle qu’un bijou de chez Boucheron, transmis d’une génération à l’autre. Elle a l’autorité naturelle d’une descendante de longue lignée, mais curieusement, malgré son allure hautaine, elle est étonnamment facile à porter. Comme le disait en son temps Elizabeth Taylor, les diamants, ça va avec tout…


Photo: Odalisque de Horst P. Horst

lundi 19 décembre 2011

L'édition française de The Perfume Lover, c'est pour octobre 2012

Bonne nouvelle : je viens de signer le contrat de l'édition française de mon livre, qui devrait paraître en octobre 2012...

Bien entendu, j'assurerai moi-même la traduction, à laquelle je m'attaque dès janvier. 

Pour l'instant, l'annonce n'étant pas officielle, je ne donne pas plus de précisions, mais comme vous vous en doutez je suis ravie !

En attendant, vous aurez déjà une bonne surprise fin juillet...et vous pouvez lire un échantillon de ma prose dans le numéro de Citizen K actuellement en kiosque: "La Ruée vers l'oud".

To my English-language readers: I've just signed on for the French edition of The Perfume Lover. Of course I'll be translating it myself, and of course I'm overjoyed!

dimanche 18 décembre 2011

La contrefaçon des parfums vue par le magazine Envoyé Spécial

« Des traces d’excrément d’animal, de l’antigel de voiture, des produits qui n’ont rien à faire dans des parfums, et qui sont un danger pour la santé de ceux qui achètent ces copies… »

La conclusion du reportage d’Envoyé Spécial sur les parfums de contrefaçon, diffusé le 15 décembre, a de quoi dégoûter les téléspectateurs d’acheter ces copies de produits de grandes marques qu’on trouve sur internet ou dans les marchés en plein air. Quelle meilleure façon de dire que « le toc, c’est de la merde » ?

Personnellement, je serais assez d’accord. Quand des entrepreneurs sans scrupules copient des formules qu’ils n’ont pas développées, s’approprient les créations de parfumeurs dont ils n’ont pas le talent, et tirent parti des millions dépensés par les marques pour faire connaître et aimer leurs produits, cela ne peut que dégager une odeur nauséabonde. Le miasme est encore plus putride lorsque certains prétendent « libérer le parfum » et défendre les consommateurs. Si encore leurs contretypes nous restituaient des parfums pré-reformulation… on pourrait peut-être parler de défense de l’art du parfum. Mais ça n’est pas le cas : il s’agit simplement d’exploiter l’absence de législation pour la protection des formules.

Le reportage d’Envoyé Spécial n’aborde pas ce thème qui fâche : aucun représentant de grande marque n’a d’ailleurs accepté de parler (même mur du silence lors de la table ronde organisée par la SFP). Il y est question du manque à gagner pour l’industrie française, et, vaguement, du risque sanitaire posé par ces produits frelatés...

C’est là qu’on rencontre Audrey, jeune femme passionnée de parfums dont l’épiderme est doté d’une sensibilité si exquise qu’il rougit en quelques secondes dès l’application d’un produit piraté. On ne lui fera pas l’affront de la prendre pour une taupe de l’IFRA, mais on serait l’IFRA, justement, on la recruterait dans l’instant, à la fois comme cobaye et comme preuve vivante de l’efficacité de son action…

Plus scientifique, le parfumeur et chimiste Frédéric Poitou [i], expert auprès de la cour d’appel d’Aix-en-Provence pour la contrefaçon des parfums. Le reportage le suit aux Puces de Marseille, où il découvre des contretypes d’Opium et de Chanel N°5 vendus 5 euros sous des noms et dans des packagings différents, qu’il prononce « olfactivement parfaits ». On s’en étonne un peu – les matières premières utilisées par Chanel, par exemple, sont forcément différentes de celles que peut acheter un contrefacteur grassois – mais après tout, on n’est pas nez, et on n’a pas senti le produit.
Le faux Opium et l’original sont soumis à des analyses par spectrométrie de masse et chromatographie en phase gazeuse. Cette dernière analyse révèle que les formules des deux produits sont quasiment identiques, à deux exceptions près : dans le toc, présence de polyéthylène glycol, produit utilisé dans les antigels, ainsi que de scatol.
« C’est un produit qui sert à fixer et qu’on trouve dans les excréments d’animaux, ça s’appelle du scatol, ça porte bien son nom », explique Frédéric Poitou, en précisant que « c’est un peu urticant » et que « c’est interdit ».
Pas de trace de l’interdiction du scatol sur le site de l’IFRA – mais M. Poitou, un pro, sait sans doute ce qu’il avance. Cela étant, le scatol en question est bel et bien un ingrédient en parfumerie, notamment utilisé pour reconstituer la civette, et qui bien évidemment n'est pas distillé à partir d'étrons canins, mais obtenu par voie de synthèse.

Mais ce n’est pas ce que notre intrépide reporter a compris… Elle tient son scoop, on sent qu’elle en trépigne, il faut alerter le public de toute urgence… Les parfums de contrefaçon contiennent littéralement de la merde !

Que conclure face à un amalgame sensationnaliste aussi estomaquant ? Que la plupart des journalistes n’entendent que ce qu’ils veulent entendre et que ce que les Anglo-saxons appellent le fact-checking n’existe pas sur notre précieuse chaîne publique.

Avez-vous regardé ce reportage ? Qu’en avez-vous pensé ? Pour le voir ou le revoir, cliquez ici.





[i] Frédéric Poitou dirige par ailleurs Fragrance Créations, qui propose des matières premières de parfumerie aux particuliers désirant créer leurs propres compositions.