Clémence René-Bazin, Chambre Noire |
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Encore une nouvelle marque de niche ? Non, mieux que ça, quand même. Car Olfactive Studio décale subtilement les codes de l’industrie, ce qui mérite qu'on y mette le nez.
Encore une nouvelle marque de niche ? Non, mieux que ça, quand même. Car Olfactive Studio décale subtilement les codes de l’industrie, ce qui mérite qu'on y mette le nez.
Le brief : si plusieurs parfumeurs ont présenté leurs propositions (environ 35, je crois), ce n’était pas pour les mettre en concours, mais au contraire pour leur laisser le maximum de liberté (il fallait donc que ça colle d’entrée de jeu). Pas de mots, mais une image, une photographie originale. Autrement, carte blanche (ou plutôt, papier photo laissant apparaître une image une fois plongée dans le bain de matières premières aromatiques).
Le rapport entre le visuel et l’olfactif : si le premier inspire le second, l’un n’est pas l’illustration de l’autre, encore moins un pub. Photo et parfum – deux arts du multiple – forment une seule pièce (la photo est dans l’étui).
L’apport des internautes : Céline Verleure, la créatrice d’Olfactive Studio, a été l’une des pionnières de la culture parfum en ligne. Après être passée chez Kenzo où elle a participé à la création de Kenzo Jungle et de L’Eau par Kenzo, elle a lancé Osmoz.com il y a dix ans sur une idée de Firmenich. Pour sa nouvelle marque, elle a joué de la transparence née de la culture web avec son « Blog du parfum qui n’existe pas (encore) » sur Facebook, en consultant les internautes à chaque étape. Bien que ses panels informels n’aient pas été destinés à infléchir les formules, les amateurs ont été invités à sentir les différentes propositions et leur évolution (dans la mosaïque de photos, on reconnaîtra Octavian Coifan et… Diane Keaton ?).
Les noms, les flacons et les étuis reflètent les codes de la photographie : les parfums, quant à eux, s’inscrivent fermement dans ceux de la niche avec leur palette bois, résines, épices et leur esthétique dépouillée.
Inspirée par une photo de Luc Lapôtre, coiffeur de studio réputé passé derrière l’objectif, Nathalie Lorson de Firmenich (Encre Noire de Lalique, Profumo d’Acqua di Parma) a créé son Autoportrait dans l’esprit de son Poivre 23 pour Le Labo, vendu exclusivement à Londres. Tout comme elle rendait à la vanille sa vie secrète d’épice en la corsant de poivre dans ce dernier, elle brûle la douceur câline et baumée du benjoin en le jetant sur un lit grésillant d’encens, de cèdre et de vétiver. Entre sfumato et parfum, un point commun : la fumée. Une esquisse au fusain à l’élégance concise.
Si la jeune Dora Arnaud (Vanitas de Versace) a travaillé sur la Still Life du photographe de nature morte Frédéric Lebain, sa composition n’a rien de figé. Au contraire, ce cocktail de yuzu, de badiane et de rhum bouscule dès le débouché avec un entrain de party-girl pompette. Mais qu’on ne s’avise pas de lui planter un parapluie en papier dans le goulot : Still Life riposte avec une bouffée sternutatoire de spray au poivre (noire, rose, Sichuan) entraînant dans la foulée une base ambrox et cèdre sèche comme une gifle. Si c’est un cocktail, c’est de ceux qu’un cracheur de feu siroterait pour se mettre en condition. Comme l’accord truffe-et-pistache étonnant de Dora Arnaud pour le laboratoire de tendances Olfactive Design de Firmenich – l’un des plus intéressants de la série – Still Life est presque autant une saveur qu’une fragrance, et, sous ses faux-airs de citrus pimpant, tout aussi culotté.
Clémence René-Bazin, photographe et réalisatrice qui a travaillé pour l’agence Magnum et été l’assistante de Raymond Depardon, a proposé l’image d’une mystérieuse Chambre Noire qui m’a d’autant plus touchée que j’y ai reconnu le Nil, vu d’une chambre d’hôtel jadis occupée au Caire…
La seule demande faite aux parfumeurs par Céline Verleure était d’éviter les notes florales, qu’elle n’aime pas trop. Dorothée Piot de chez Robertet (Amouage Memoir Woman) a néanmoins introduit du jasmin en contrebande dans Chambre Noire. Ce n’en est pas pour autant un floral mais plutôt, au fond, une sorte de florilège des codes « niche » : fumé, avec des accents liquoreux et ces facettes violette-prune qui épousent si bien un cuir aux effets un peu gras… Des trois, Chambre Noire est sans doute celui qui a le plus de corps et de souplesse – comme si on avait prélevé quelques molécules du sillage de parfums classiques pour les mêler à de la fumée d’encens…
Les parfums d’Olfactive Studio, bien que d’auteurs différents, ont tous trois en commun une texture et une sorte de laconisme qui leur donne un effet très contemporain : ils relèvent d’un goût. Celui de Céline Verleure, qui, si elle n’a imposé aucun carcan à ses créateurs, a néanmoins choisi parmi leurs propositions. Manifestement, elle sait ce qu’elle veut. Il se pourrait bien qu’Olfactive Studio, par ses propositions cohérentes, se taille une vraie place dans un marché proliférant.
Autoportrait : Bergamote, élémi, benjoin, encens, musc, mousse de chêne, cèdre, vétiver.
Still Life : Yuzu, élémi, poivres rose, noir et Sichuan, badiane, galbanum, rhum brun, cèdre ambrox.
Chambre Noire : Schinus, jasmin, papyrus, violette, encens, pruneau, santal, patchouli, musc, vanille, accord cuir.
Quel plaisir de lire cette critique sur ces parfums qui m'ont bien plus.
RépondreSupprimerJe les trouve tous vivants, beaux, animés, mais comme d'une espèce différente. Comme un coup d'oeil indiscret jeté dans la vie d'un autre. Il me semble que la plus forte similitude avec la photo se trouve là plus que dans l'emballage.
Still life me donne l'impression de pétiller, d'une vie tout sauf still.
Autoportrait me semble plus contemplatif, serein, presque monacal.
Chambre noire, c'est un coup de coeur absolu.
Lalla,
Lalla, merci de ces "surimpressions"! J'avoue que sur le papier, Still Life n'était pas dans mes cordes mais que je l'ai trouvé de plus en plus intéressant avec son poivre... Chambre Noire, en principe, c'est aussi mon coup de coeur, mais j'aime aussi Still Life. Tous trois ont en effet quelque chose d'intime.
RépondreSupprimerOn les trouve où ces jolies créations ?
RépondreSupprimerDenyse, j'ai reçu en cadeau un coffret du nom de "Présences" qui établit des correspondances entre des sculptures papier de Claudine Drai et trois créations parfumées de trois parfumeurs différents dont Bertrand Duchaufour .
RépondreSupprimerLes trois parfums se nomment : " Présence" , " Imaginaire " et " Silence " .
Ces trois parfums sont accompagnés d'un livre avec des illustrations des sculptures,une explication de la rencontre entre les différents artistes et des textes plutôt complexes de Claudine Drai .
En avez-vous entendu parler ?
Anonyme: chez Jovoy et Marie-Antoinette à Paris, en dehors je ne suis pas tout à fait sûre, mais via le blog (si vous êtes sur Facebook) vous pouvez sûrement avoir des renseignements. Il me semble qu'il y aura un site web bientôt.
RépondreSupprimerZab63, non, inconnu au bataillon de mon côté...
RépondreSupprimerJe viens de recevoir l'annonce de ces parfums de First in Fragrance aka Aus Liebe Zum Duft... j'ai hâte de sentir Autoportrait et Chambre Noire. J'ai adoré Mémoir Femme.
RépondreSupprimerMerci Tara, comme ça on sait qu'on peut se procurer les parfums hors de France! Je pense que ça pourra te plaire.
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