Un fil rouge serpente sur le sol en feutre blanc ; des fils de cheveux d’ange au plafond accentuent l’impression d’être au sein d’un cocon de chenille. Nous venons de pénétrer dans une machine à voyager dans le temps, qui va nous projeter dans l’avenir de la parfumerie.
Les grandes sociétés de fragrances et d’arômes organisent régulièrement des événements destinés à présenter leurs nouveaux matériaux naturels ou synthétiques dans des compositions créées par leurs parfumeurs. L’occasion, pour ces derniers, de travailler dans une liberté de création totale, sans limite de budget, ce que même les marques de parfumerie alternative ne leur permettent pas forcément.
Ces présentations prospectives ultra-confidentielles sont réservées aux clients des labos. Cette année, Firmenich, qui participe déjà à la culture parfum en ligne depuis une décennie via Osmoz, a ouvert son Olfactive Design à un groupe d’auteurs de blogs basés à Paris. Le but n’est pas tant d’en faire la publicité, que de discuter avec des acteurs du monde du parfum qui n’ont pas de décisions à prendre sur des investissements produits ; qui envisagent la parfumerie essentiellement d’un point de vue esthétique. Seule condition posée à notre participation : ne pas entrer dans les détails de la présentation si nous choisissons d’en parler.
Ce qu’on nous invite donc à découvrir ici est la parfumerie de pointe dans son stade d’incubation, d’où le décor « cocon » : douze propositions, sélectionnées sur soixante-dix créations émanant de l’ensemble des parfumeurs de Firmenich, ainsi que huit prototypes de bases de parfum non-alcooliques. Ces travaux sont inspirés par quatre tendances société déterminées par une agence spécialisée, liées à notre rapport à l’innovation, aux plaisirs sensoriels, à la nature et à la haute technologie. Le but de l’opération est de faire passer certaines de ces propositions du cocon au papillon : autrement dit, qu’elles suscitent des produits commercialisés.
Les enjeux sont plus élevés que jamais. En 1995, cent cinquante parfums étaient lancés. En 2009, il y en a eu plus de mille. Le chiffre s’est stabilisé en 2010 et semble légèrement en baisse en 2011, mais quoi qu’il en soit, l’industrie semble en passe de succomber sous son propre poids, d’autant que les circuits de distributions ne sont plus adaptés.
Plus inquiétant encore, une proportion de la population semble avoir renoncé à tout achat parfum, notamment en conséquence de la crise, mais pas seulement. La désaffection face à des produits de plus en plus clonés les uns sur les autres, l’invasion du tout-parfumé dans l’environnement quotidien, des campagnes publicitaires qui martèlent inlassablement qu’un pschitt vous rendra irrésistible ou vous donnera un orgasme…Pas étonnant que les consommateurs soient désaffectés.
Certes, de nouveaux marchés comme la Chine ou l’Inde sont à conquérir ; d’autres à développer, comme l’Amérique Latine. Il n’en reste pas moins que les consommateurs occidentaux saturés doivent être reconquis, ce qui ne risque pas d’arriver si les marques s’en tiennent à leurs routines éculées. Quand on ajoute à cela le court-circuitage des intermédiaires par LVMH, les matières premières bon marché produites par des sociétés chinoises ou indiennes qui n’ont pas à supporté le coût de la recherche et du développement – auxquelles Firmenich consacre 10% de son budget annuellement – et on frôle l’état de crise. Les sociétés comme Firmenich en sont conscientes, d’où le titre de la présentation d’Olfactive Design cette année : « Save the Future ».
Une seule façon d’avancer : innover. Dans l’industrie du parfum, cela peut se traduire par des textures qui incitent les consommateurs à se parfumer autrement, avec des bénéfices hédoniques et éventuellement cosmétiques ajoutés. Ou bien par de nouvelles molécules qui agissent mieux ou différemment : un effet marin/salé qui ne sent pas le melon ou l’huître ; un effet vert frais qui agit dans les notes de fond, et permet donc un mode de développement tête-cœur-fond très différent ; un aldéhyde qui accentue la naturalité et la puissance des essences d’agrumes ; une molécule qui présente des qualités olfactives semblables, mais plus puissantes que celles d’un produit qu’on ne peut plus désormais utiliser en grande quantité, et qu’on peut donc utiliser en proportions infimes pour un effet prononcé.
C’est aussi projeter de nouveaux éclairages sur des matériaux et des odeurs connus. Ou encore, intégrer dans le registre des parfums des types d’odeurs qui n’ont pas encore été largement exploitées – le salé ou le terreux, par exemple – pour en révéler la beauté.
Mais pour que ces innovations soient acceptées, d’abord par les clients, puis par les consommateurs, il faut qu’elles soient dans l’air du temps, d’où le recours au trendcasting.
Les quatre tendances que Firmenich suggère d’exploiter sont chacune présentée par un petit film, suivi de la présentation de trois compositions et de deux prototypes de bases cosmétiques. Ces tendances débouchent sur un point commun : la nécessité de dépasser le discours parfum = séduction, piste largement défrichée par la parfumerie alternative mais quelque peu délaissée par les grandes marques, malgré des produits pionniers au début des années 90 (L’Eau Parfumée au Thé Vert de Bulgari ou Féminité du Bois de Shiseido, par exemple).
Les propositions ont été retenues pour leur originalité mais aussi parce qu’elles restent de l’ordre de l’assimilable : on fait de la prospective, certes, mais pour qu’elle aboutisse. Les parfumeurs le savent bien : les équipes marketing des marques clientes se lancent dans une création en réclamant à cor et à cri de l’originalité, puis font marche arrière au fur et à mesure du développement, de sorte qu’il ne reste plus que quelques paillettes de l’aile du papillon dans le flacon. Du coup, même si deux ou trois des créations présentées sont insolites, elles ne sont pas de nature à faire fuir à toutes jambes les représentants d’un Coty ou d’un L’Oréal, par exemple. En fait, plusieurs sont à la fois extrêmement innovantes et ravissantes, et pourraient parfaitement sortir telles quelles demain.
Ainsi, la réécriture du genre fleuri poudré musqué d’Alberto Morillas, propulsée dans une autre dimension par l’addition d’une nouvelle molécule qui le fait respirer. La réinvention du floral anisé, relevé de facettes aromatiques, par Daphné Bugey, via une essence naturelle jamais encore utilisée, puisée dans la pharmacopée chinoise. L’interprétation émouvante de l’odeur de l’argile par Olivier Cresp, qui joue sur des notes florales, racinaires et terreuses. Une évocation de la forêt amazonienne par Vincent Schaller. Deux nouveaux accords gourmands, l’un plutôt sucré par Richard Herpin, l’autre plutôt salé par Dora Arnaud. Enfin, encore une création du grand Morillas, éclairage inédit sur l’une des essences les plus classiques de la parfumerie, qui joue sur ses aspects frais et épicés plutôt que ses facettes crémeuses.
La découverte de ces esquisses puissantes est une expérience qui nettoie le nez et le cerveau, ainsi qu’une démonstration de la vitalité de l’art du parfum : on peut encore sentir autre chose, autrement. Combien de propositions de l’édition 2011 d’Olfactive Design aboutiront dans les rayons ? Il semble que les éditions précédentes aient parfois porté leurs fruits. Espérons que Firmenich pourra lâcher ses papillons dans les mois ou les années à venir.
Pour un autre compte-rendu de la présentation (en anglais), voyez 1000 Fragrances.
Illustration: Les Ecocoons du jeune architecte français Mathieu Collos. Cette image, je le précise, ne fait pas partie de la présentation de Firmenich.
Aurais-tu un exemple d'une précédente édition qui ait débouché sue un produit commercialisé ?
RépondreSupprimerA Scent par exemple produit par Firmenich pour Issey Miyake ?
Thierry, non, désolée, je n'ai pas assisté aux éditions précédentes pour pouvoir me repérer et aucun exemple n'a été donné. Mais je parierais assez sur la Cologne de Mugler par Alberto Morillas.
RépondreSupprimerVoilà des perspectives bien réjouissantes ! Le discours du futur JPG en paraît, du coup, d'autant plus ringard... oups, obsolète, pardon :
RépondreSupprimerhttp://parfum-homme.prime-beaute.com/marque-parfum-homme/jean-paul-gaultier-kokorico/2011
Il est temps en effet que les promesses changent... que j'aimerais être petite souris et mettre sous mon nez ces nouveaux jus !
Ce travail de prospective doit être passionnant.
Géraldine, on est quand même dans le registre de l'humour et du clin d'oeil, ce qui est très Gaultier. Pour le coup, justement, et sans avoir senti le produit, je trouve que ça se démarque.
RépondreSupprimerUn peu de deuxième degré serait une sacrée bouffée d'air frais dans cet univers aux codes si inamovibles... le marketing JPG joue sans doute sur les deux registres -je l'espère en tout cas. Il est vrai que les notes listées sont alléchantes.
RépondreSupprimerGéraldine, l'humour a toujours fait partie de l'ADN de JPG! En effet, c'est plutôt rare dans le mainstream... et même dans les parfums de niche, à part nos amis d'Etat Libre d'Orange.
RépondreSupprimerHumm, très prometteur tout ça! Merci pour le petit aperçu...
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