Le système mis en place dans l’industrie du parfum il y a plus d’un demi-siècle serait-il en train d’éclater ?
Comme la plupart d’entre vous le savent, ce ne sont pas les marques qui possèdent les formules de leurs parfums à moins d’avoir un parfumeur maison, mais les labos qui les développent, dont les parfumeurs sont des salariés. Ils s’assurent ainsi d’être les seuls fournisseurs possible du concentré (les matériaux aromatiques, sans l’alcool). Mais les formules ne sont ni protégées[1], ni même brevetées pour en protéger le secret, bien que la chromatographie en phase gazeuse permette de les déchiffrer dès l’instant où elles sont mises sur le marché.
Le système régissant les rapports entre les maisons de composition et leurs clients repose donc sur une espèce de gentlemen’s agreement respecté depuis plusieurs décennies. Ou plutôt reposait, puisque LVMH a décidé de ne plus tout à fait jouer le jeu, comme l’explique la journaliste Nicole Vulser dans un article publié par Le Monde le 28 mai 2011, intitulé “Le groupe LVMH se réapproprie la fabrication de ses parfums”. Dans l'industrie, on savait. Maintenant, c'est dit.
Quand LVMH a engagé François Demachy comme directeur du développement olfactif pour le groupe, c’était entre autres pour composer des formules dont le groupe serait propriétaire et produirait directement dans ses usines : les innombrables flankers qui pourraient éventuellement détrôner les originaux produits en externe, ce qui serait bien entendu tout à l’avantage du groupe, mais aussi de nouvelles créations comme les Escales de Dior ou la Collection Privée (lancée initialement sous le nom de Collection Couturier Parfumeur). De nouvelles concentrations des classiques ont également été introduites, telle cette eau de parfum de Diorissimo signée non plus Edmond Roudnitska mais François Demachy, l’eau de toilette demeurant la formule originale revue et corrigée IFRA.
Mais d'après Le Monde, François Demachy a également reformulé certains produits-phares de façon à ce qu’il ne soit plus nécessaire d’en passer par les labos qui les ont créés. Les quatre parfums cités sont Miss Dior Chérie de Christine Nagel pour Givaudan, dépouillé de ses notes fraise des bois et popcorn et renommé Miss Dior (le parfum de 1947 sera désormais appelé Miss Dior Original) ; Dior Homme d’Olivier Polge pour IFF, acclamé par les critiques mais qui apparemment n’aurait pas rencontré le succès escompté ; Fahrenheit par Jean-Louis Sieuzac pour Symrise et Kenzo Flower par Alberto Morillas pour Firmenich.
LVMH agit d’ailleurs en toute légalité car une formule, même légèrement modifiée, devient un produit différent. Et comme LVMH est propriétaire de tout sauf de la formule originale, la société peut mettre ce qu’elle veut dans un flacon et sous le nom dont elle est propriétaire.
L’article du Monde précise également que LVMH ne se contente plus de mélanger le concentré et l’alcool dans ses usines, mais produit une partie des concentrés, se réappropriant ainsi d’office une partie des formules ; l’achat de matières premières a également été centralisé pour plusieurs marques appartenant au groupe (Dior et Guerlain restant autonomes).
LVMH dépensera donc moins pour des parfums fabriqués en interne, ou en achetant des quantités plus importantes de matières premières. Il n’est pas entièrement impossible que certains produits bénéficient d’une meilleure qualité de celles-ci, voire que certaines formules soient améliorées par un rajustement post-reformulation précipitée pour cause d’amendements IFRA. Il n’en reste pas moins qu’il s’agit d’une manœuvre de gros bras à l’égard des parfumeurs qui ont signé ces produits, des labos qui les ont développés et des consommateurs qui les ont adoptés.
Que l’information soit désormais connue du public, du moins le lectorat du Monde, ne fera sûrement pas bouger d’un iota la politique de M. Arnault en la matière. Mais il sera intéressant de voir comment – ou si – les grosses sociétés comme Givaudan, IFF, Firmenich ou Symrise réagiront à la nouvelle donne, sachant que LVMH reste un client important pour nombre de leurs produits… Augmenteront-elles le nombre de captifs dans leurs formules de façon à les rendre impossible à reproduire sans en altérer le profil olfactif de façon trop prononcée ? Et d’autres groupes de luxe adopteront-ils la même politique de "rapatriement" que LVMH ?
En attendant, s’il vous reste un flacon de Dior Homme acheté à son lancement, conservez-le soigneusement : c’est une pièce de musée.
[1] D’après un arrêté de la cour de cassation du 16 juin 2006 « la fragrance d’un parfum ne constitue pas la création d’une forme d’expression pouvant bénéficier de la protection des œuvres d’art ».
Contretyper une formule en présentant un flacon très proche (en l'occurrence ici inchangé), ne pourrait-on pas parler de contrefaçon ? Un débat à soulever.
RépondreSupprimerJe ne suis pas juriste, mais si une formule n'est ni protégée par le droit d'auteur, ni brevetée, comment arguer d'une contrefaçon? Le seul précédent est Angel vs. Nirmala. Par ailleurs, la pratique du twist (une formule dans laquelle on a juste changé quelques éléments) est tellement répandue qu'on peut supposer qu'aucun labo ou aucune marque n'est disposer à s'aventurer dans ce marigot.
RépondreSupprimerEst-ce à dire que, ça y est, les flacons de Dior Homme qui circulent maintenant, n'en sont plus vraiment (du vrai Dior Homme) ?
RépondreSupprimerC'est trop tard ?
Si c'est le cas, je vais m'en mordre les doigts !!!!
Laurence, c'est bien ce que j'ai cru comprendre...
RépondreSupprimerah j'allais vous poser la même question ! Cela fait un bout de temps que j'ai envie de craquer pour Dior Homme et que je me retiens... Ce serait trop tard ??
RépondreSupprimerMerci pour cet article très interessant, merci oui même si vous y jouez la Cassandre, c'est tout de même mieux de le les savoir, les mauvaises nouvelles...
alizarine
Alizarine, à vrai dire que je ne fais que rapporter le contenu de l'article de Nicole Vulser, qui ne semble plus accessible gratuitement sur le site du Monde, sinon je l'aurais simplement mis en lien.
RépondreSupprimerPour autant que je sache, en effet les reformulations ont déjà eu lieu, et ce ne sont sans doute pas les premières. Qu'elles aient amélioré les produits ou pas... c'est une question d'opinion. Je n'ai pas re-senti Dior Homme dernièrement mais j'imagine qu'il a pu être "masculinisé", car le côté "androgyne" des collections de Hedi Slimane n'est plus de mise...
A chaque fois que le groupe LVMH en remet une couche, je me dis à chaque fois : l'heure du boycott est arrivée!! Mais à chaque fois cela tombe à l'eau.
RépondreSupprimerCette attitude du client n'est cela dit pas étonnante : les marques veulent reprendre le contrôle de leur produit. Cela correspond bien à l'adage "Le client est roi" et on pourrait rajouter "il fait ce qu'il veut". La dictature de la finance fait de nouvelles victimes lorsque ce n'est pas la psychose générale sur la sécurité sanitaire.
Concernant Dior Homme, tu as bien pressenti le changement, il s'agit bien d'une masculinisation nette de la nouvelle formule : la note douce de carotte a été atténué et la rondeur de la note cacao largement lissée. Il est désormais plus sec, plus râpeux... définitivement moins intéressant.
En signe de protestation, je m'en suis arrosé ce matin (version 2007).
Juliette, il est fort à craindre que cela n'aille pas en s'améliorant puisque comme tu dis, le client peut dicter ses conditions: ne serait-ce qu'en tant que fournisseurs de MP les labos sont un peu coincés.
RépondreSupprimerLes changements que tu relèves dans Dior Homme ne m'étonnent pas du tout: le produit, très innovant, n'a pas eu le succès escompté et on l'a donc manifestement ramené vers des codes plus... bleus? Quant à Miss Dior ex-Chérie, c'est le côté teenage-girly qui a été raboté pour en faire un produit-phare, puisque le vrai Miss Dior ne peut plus être considéré comme symbolique de la marque, ne correspondant plus aux goûts des consommatrices. Pour Fahrenheit, il avait déjà pris un sale coup via l'IFRA...
Ah je comprends pourquoi maintenant!!
RépondreSupprimerJ'ai voulu m'acheter Dior Homme récemment, à cause de sa note d'iris qui m'avait laissé un excellent souvenir. Et je n'ai pas reconnu le parfum, plus "masculinisé" vous avez senti juste. La note iris aussi a été estompée. Au point que j'avais pensé m'être trompée de parfum!
Je suis allée le sentir dans un autre magasin où il était irisé comme dans mon souvenir. L'Ifra est passé par là. m'étais-je dit.
Dommage... D'autant que F. Demachy a fait des choses plus inspirées chez Dior.
VH
VH, le talent de François Demachy n'est bien évidemment pas en cause, et certains de ses flankers par exemple (je pense à J'adore l'absolu et à Kenzo Flower Essentielle) sont magnifiques, tout comme plusieurs des parfums de la Collection Privée.
RépondreSupprimerL'IFRA a bon dos parfois! Les reformulations ne sont pas toutes dues aux restrictions, il est bon de le savoir... et rageant de le constater.
Miss Dior Chérie qui devient Miss Dior "tout court" et Miss Dior qui devient Miss Dior Original ? Il y a de quoi s'emmêler les pinceaux ... Enfin, du moment qu'ils ne reformulent pas trop le "vrai", celui qui ne correspond plus aux goûts modernes, mais qui correspond aux miens ...
RépondreSupprimerZab, d'après ce que j'ai cru comprendre, ce sont les clientes et les vendeuses qui ne s'y retrouvaient plus car lorsque les premières demandaient "Miss Dior", elles parlaient bel et bien du "Chérie", ne soupçonnant sans doute même pas l'existence de la version 1947... Qui pour sa part a subi bien des variations lors de son existence. Je n'ai pas senti de versions suffisamment proches de l'original pour en parler correctement, mais dès les années 60 il semble qu'il y ait eu quelques... comment dit-on déjà? Dérives? En tous cas, il est suffisamment symbolique pour que Dior le conserve, c'est déjà ça.
RépondreSupprimerBonjour, a votre avis, peut on encore trouver Dior Homme avant sa masculinisation ?
RépondreSupprimerBonne question... à laquelle je n'ai malheureusement pas de réponse. Il faudrait repérer des détaillants possédant des stocks datant de plus de deux ans. J'ignore si les flacons actuels sont modifiés par rapport à ceux du lancement, c'est souvent une bonne manière de se repérer.
RépondreSupprimerPeut-être dans les petite parfumeries de Paris. Ils ne vendent pas autant que les grands magasins, ils en ont peut-être en stock. J'irai voir si le packaging a changer et de la on verra.
RépondreSupprimerQu'en pensez- vous ?
C'est une option... mais il reste bien peu de petites parfumeries indépendantes à Paris!
RépondreSupprimerPour répondre à une question précédente, le changement de packaging qui peut aider est de regarder le tube qui plonge dans le jus : sur les bonne version ce tube est en métal brossé alors que sur les version récentes il est noir.
RépondreSupprimerMerci J., il me semblait que c'était quelque chose dans cet esprit-là... Avis, donc, aux intéressé(e)s.
RépondreSupprimerMais là pour le moment Miss Dior Chérie a toujours une étiquette avec le nom Miss Dior Chérie... à quand le vrai changement de nom?
RépondreSupprimerCédric, je n'ai pas d'informations précises là-dessus mais je pense qu'on pourrait tabler sur l'automne prochain. Vous remarquerez que la dernière campagne amorce le virage en utilisant une corps de caractère plus petit pour le mot "chérie".
RépondreSupprimerMince alors. j'apprends la nouvelle pour Miss Dior Chérie. Je conserve donc précieusement mon flacon qui date.
RépondreSupprimerSi j'ai bien compris c'est la nouvelle formule que nous avons actuellement
Angélita, je ne sais pas avec précision quand Miss Dior ex-chérie a été reformulé (c'est-à-dire quand les notes fraise des bois et popcorn ont été retirées), mais cela date d'avant cette nouvelle présentation.
RépondreSupprimerConcernant Miss Dior Original (extrait de parfum),je peux témoigner d'une triste expérience après l'achat d'un flacon à Noël : l'extrait ne sent rien. Je l'ai renvoyé chez Dior, qui me dit (après un mois d'analyse) qu'il est conforme et que les notes s'itensifient avec le temps... ils m'en ont renvoyé un flacon qui est toujours aussi muet... c'est à pleurer.
RépondreSupprimerMarie, j'ai sous le nez à l'instant même une mouillette imprégnée de l'extrait de Miss Dior dans une version relativement récente (sous l'étui, le n° de lot est 0Y 01) qu'on m'a offerte il y a environ un an. Ce n'est certes pas le même parfum que le vintage, car il est plus aldéhydé et jasminé en tête, mais enfin, il sent, et beaucoup! Alors je suis perplexe...
RépondreSupprimerCelui-ci est marqué 1Z01 - je pense qu'il est très récent car quand j'ai voulu en acheter en novembre il n'y en avait nulle part et les Galeries Lafayette m'avaient dit qu'ils ne pensaient pas être réapprovisionnés - et puis en décembre, peu avant Noël, il est arrivè partout (sephora, GLF) des présentoirs de tous les parfums Dior. J'ai essayé sur des mouillettes à ce moment là l'esprit de parfum (super! Durait plusieurs jours sur la mouillette) et même l'Edt qui dure moins longtemps mais quand même - mais là j'en mets derrière les oreilles, sur la base du cou, entre les seins et rien - on ne sent rien - même en collant son nez dessus... Quand ils m'ont dit (au tel) que les notes s'intensifieraient avec le temps, je leur ai demandé de me l'écrire mais biensúr ils m'ont dit que c'était hors de question - moi je pense que c'est un lot raté ou baclé pour respecter une échéance commerciale...
RépondreSupprimerDonc, un lot différent et manifestement défectueux -- les notes peuvent se "placer" avec macération (l'ajout d'alcool au concentré) mais pas apparaître comme par magie. Manifestement, ce "Miss Dior Original" a subi une reformulation supplémentaire...
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