Sentir. Parler. Ou les deux en même temps. Comme tous les salons professionnels – ou d’ailleurs n’importe-quel vernissage – le Salon des Matières Premières est, autant que l’occasion de découvrir de nouveaux produits, celle des retrouvailles ou des rencontres. On ne peut pas y avancer d’un mètre sans tomber sur une connaissance, ce qui rend la progression de stand en stand à la fois excessivement lente et extrêmement agréable. Je n’avais d’ailleurs pas encore dépassé le premier stand, Firmenich, lorsque j’ai été hélée par Olivier Maure, l’un des types les plus adorables de l’industrie, que j'avais rencontré pour mon livre. Olivier dirige Art et Parfum, la société fondée par Edmond Roudnitska, où il est entré à l’âge de dix-neuf ans. Il a aussi fondé Accords et Parfums, où sont produits les concentrés d’une trentaine de parfumeurs indépendants : une société en pleine croissance, fondée sur la qualité, l’intégrité artistique et le plaisir de travailler avec ceux qui ont repris le flambeau de M. Roudnitska en défendant le beau parfum. Il était d'ailleurs accompagné de l'une d'entre eux, venue de Nouméa : la merveilleuse Sandrine Videault, dont nous aurons l'occasion de reparler dans quelques mois.
De là, ça ne s’est pas gâté, loin de là, puisque j’ai pu croiser dans les allées Isabelle Doyen qui est avec Sandrine ma marraine à la SFP, Mathilde Laurent, Bertrand Duchaufour, Patricia de Nicolaï, Marc-Antoine Corticchiato, Mathilde Bijaoui et Dominique Ropion. L’érudit (et très drôle) Jean-Marie Martin Hattemberg, expert en patrimoine du parfum, nous a régalées, Annick Le Guérer et à moi, de l’histoire de la cantatrice polonaise Ganna Walska, si dénuée de talent que son mari milliardaire devait payer le public pour assister à ses concerts, et qui a servi de modèle à Orson Welles pour le personnage de Susan Alexander dans Citizen Kane. Ganna Walska, mariée six fois, avait lancé une ligne de parfums dont le produit vedette s’appelait Divorçons (1927).
J’ai aussi eu une longue conversation avec Raymond Chaillan, qui a signé ou cosigné des classiques tels qu’Yves Saint Laurent pour Homme, Anaïs Anaïs, Opium et Givenchy III. Il envisage de développer dans un ouvrage les propos de sa conférence du 10 février dernier à la SFP, remarquable par son franc-parler : je l’y ai vivement encouragé, car l’industrie a un besoin pressant de préserver une mémoire et des connaissances qui ne se perpétuent essentiellement que par la tradition orale…
Bien entendu, tout n’était pas que champagne, petits fours et conversations : nous étions venus sentir ce que la quarantaine d’exposants du monde entier avaient à proposer. J’ai ainsi pu accompagner quelques parfumeurs lors de séances d’olfaction, mais comme je ne leur ai pas demandé la permission de les citer, je ne peux que résumer les impressions générales recueillies lors de ces séances et des discussions qui les ont suivies.
J’ai d’abord été frappée de constater à quel point la pression de sortir des nouveautés est identique chez les producteurs de matières premières et chez les marques. Dans plusieurs cas, ces « nouveautés », en tous cas en ce qui concerne les produits naturels, sont des essences « couture », c'est-à-dire fractionnées ou traitées de façon à éliminer certaines caractéristiques. Par exemple, pour se conformer aux goûts du marché : ainsi, cette vanille dépouillée de ses facettes animalisées et médicinales pour plaire aux USA… Patchouli nettoyé de ses facettes camphrées ou terreuses, cardamome tirée vers le citrus, et ainsi de suite.
L’IFRA est en partie responsable de ce toilettage, puisqu’il s’agit d’atténuer la proportion de molécules allergènes (ce qui a forcément un impact sur l’olfactif). Mais pas que : si les naturels se font ainsi soustraire leurs facettes les plus rétives, c’est pour les rendre plus faciles à manier. Lorsqu’on n’a pas à se coltiner la pleine complexité d’une essence naturelle, on peut travailler plus vite, sans les surprises que réservent des matériaux plus complexes. Du coup, on obtient ce que j’ai appelé ailleurs des iFrags : des parfums plus minces et plus propres sur eux. On peut se demander si les jeunes parfumeurs pourront désormais connaître la véritable richesse de la palette de leurs prédécesseurs…
L’IFRA est en partie responsable de ce toilettage, puisqu’il s’agit d’atténuer la proportion de molécules allergènes (ce qui a forcément un impact sur l’olfactif). Mais pas que : si les naturels se font ainsi soustraire leurs facettes les plus rétives, c’est pour les rendre plus faciles à manier. Lorsqu’on n’a pas à se coltiner la pleine complexité d’une essence naturelle, on peut travailler plus vite, sans les surprises que réservent des matériaux plus complexes. Du coup, on obtient ce que j’ai appelé ailleurs des iFrags : des parfums plus minces et plus propres sur eux. On peut se demander si les jeunes parfumeurs pourront désormais connaître la véritable richesse de la palette de leurs prédécesseurs…
Ces nouvelles matières sont, en général, présentées par des parfumeurs-maison qui font leur « pitch » pendant qu’on sent, ce qui ne permet pas forcément la concentration nécessaire à la découverte : de toute façon, les parfumeurs viennent pour faire un shopping d’échantillons, commandés en fin de séance, qu’ils découvriront plus tard tranquillement. Des exceptions tout de même à ces présentations très encadrées : le stand très cool d’Arômes du Maroc, où l’on a notamment découvert des concrètes de verveine et de lentisque fabuleuses, et celui de Cedarome, proposant des essences de conifères, qui embaumait la forêt canadienne…
Le stand de Mane était tellement pris d’assaut pendant deux jours que je n’ai pu y accéder que dans les dix dernières minutes du Salon. Et pour cause : c’était la présentation la plus ludique. Essence de baie rose encapsulée dans une boisson à la mangue, bonbons en gelée en forme de pyramides aromatisés à la vanille – dont la facette animale évoquait les chameaux --, gingembre sous forme de rouge à lèvres… La société grassoise, lauréate de deux prix de la Fragrance Foundation pour Tilda Swinton Like This et Womanity, a décidément le vent en poupe.
J’ai également compris, brusquement, à quel point la parfumerie était un métier proprement surréaliste en écoutant la description d’une base qui sentait à la fois l’oxyde de rose et la mandarine, suscitant la vision impossible d’un agrume poussant au coeur d'une fleur. Ces matières hybrides, irréelles, contre-nature, traduisent en odeurs l'analogie de Lautréamont : « beau comme la rencontre fortuite d’un parapluie et d’une machine à coudre sur une table d’opération »...
Au fond, quand on écarquillait les narines, ce Salon des Matières Premières était, plus qu’un lieu de rencontres professionnelles, un portail donnant sur le Pays des Merveilles où les parfumeurs feraient office de Chapeliers Fous, de Lièvres de Mars et de Chats du Cheshire… Et où comme Alice, je n’ai cessé de me répéter « de plus en plus curieux ».
Illustration tirée d'Alice au Pays des Merveilles de Tim Burton.
Quelle chance d'avoir assisté à ce salon car certaines matières premières se respirent comme des parfums composés tant elles sont riches. Je suis sûre que ces produits allégés restent intéressants tant la Nature est variée. Y avait il beaucoup de matières synthétiques ou surtout du naturel? As tu eu des coups de foudre pour certaines? Je suis en train de lire The Emperor of Scent alors évidemment ce salon y fait écho par certains aspects... Au plaisir de te lire ou de te revoir.
RépondreSupprimerRebecca, j'ai adoré la concrète de lentisque du Maroc, c'est ce qui m'a le plus frappée, c'était une forêt... Mais je suis loin d'avoir tout senti! Je dirais presque qu'en écrivain, je me rappelle plus des circonstances, des gens avec qui j'étais, que des MP en elles-mêmes puisque contrairement aux parfumeurs je n'avais pas à me demander comment je pourrais utiliser telle ou telle matière, ou si elle apportait quelque chose d'inédit dans ma palette...
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