jeudi 30 décembre 2010

Bases are the basis of modern perfumery... Notes on Jean Kerléo's conference at the Osmothèque


Back in the days when synthetics were still relatively new in the perfume industry, they weren’t served up raw, but presented in a setting that was really a mini-perfume, to make them less jarring and show off their potentialities. Those mini-perfumes were called bases, and they were the springboard of some of the greatest compositions of the 20th century. Without bases, we would have no L’Origan, no Nuit de Noël, no Knize Ten; none of the wonderful Patous re-edited in Ma Collection…  Some of the perfumers who composed them, like Henri Robert (Chanel N°19) and his nephew Guy (Madame Rochas), or Edmond Roudnitska who worked for De Laire before striking out on his own after the success of Femme, went on to make names for themselves.  Others, like Marius Reboul or Marie-Thérèse de Laire, will remain the unsung heroes of the industry…

Over thirty bases by De Laire, Firmenich (formerly Chuit Naef), Givaudan and Synarome, along with some of the perfumes in which they were featured, were presented at the Osmothèque on December 11th by Jean Kerléo, former in-house perfumer for Jean Patou, founder and ex-chairman of the Osmothèque, assisted by Pascal Sillon, perfumer at Symrise in charge of De Laire (which through a combination of mergers and acquisitions ended up as part of Symrise).

Smelling practically sixty different bases and perfumes in a little over two hours made it practically impossible to stop and ponder on the various compositions: it was all I could do to write down the names of the things and take a couple of notes… 
Among the bases presented, De Laire’s Ambre 83 was incredibly familiar: it is the note that pretty much invented what we call amber, though it was actually composed to “sell” vanillin.
The Cuir de Russie base, also by De Laire, has got nothing to do with the eponymous Chanel fragrance: with, possibly, birch tar and isobutyl-quinolin, it fairly reeks of the cobbler’s shop and was the core of the mythical Knize Ten by Vincent Roubert.
Marie-Thérèse de Laire’s fabled Mousse de Saxe, also built around isobutyl-quinolin, was presented alongside Caron Nuit de Noël but also Habanita, whose author remains a mystery even to the owners of Molinard, which is considered a variation on the Mousse de Saxe theme. As an aside, we learned that Caron no longer buys its Mousse de Saxe from De Laire’s owner Symrise…
A Givaudan base called Melittis (salicylates, coumarin, eugenol) made up one third of Patou Moment Suprême, by Henri Almeras. Moment Suprême itself is thought by Mr. Kerléo to be a variation on an obscure Rosine perfume called Habera (produced after Paul Poiret had sold off his house). It is also, says Mr. Kerléo, the probable template of Elizabeth Arden Blue Grass, composed in all likelihood by Henri Almeras as well, since he accepted commissions from other brands while working as the in-house perfumer of Jean Patou: Blue Grass is built around Melysflor, a Firmenich base that is the equivalent of Givaudan’s Melittis. Melysflor is also featured in Carven Vetiver and Yves Saint Laurent pour Homme (according to Raymond Chaillan, who composed it with Jacques Jantzen and was present at the conference). From Moment Suprême to Blue Grass to YSL pour Homme… bases are the DNA that allows us to trace perfume filiations.

Discovering those bases and seeing them pop up in different perfumes also made me realize that the heroic myth of the genius perfumer of the first half of the 20th century, churning out masterpieces in his ivory tower, was just that: a myth. These people were brilliant: they did turn out great perfumes, sometimes even masterpieces. But they were not the sole authors of their compositions, working in splendid independence. They knew how to assemble novel and seductive forms, but those forms sometimes owed much of their beauty to the talent of the perfumers who came up with the bases in the first place.
Take, for instance, the epochal L’Origan, by François Coty: at least six bases or specialties (i.e. molecules with a special twist that were exclusive to the labs that produced them) joined the jasmine, rose, neroli and orange blossom, as well and the infusions of ambergris, civet and musk: Bouvardia, Flonol, Foin Rigaud, Coralys, Dianthine, Iralia…

And therein lies the difficulty of keeping many classic perfumes in production, since several of the bases that went into them ceased being produced not only for reasons of price, regulations or availability of materials, but because as technicians retired, there was a “knack”, a certain way of heating balsams and resins, for instance, that wasn’t handed down. Much of the culture of perfumery is immaterial: oral knowledge, certain types of know-how. Skip a link in passing down that heritage, and it evaporates like a drop of perfume.

The very capability of the Osmothèque to reproduce perfumes from the past will soon be compromised, as stocks of discontinued bases dwindle and companies stop making them, so that whole swathes of the history of perfumery will be irretrievably lost.
The prospect is, to say the least, alarming, especially since there's not much we can do about it. All the more reason to rush to the Osmothèque while we can still experience them directly. A New York branch is in the works, which will make the jaunt less daunting for American perfume history buffs. Patricia de Nicolaï is also keenly aware that a Paris branch – for now, we have to trek to Versailles, and it’s quite a hike from the train station – would give a boost to the institution.
I hope good news on that front comes in 2011. Every time I cross the Boulevard Périphérique, I get a nosebleed.

Les bases sont la base de la parfumerie... Quelques notes sur la conférence de Jean Kerléo à l'Osmothèque

A l’époque où les matériaux synthétiques étaient encore relativement nouveaux, leurs fabriquants ne les présentaient pas à leurs clients à l'état brut, mais sertis dans un mini-parfum pour atténuer leur brutalité et démontrer leur potentiel. Ces mini-parfums s’appelaient des bases ; ces bases ont servi de point de départ à certaines des plus belles compositions du 20ème siècle.
Sans bases, pas d’Origan, de Nuit de Noël, ni d’Iris Gris ou de Knize Ten ; aucun des merveilleux Patou repris dans Ma Collection n’auraient vu le jour… Certains des parfumeurs qui composaient ces bases – et qui, souvent, étaient chargés de les « vendre » aux parfumeurs maison – ont poursuivi leur carrière en signant de grandes compositions : Henri Robert (Chanel N°19) et son neveu Guy (Madame Rochas), par exemple, ou encore Edmond Roudnitska qui travaillait chez De Laire au moment où il créa Femme. D’autres, comme Marius Reboul ou Marie-Thérèse de Laire, demeureront à jamais les génies inconnus de l’industrie.

Une trentaine de bases de De Laire, Firmenich (autrefois Chuit Naef), Givaudan et Synarome, ainsi que certains des parfums où elles figurent, ont été présentées à l’Osmothèque le 11 décembre 2010 par Jean Kerléo, anciennement parfumeur-maison de Jean Patou, fondateur et premier président de l’Osmothèque, secondé par Pascal Sillon, parfumeur chez Symrise chargé de de Laire (absorbé par Symrise au gré du jeu des fusions et acquisitions).

Ce sont donc soixante bases et parfums qui nous sont passés sous le nez en moins de deux heures – à peine le temps de noter leurs noms et de les glisser dans leurs pochettes. De ce voyage-éclair dans l'histoire de la parfumerie, voici quelques notes et les réflexions que les propos de M. Kerléo m’ont inspirés.
Parmi les bases présentées, l’Ambre 83 de De Laire, dont on nous a même fait sentir un fût, était immédiatement reconnaissable : bien qu’elle ait été composée pour « vendre » la vanilline, cette base est pratiquement la matrice de ce que nous entendons par « ambre »…
En revanche, le Cuir de Russie de De Laire n’évoque en rien celui de Chanel : conçu autour du bouleau et de l’isobutyl quinoléïne (point d'interrogation dans mon cahier), il dégage une puissante odeur de tannerie et de cordonnerie. C’est ce cuir de Russie-là qui forme le cœur du mythique Knize Ten de Vincent Roubert.
La légendaire Mousse de Saxe composée par Marie-Thérèse De Laire, aussi composée autour de l’IBQ, était présentée avec Nuit de Noël de Caron mais également Habanita (dont l’auteur reste un mystère même pour les propriétaires de Molinard), considéré comme une variation sur le thème de la Mousse de Saxe… On a appris en passant que Caron n’achète plus cette base chez l’actuel propriétaire de De Laire, Symrise.

Une base Givaudan, Melittis (salicylates, coumarine, eugénol), compose un tiers du Moment Suprême de Patou, par Henri Almeras. Ce parfum est d’ailleurs, selon Jean Kerléo, une variation sur un Parfum de Rosine obscur, Habera (produit après que Paul Poiret ait revendu la maison et peu avant sa fermeture), composé par Henri Almeras à l’époque où il travaillait chez Poiret. C’est aussi, toujours selon M. Kerléo, le modèle du classique Blue Grass d’Elizabeth Arden, également composé semble-t-il par Henri Almeras qui acceptait des commandes d’autres marques tout en étant parfumeur maison chez Jean Patou. Blue Grass est construit autour d’une base équivalente à Melittis de Givaudan, Melysflor de Firmenich : on retrouve également ce Melysflor dans le Vétiver de Carven et Yves Saint Laurent pour Homme (ce dernier détail étant fourni par Raymond Chaillan, qui y a travaillé avec Jacques Jantzen, et qui était présent à la conférence). De Moment Suprême à YSL pour Homme en passant par Blue Grass : qui l’eut cru ? Les bases sont des traces d’ADN qui permettent de reconstituer une généalogie des parfums.

En découvrant ces bases et la façon dont elles ont été exploitées dans différents parfums, j’ai compris que le mythe héroïque du parfumeur de génie de la première moitié du 20ème siècle, signant en solo ses chefs d’œuvre dans sa tour d’ivoire, n’était que cela : un mythe.  Ces parfumeurs n’étaient pas forcément les seuls auteurs de leurs compositions. Car s’ils savaient assembler les bases qu’on leur présentait de façon à proposer des formes nouvelles et séduisantes, ces formes elles-mêmes devaient une part de leur beauté au talent des parfumeurs qui avaient composé les bases…
Par exemple, L’Origan de François Coty comptait au moins six bases ou spécialités (c’est-à-dire des molécules produites de façon à avoir des caractéristiques particulières, exclusivités des labos qui les fabriquaient) en plus du jasmin, de la rose, du néroli et de la fleur d’oranger, et des infusions d’ambre gris, de civette et de musc : Bouvardia, Flonol, Foin Rigaud, Coralys, Dianthine, Iralia…
On comprend aussi, au travers des anecdotes de M. Kerléo, que les bases dépannaient les parfumeurs un peu flemmards -- ce n'est pas d'hier qu'il faut sortir un parfum en vitesse. Parfois, une création se résumait à l'habillage d'une belle base, et basta. 

C’est d’ailleurs en partie ce large recours aux bases qui rend si difficile de continuer à produire certains parfums anciens : plusieurs des bases inclues dans leurs formules ne sont plus produites, non seulement pour des raisons de coût, de réglementation ou de disponibilité des matériaux, mais aussi parce que le « tour de main » nécessaire à les produire, certaines façons de chauffer les baumes et les résines, par exemple, s’est perdu au fur et à mesure que les techniciens partaient à la retraite. Le savoir du parfum est en grande partie immatériel, oral, comme on s'en rend compte en écoutant M. Kerléo, qui fait régulièrement référence à ses conversations téléphoniques avec Guy Robert...
La capacité même de l’Osmothèque à reproduire les parfums du passé sera bientôt compromise, au fur et à mesure que les stocks de bases disparues s’amenuisent, ou qu’on cesse de les fabriquer, de sorte que ce sont des pans entiers de l’histoire du parfum qui vont bientôt s’effondrer.

La perspective est pour le moins alarmante, d'autant qu'on n'y peut pas grand chose. Raison de plus pour se précipiter à l’Osmothèque pendant qu’on peut encore faire l’expérience physique des parfums du passé… On attend d’ailleurs avec impatience que l'institution ouvre enfin une branche parisienne, susceptible d’atteindre un public beaucoup plus nombreux (passé le Périphérique, personnellement, je saigne du nez).

J’espère que Patricia de Nicolaï sera en mesure de nous annoncer cette bonne nouvelle en 2011 !

mardi 28 décembre 2010

My Top 10 Perfumes for 2010

Top tuberoses...
Vamp à NY by Honoré des Prés and Nuit de Tubéreuse by L'Artisan Parfumeur
Tuberose may well be the ultimate in femininity, while vetiver is just one notch short of the big old-fashioned fougère as the top marker of olfactory virility – at least, that’s what came out of the admittedly unscientific survey I took of my readers some time ago.
So what does it say about the gender politics of the perfume industry that at least three brands, Prada, L’Artisan Parfumeur and Dior in their Chanel Exclusives copycat line, came up with both a tuberose and a vetiver in 2010? Though I doubt that was the line of thinking in the marketing department: offering a tuberose and a vetiver is just a way of ticking the boxes of what any perfume collection must offer… And offering a tuberose is something of a necessity, since the received wisdom in the industry is that the Fracas-addicted American market craves tuberose. It is also sure to attract the attention of niche brand customers, who tend to veer towards the more reputedly “difficult” notes of the spectrum (Frédéric Malle, for instance, knew he’d offer a tuberose in his line-up from the outset).
So in 2010 the olfactory fashion pendulum swung hard towards the diva of the floral world:
Infusion de Tubéreuse (Prada) and New Look 1947 (Dior) represented the big-hitters’ entries with tame versions, the former soapy, the latter cosmetic. On the niche side, Histoires de Parfum hedged its bets by matching it up with iris-suede, fruitchouli and tobacco-immortelle in its Tuberose Trilogy.
The two scents that emerged from the 2010 tuberose tsunami were, unsurprisingly, composed by two of the best and most uncompromising noses-for-hire on the market today, Olivia Giacobetti and Bertrand Duchaufour. Neither went for an obviously tuberose note: between Fracas and Carnal Flower, the bases for both the classic tuberose-orange blossom template and the naturalistic rendition were fully covered, Tubéreuse Criminelle adding a baroque twist to the former.

With its joyful tropical play on rum, banana and coconut notes on a burning balsamic base, Honoré des Prés Vamp à NY “reaches you in places sex doesn’t”, according to my Irish friend Clare, who happens to be a sex therapist, and thus should know. Honoré des Prés itself is totally on-trend, being the first brand to offer organic perfumes composed in the manner, and with the aesthetic standards of, French niche perfumery. It scores additional points by working with Giacobetti, whose signature has become much rarer over the last couple of years.

L’Artisan Parfumeur Nuit de Tubéreuse takes an entirely different tack on the vamp, teasing apart the facets of the tuberose absolute rather than going for a figurative representation and conjuring an uncannily seductive mutant that spans the whole cycle of vegetal life, from fruit to root. Unlike Olivia Giacobetti’s, Bertrand Duchaufour’s signature seems poised to be cropping up more and more frequently as several niche brand owners beat a path to his lab… The launch of the new Frapin in early 2011 will be the kick-off.

Top French-Arabian...
Portrait of a Lady by Frédéric Malle Editions de Parfums
As the perfume industry scrambles to capture non-Western markets, the type of French-Arabian perfumery pioneered by Montale and Amouage -- the cross-breeding of Arabic olfactory codes with French forms -- is poised for a sharp surge in the niche sector. You think you’ve already smelled all the oud you could? By this time next year, you’ll be up to your nostrils in it.
Though neither  Frédéric Malle nor Dominique Ropion acknowledge having worked with Middle-Eastern tastes in mind, Portrait of a Lady, a paradoxically opulent yet bone-dry wood/rose oriental with oud effects, is one of the most elegant interpretations yet of this new(ish) French-Arabian genre. Because it comes from a house whose editorial policy has been to offer modern rewrites of classic genres, Portrait of a Lady might very well herald the coming of age of the French-Arabian family as an autonomous branch of the Orientals.

Top Faux de Cologne...
Ninfeo Mio by Annick Goutal
With the economic rise of Latin American countries, we’re bound to see a lot of fresh, citrusy scents designed to flatter the Hispanic taste for the agua de Colonia families splash themselves with by the liter, as well as scents I’ve dubbed the faux de Colognes, longer-lasting versions of the classic family with chypre undertones, with a stress on aromatic freshness rather than citrus per se.
However, one of the loveliest offerings in this crisp, fresh genre sprang not from a marketing strategy but from a true story: in fact, the very kind of story that gave the pioneer niche brands their soul. Ninfeo Mio was born of a dreamed Garden of the Hesperides before Isabelle Doyen and Camille Goutal discovered that their raspy green fig and lavender accord existed in reality, and the shimmering fragrance conjures some of the exhilaration of that discovery.

Top post-Guerlain gourmand...
Kiss Me Tender by Parfums de Nicolaï
2010 saw the house of Guerlain reeling after Jean-Paul Guerlain’s unsavory choice of words revealed a side of the old master’s character and opinions insiders had long known about (they were just wondering why it hadn’t come out sooner). His two Arsène Lupin will quite probably be, as a consequence, the last products he puts his name to. But the Guerlain heritage is thriving a few metro stations away from the 68 Champs Elysées, in Patricia de Nicolaï’s little lab on the avenue Raymond Poincaré lab.
With its almond, vanilla and anise facets, heliotrope may well be the most edible of flowers and Kiss Me Tender, a tribute to Après L’Ondée with a more gourmand bent, fully deserves its epithet: it is an airborne embrace.

Top classic-in-the making...
L’Heure Fougueuse by Cartier
The Guerlain line of transmission is also carried out in the Cartier headquarters of the rue Boissy d’Anglas with the maverick Mathilde Laurent, who was apprenticed to the man who was himself apprenticed to the author of Mitsouko and L’Heure Bleue. But it was Edmond Roudnitska she channeled when composing L’Heure Fougueuse for Cartier’s Les Heures de Parfum collection, a modern tribute to L’Eau Sauvage whose “horse mane accord” strikes such a deeply resonant chord that it might well express, as was its author’s intention, an olfactory archetype. If it weren’t for the price point that puts it out of reach of most mortals, this could well become a classic: I haven’t met a person yet who wasn’t immediately struck by its rightness.

Top skankfest...
Absolue pour le Soir by Maison Francis Kurkdjian
If L’Heure Fougueuse plays on animalic notes in a subtle, almost subliminal fashion, Maison Francis Kurkdjian Absolue pour le Soir uncages the whole menagerie: it is so unashamedly beastly the first whiff made me burst out laughing. Cumin! Honey! Civet! Leather! Not to mention a funky sandalwood base with the half-life of plutonium… If the winsome Francis K. seemed to play it safe with his initial offerings, this time, consider all the hardcore niche-lovers’ buttons pushed.

Top synaesthetic feat...

Wonderwood by Comme des Garçons
Wonderwood also has that sandalwood drydown you practically have to sandblast off your skin. But if I’m including it in the year’s Top Ten, it isn’t so much because of the way it smells, as because of the way it looks. The Quay Brothers’ video for the launch – for which the CdG team gave them carte blanche – is, to my mind, one of the most spectacular renditions of the olfactory ever filmed, at least in a promotional video. Watched alongside the indigent new Dior Homme campaign, it’d make me want to douse myself in Wonderwood even though I rather prefer the smell of the Dior…

Top mainstream launch...

Midnight in Paris by Van Cleef and Arpels
Which makes, via Olivier Polge, for a rather lame transition into Midnight in Paris. The black tea note was just enough of a nod to Bulgari Black to send a shiver of pleasure and relief down perfume lovers’ spines: at last, here was a mainstream fragrance to embrace, not least because it was co-signed (with Domitille Bertier) by the author of another gender-bending mainstream classic-in-the-making, Dior Homme.

Top on-trend concept...
M/MINK by Byredo
I was fully poised to include Serge Lutens Boxeuses in this Top Ten – a variation on Prunol and Cuir de Russie, what’s not to love? – when I told myself that Byredo M/M Ink might well be more significant in the year’s launches. Not just because I find its blend of mineral and animal notes refreshingly daring, though too jarring for me to wear, but also because I believe the concept itself heralds a major niche trend.

There are very few perfumers who can art-direct themselves, and very few brands able to come up with consistent, original ideas in an increasingly crowded scene – especially since very few actually bother with hiring a creative director. So we’ll be seeing a lot more artistic types like Michael Amzalag and Mathias Augustyniak, aka M/M, the graphic designers/art directors who supplied Jérôme Epinette with a visual brief for M/MINK, collaborating with perfumers in the conception of fragrances, if only because niche brands, both established and new, will be looking for new sources of inspiration and new narratives to authenticate their products.
So I’ll be spending quite a few entertaining hours speculating on what Jeff Koons, Takeshi Murakami or Mark Quinn could come up with -- and burning candles to Mary Magdalene, the patron saint of perfumers, in the hope that no one approaches Tracey Emin with the idea.

For more Top Tens of 2010, check out:
Bois de Jasmin
Now Smell This
Perfume-smellin’ Things
Perfume Posse

And, of course, I'm looking forward to reading your own favourite picks of the year!

Le Top 10 des Parfums 2010


Le Top des Tubéreuses… 
Vamp à NY d’Honoré des Prés et Nuit de Tubéreuse de L’Artisan Parfumeur

La tubéreuse est souvent considérée comme le paroxysme de la féminité olfactive, alors que le vétiver se situe juste en deçà de la bonne grosse fougère comme insigne de la virilité – c’est du moins ce qui ressortait d’un sondage assez peu scientifique effectué auprès de mes lecteurs en mai dernier.
Cela explique-t-il le fait qu’au moins trois marques, Prada, L’Artisan Parfumeur et Dior dans sa toute nouvelle version des Exclusifs de Chanel, aient sorti à la fois une tubéreuse et un vétiver en 2010 ? Je ne suis pas entièrement certaine que leurs services marketing respectifs aient poussé la réflexion jusque sur le terrain de l’identité sexuelle : offrir une tubéreuse et un vétiver dans une collection, c’est pour l’essentiel cocher les cases des notes majeures, puisqu’aujourd’hui les collections de parfums se doivent de passer par tous les motifs obligés… Et la tubéreuse fait partie des incontournables, puisqu’on ne cesse de répéter, dans l’industrie du parfum, que c’est l’une des notes fétiches des Américaines qui ont fait le succès de Fracas. C’est aussi l’une de ces notes réputées difficiles qui crée forcément un buzz dans la communauté des amoureux de parfum qui représentent le relais promotionnel le plus efficace des marques de niche (Frédéric Malle, par exemple, savait dès le lancement de sa maison qu’il proposerait une tubéreuse à sa clientèle).
Le pendule des modes olfactives a donc oscillé fortement vers la diva du monde floral en 2010. Côté poids-lourds du marché, Infusion de Tubéreuse (Prada) et New Look 1947 (Dior) l’ont jouée en sourdine, la première en version savonnette, la seconde en odeur cosmétique. Côté niche-niche, Histoires de Parfum s’est couvert en proposant une Trilogie où la note se déclinait en accord avec l’iris-daim, le fruitchouli ou le tabac-immortelle. Mais les deux parfums à émerger de ce tsunami de tubéreuses ont été ceux composés par les deux « nez-mercenaires » les plus brillants et les plus intransigeants du marché, Olivia Giacobetti et Bertrand Duchaufour. Ni l’un ni l’autre n’a opté pour une interprétation attendue de la tubéreuse. Il faut dire qu’entre la matrice classique de Fracas, le portrait naturaliste à peine retouché de Carnal Flower et la distorsion baroque de Tubéreuse Criminelle, cela aurait été superfétatoire.

En jouant des notes rhum, banana et coco sur un fond baumé brûlé, la Vamp à NY d’Honoré des Prés « vous atteint là où le sexe ne vous atteint pas » selon mon amie irlandaise Clare, qui, étant sexologue, doit savoir de quoi elle parle. Honoré des Prés s’impose par ailleurs comme l’une des marques-stars d’une autre tendance de fond, celle du bio, en proposant les premiers parfums Eco-Cert composés dans le style, et avec toute l’exigence esthétique, de l’école française. Et marque encore des points en faisant appel à Olivia Giacobetti, dont la signature s’est faite plus rare ces derniers temps et dont les lancements, par conséquent, créent l’événement.

La Nuit de Tubéreuse de L'Artisan Parfumeur s’attaque tout autrement à la vamp des fleurs, en déconstruisant l’absolue de tubéreuse pour redéployer les facettes d’une mutante étrangement séductrice qui évoque le cycle entier de la vie végétale, du fruit à l’humus. Contrairement à celle d’Olivia Giacobetti, la signature de Bertrand Duchaufour est sans doute sur le point d’exploser en 2011, à en juger par le nombre de clients qui le sollicitent… On ne peut que s’en réjouir, en attendant le lancement du nouveau Frapin au début de l’année (qui aurait, en toute honnêteté, rejoint Nuit de Tubéreuse, La Traversée du Bosphore et Pleine Lune si j'avais rédigé un Top 10 uniquement fondé sur les parfums que j'ai beaucoup portés en 2010... mais laisser un seul parfumeur squatter la moitié d'une liste, ça m'a paru très excessif.)

Le top du style “French-Arabian”…
 Portrait of a Lady de Frédéric Malle Editions de Parfums

C’est dorénavant sur les marchés non-occidentaux que compte l’industrie du parfum pour se développer : Chine, Amérique Latine, Russie… et surtout le Moyen-Orient, qui comme la Russie a déjà une culture du parfum intensément développée. On verra donc de plus en plus de variations sur le genre « French-Arabian » -- hybride de codes olfactifs arabes et de formes françaises – dont Montale et Amouage ont été les pionniers. La tendance a d’ailleurs déjà énormément infléchi les propositions des marques alternatives. Autrement dit, dans un an, je parie qu’on en aura ras les narines de l’oud.
Bien que ni Frédéric Malle ni Dominique Ropion n’avouent avoir travaillé leur dernier lancement en fonction des goûts moyen-orientaux, Portrait of a Lady, rose boisée aux effets oud paradoxalement sèche et opulente à la fois, est l’une des interprétations les plus achevées de ce (relativement) nouveau genre French-Arabian. Parce qu’il émane d’une maison dont la ligne éditoriale consiste à proposer des réécritures modernes de forms classiques, Portrait of a Lady consacre également, en quelque sorte, l’avènement du French-Arabian comme branche indépendante de la famille des parfums orientaux.

Le top des « Faux de Cologne »…
Ninfeo Mio d’Annick Goutal
Il n’est pas non plus entièrement impossible que nous assistions, parallèlement au développement de ces parfums opulents destinés à séduire les pays du Golfe, à un déferlement de senteurs fraîches flattant le goût des Latino-Américains pour ces aguas de Colonia dont toute la famille s’asperge par litres entiers, ou alors de ce que j’ai surnommé les « faux de Cologne », parfums aromatiques et scintillants plus tenaces que les colognes classiques grâce à leurs bases chyprées.
Cependant, l’une des plus belles déclinaisons du genre en 2010 n’est pas issue d’une stratégie marketing mais d’une histoire vraie, le genre d’histoire qui donnait leur âme aux marques de niches pionnières. Ninfeo Mio est né d’un jardin des Hespérides rêvé avant qu’Isabelle Doyen et Camille Goutal ne découvrent que leur accord citrus, figue et lavande existait en vrai. Leur parfum éveille quelque chose du sentiment d’émerveillement qu’elles en ont éprouvé.

Le top du gourmand…
 Kiss Me Tender des Parfums de Nicolaï

L’année 2010 a vu le prestige de Guerlain chanceler suite au scandale suscité par le choix de termes pour le moins malencontreux de Jean-Paul Guerlain, qui dévoilait au public un aspect du caractère et des opinions du vieux maître que les initiés, eux, n’ignoraient pas… Le lancement de ses deux Arsène Lupin en a souffert, et on pourrait supposer que ce seront les derniers qu’il signera. Mais l’héritage Guerlain reste toujours aussi florissant à quelques stations de métro du numéro 68 des Champs Elysées, dans le petit laboratoire de Patricia de Nicolaï, avenue Raymond Poincaré.
Avec des facettes amande, vanille et anis, l’héliotrope est sans doute la fleur à l’odeur la plus comestible et Kiss Me Tender, hommage à Après L’Ondée en plus gourmand, mérite pleinement son épithète : c’est une étreinte vaporisée.

Le top des futurs classiques…
 L’Heure Fougueuse des Heures de Parfum de Cartier

L’héritage Guerlain a également migré rue Boissy d’Anglas, au siège social de la maison Cartier, avec Mathilde Laurent : en faisant son apprentissage auprès de Jean-Paul Guerlain, c’est aussi à l’immense Jacques qu’elle a repris la main, sans renoncer à son caractère de franc-tireur. Mais c’est à un autre maître, Edmond Roudnitska, qu’elle songeait en écrivant L’Heure Fougueuse, hommage contemporain à l’Eau Sauvage dont l’accord « crinière » résonne avec tant de justesse qu’il pourrait bien prétendre, comme l’a souhaité son auteur, au statut d’archétype olfactif. Si ce n’était un prix qui le met hors d’atteinte de l’immense majorité du public, L’Heure Fougueuse pourrait aussi prétendre au statut de futur classique : je n’ai encore rencontré personne qui n’ait été immédiatement saisi par son évidence.

Le top du fauve…
 Absolue pour le Soir de la Maison Francis Kurkdjian

Si L’Heure Fougueuse joue sur les notes animalisée sur un mode subtil et presque subliminal, l’Absolue pour le Soir fourre la ménagerie entière dans le flacon : elle sent tellement le fauve que la première bouffée m’a fait éclater de rire. Cumin ! Miel ! Cuir! Civette! Sans oublier une base santal dote d’une demi-vie équivalente à celle du plutonium… Si le charmant Francis K. ne s’était pas franchement hasardé hors des terrains qui lui étaient familiers avec ses premiers produits, cette fois, il a joué sur un registre destiné à titiller les amateurs de parfumerie de niche en exacerbant les notes qui distinguent les simples amateurs des accros les plus hardcore.

Le top de la synesthésie…
 Wonderwood de Comme des Garçons

Wonderwood de Comme des Garçons partage avec l’Absolue pour le Soir cette base santal qu’il faut pratiquement retirer au Karcher. Mais si je l’intègre à ce Top Ten de 2010, ce n’est pas tant pour son odeur que pour son interprétation visuelle. Le film tourné pour le lancement par les Quay Brothers, auxquels Comme des Garçons avait donné carte blanche, est à mon sens l’une des plus magnifiques traductions visuelles de l’olfactif jamais proposées dans une vidéo produites pour un parfum. Comparé à l’indigence de la dernière campagne pour Dior Homme – qui, certes, vise un public beaucoup plus vaste – ce film me donnerait envie de m’inonder de Wonderwood alors que mes goûts me porteraient plutôt vers le Dior… C’est dire.

Le top du mainstream…
 Midnight in Paris de Van Cleef and Arpels

Ce qui me permet d’effectuer une transition pas spécialement habile, via Olivier Polge, vers le Midnight in Paris de Van Cleef and Arpels dont la note thé fumé est un hommage suffisamment appuyé à Bulgari Black pour ravir les amateurs de senteurs déjantées. Avec Midnight in Paris, ils ont enfin trouvé un parfum mainstream à leur mesure, d’autant qu’il est co-signé (avec Domitille Bertier) par l’auteur d’un autre produit grand public acclamé par les critiques les plus sourcilleux, Dior Homme, et que comme Dior Homme, il transgresse avec élégance les codes masculin-féminin.

Le top du concept tendance…
 M/MINK de Byredo

Je m’apprêtais à décerner aux Boxeuses de Serge Lutens une place dans ce Top Ten – comment ne pas aimer cette double évocation de la base Prunol et du Cuir de Russie ? – lorsque j’ai songé que le M/MINK de Byredo méritait sans doute plus d’y figurer. Non seulement parce que cette juxtaposition de notes minérales et animales est d’une audace assez fulgurante, bien que personnellement, je la trouve trop dissonante pour la porter, mais aussi, et surtout, parce que le concept qui a présidé à son développement annonce une tendance forte dans le domaine de la parfumerie alternative.

Très peu de parfumeurs sont en mesure d’assurer leur propre direction artistique, et très peu de marques sont en mesure de proposer des concepts originaux dans un marché de plus en plus encombré – d’autant que la plupart se dispensent de directeurs de création. Il y a donc fort à parier qu’on fera de plus en plus souvent appel à des concepteurs issus des domaines artistiques, comme Michael Amzalag et Mathias Augustyniak (M/M), les graphistes/directeurs artistiques à l’origine du brief donné au parfumeur Jérôme Epinette, ne serait-ce que parce que la fuite en avant des marques de niche les contraindra à chercher constamment de nouvelles sources d’inspiration et de nouvelles façons d’authentifier leurs produits par des récits.

Je compte donc passer quelques heures assez divertissantes à me demander ce que pourrait sentir un parfum conçu par Jeff Koons, Takeshi Murakami ou Bertrand Lavier – tout en brûlant des cierges à Marie Madeleine, sainte patronne des parfumeurs, pour que personne ne s’avise d’aller proposer ce genre de projet à Tracey Emin


Pour d’autres Top 10 de 2010:
Bois de Jasmin
Now Smell This
Perfume-smellin’ Things
Perfume Posse


Et maintenant, j'attends avec impatience que vous me dévoiliez vos propres préférés de l'année...

mardi 7 décembre 2010

Conférence de M. Jean Kerléo le 11 décembre à l'Osmothèque de Versailles


Voici une conférence à laquelle tous les amoureux de la parfumerie classique française devraient s’empresser d’assister. Je compte me lever dès potron-minet un samedi matin pour aller jusqu’à Versailles, c’est dire !  J’espère vous y retrouver…

Voici le communiqué de l'Osmothèque

Les bases et spécialités dans la parfumerie : de Laire, Synarome, Givaudan, Firmenich...

Parmi les anciens parfums datant de la première moitié du XXème siècle refaits à l’Osmothèque, un bon nombre ont été élaborés à partir de bases ou spécialités de sociétés comme de Laire, Givaudan, Chuit & Naef, Roure, Chiris, Samuelson… M Jean Kerléo, assisté de M Pascal Sillon (parfumeur chez SYMRISE pour les produits de Laire), vous propose de sentir une sélection de parfums concernés ainsi que les bases correspondantes.

Sur réservation uniquement au 01 39 55 46 99 ou sur osmotheque@wanadoo.fr.(places limitées)
Public : à partir de 12 ans
Tarifs : 15€/adulte et 10€/enfant, étudiants, membre SAO et groupe à partir de 10 personnes
Lieu: 36 rue du Parc de Clagny – 78000 Versailles
Heure du rendez vous : 9h45
Merci de bien vouloir vous munir de monnaie (espèces ou chéquiers)et de venir non parfumé.


 

lundi 6 décembre 2010

Grossmith Perfumes, or why some ghosts should be left to sleep




The breast-tip-coloured satin, bespoke Cadolle corset rests in its silk paper on the second shelf in my closet. I seldom take it out: when I do, it isn’t to wear it in the real world, unless I want to achieve a particularly wasp-waisted style. Corsets are odd instruments, their constriction enhancing the short, heaving breaths of pleasure, while straightening and insulating the very part of the body that should be flexible in its throes. Walking around in a corset in our contemporary world is like living with permanent, low-grade asthma: still, it is sometimes pleasant to play with a garment that is no longer compulsory; to reach beyond Poiret and Chanel into the Edwardian era and be possessed by the ghosts of the great courtesans that reigned over Maxim’s – where the original Mme Cadolle, who invented the brassiere, often went to deliver her frilly marvels…

Which is why I was so curious to try out Hasu-No-Hana, Phul-Nana and Shem-el-Nessim, three perfumes re-launched by the British house of Grossmith, founded in 1835 and back in the hands of the original owner’s family after a three-decade eclipse. How often do you get a chance to experience a fresh batch of perfumes that pull you back into the age of corsets and feathered hats? The 1888 Hasu-No-Hana predates Jicky by a year; Phul-Nana came out in 1891; the 1906 Shem-el-Nessim is the same age as Après l’Ondée and Coty’s epochal L’Origan. Yet just as Jacques Guerlain and François Coty – along with Houbigant’s Paul Parquet (Fougère Royale, Le Parfum Idéal) and Robert Bienaimé (Quelques Fleurs) -- were inventing modern perfumery, Grossmith apparently remained firmly entrenched in the 19th century.

This could give Hasu-No-Hana, Phul-Nana and Shem-el-Nessim, with their Orientalist, quasi-unmemorizable names, the charm of archaeological curios: the formulas are claimed to be authentic, and their adaptation was overseen by the-world’s-one-and-only-professeur-de-parfums, Roja Dove, who seems to have a good sideline in resurrecting bygone perfumes.
But how authentic are the scents themselves? There’s no way of knowing, really, since between the raw materials that were used back then and the ones that are available now, there may be a world of difference. Essences were extracted differently; synthetics were obtained by different processes. Any variation would upset the balance, as aficionados of reformulated perfumes well know.
The result is the olfactory equivalent of tight-lacing: a surfeit of rich notes which manages to be both as stifling as the corsets of the women who wore the perfumes back in the Belle Époque and as flaccid as their flesh when they removed it. Sensuous in an overbearing, costume-drama way that might appeal to tastes frustrated by today’s skinny juices the way a pastry cart will make a dieter drool…

Reviving Grossmith is a romantic gesture, and apparently one that is paying off in the Middle-East. But based on the three perfumes that were re-launched, at least in the form they have now, the house had already stopped being relevant before World War One.
 There’s a reason why some old perfume houses die off, and why some perfumes only live on in memoirs, history books and antiques shops… Their whole charm lies in their being ghosts. I’d just rather not attend the séance.


For proper reviews, please check out Now Smell This, Perfume Shrine, and 1000fragrances.

Illustration: from the Women in the Woods series by Deborah Turbeville (1977)


Grossmith, ou pourquoi les spirites devraient parfois laisser dormir les fantômes...


Mon corset Cadolle couleur pointe de sein repose dans son papier de soie sur la deuxième étagère de mon placard. Je le sors rarement et lorsque je le fais, ce n’est pas pour sortir, sauf quand je veux me modèle une taille de guêpe sous un tailleur vintage. Les corsets sont de curieux instruments qui vous font le souffle court comme dans le plaisir, tout en protégeant d’une carapace inflexible la partie du corps qui devrait être la plus souple dans la volupté… Porter un corset en ville, c’est un peu s’infliger l’équivalent d’un asthme permanent. Reste qu’on peut trouver un certain frisson à jouer d’une parure qui n’est plus obligatoire ; à assumer un rôle érotique rendu exotique par cent ans d’écart ; à se glisser dans le temps d’avant Poiret et Chanel pour sa laisser posséder par les fantômes des grandes courtisanes qui régnaient sur Maxim’s – où Mme Cadolle, qui inventa le soutien-gorge, allait d’ailleurs livrer ses créations froufroutantes…

C’est pourquoi j’étais très curieuse d’essayer Hasu-No-Hana, Phul-Nana et Shem-el-Nessim, trois parfums aux noms aussi orientalistes qu'une robe de chez Poiret, relancés par la maison britannique Grossmith, fondée en 1835 et récemment rouverte par des descendants du fondateur après une éclipse de trente ans. Après tout, ce n’est pas si souvent qu’on peut porter des versions fraiches de parfums qui remontent à l’ère victorienne… C’est l’occasion de revivre un peu les senteurs d’antan. Hasu-No-Hana, né en 1888, précède Jicky d’un an ; Phul-Nana est sorti en 1891 ; Shem-el-Nessim est le contemporain d’Après l’Ondée et du révolutionnaire L’Origan de Coty. Mais justement : alors que Jacques Guerlain et François Coty – tout comme Paul Parquet (Fougère Royale, Le Parfum Idéal) et Robert Bienaimé (Quelques Fleurs) – écrivaient l’histoire de la parfumerie moderne, leurs contemporains de Grossmith restaient, à l’évidence, fermement campés dans le 19ème siècle.

Cela pourrait donner à Hasu-No-Hana, Phul-Nana et Shem-el-Nessim un certain charme archéologique: il semble que leurs formules, retrouvées dans un cahier sauvé du Blitz en 1940, soient authentiques. Leur adaptation a été supervisée par Roja Dove, le fameux « Professeur de Parfums » d’Outre-Manche, qui semble avoir la mainmise sur toutes les résurrections puisqu’il a très récemment présidé à celle de Fougère Royale, donné comme le premier parfum moderne puisqu’il serait le premier à avoir intégré un matériau synthétique.

Mais quelle peut être l’authenticité des parfums eux-mêmes, sachant que les matériaux spécifiés dans les formules ne peuvent pas être les mêmes puisqu’ils sont extraits (ou synthétisés) autrement de nos jours ? Toute variation dans ces matériaux est susceptible de déséquilibrer une composition, comme le savent bien les amateurs de parfums classiques soumis aux reformulations… Qui plus est, outre la disparition de certains matériaux et la différence de qualité d’autres, ces nouveaux produits sont forcément conformes aux réglementations, donc passablement éloignés de leur forme d’origine.
En un mot, même la qualité historique des Grossmith est difficile à évaluer. Quant à leur qualité esthétique…  Les parfums Grossmith seraient un peu l’équivalent olfactif d’un corset étroitement lacé : une accumulation de matériaux riches qui réussit le tour de force d’être à la fois aussi étouffant que les corsets des femmes qui portaient ces parfums, et aussi flasque que leur chair lorsqu’elles les retiraient. Sensuels comme peuvent l’être les costumes d’un film d’époque ; d’abord tentants comme un chariot à desserts en période de régime, puis tellement lourds qu’on ferait n’importe-quoi pour se fuir, quitte à s’écorcher.

Si c’est à cela que ressemblaient les parfums d’avant 1890, cela les rend en effet aussi surannés et importables que les robes à tournure. La résurrection d’une vieille maison comme Grossmith est une idée séduisante, romantique, et apparemment lucrative dans les marchés du Moyen-Orient . Mais si j’en juge d’après les trois parfums réédités, du moins dans leur forme actuelle, elle avait déjà cessé de compter dans l’histoire du parfum dès avant la Première Guerre Mondiale. Si certains parfums meurent de leur belle mort, c’est pour une bonne raison… Mieux vaut qu’ils restent à l’état de fantômes charmants à moitiés oubliés. Le spiritisme, en parfumerie, n’est pas forcément une bonne idée.


Pour des avis plus détaillés sur les parfums eux-mêmes, vous pouvez consulter Now Smell This, Perfume Shrine et 1000fragrances



Illustration: Couverture du livre "Past Imperfect" de Deborah Turbeville chez Steidl.