dimanche 21 mars 2010

Histoires de Parfums, triplement tubéreuse


Quand on s’attaque à la tubéreuse, on sait qu’on se mesure à forte partie. Outre le caractère outrancier de la fleur elle-même, il faut compter avec une concurrence redoutable, des divas qui ont dominé la scène olfactive des mi-70s aux mi-80s (de Chloé à Ysatis en passant par Giorgio Beverly Hills) aux chefs d’œuvre que sont Fracas, Tubéreuse Criminelle et Carnal Flower.

Mais quoi qu’on fasse, on sait qu’on n’obtiendra pas ce que j’ai récemment baptisé une iFrag : la tubéreuse est virtuellement impossible à désincarner, et la Trilogie desTubéreuses de Gérard Ghislain pour Histoires de Parfums, inspirée par Les Fleurs du Mal de Baudelaire, est forcément charnelle jusqu’à l’exaspération.

Tubéreuse 1 – Capricieuse étouffe pourtant les trilles de la tubéreuse en la claquemurant derrière une porte blindée d’iris – le safran jouant ici le rôle du métal – pendant pratiquement tout le développement du parfum. Lorsque l’aspect métallique s’estompe, l’iris penche vers le cacao, facette que l’on retrouve naturellement dans certains produits de l’iris, déjà mise en valeur dans Dior Homme et Iris Ganache. Les facettes plus cuirées de l’iris sont soulignées par une note daim (sans doute le Suederal d’IFF, qu’on retrouve dans Cuir Beluga et Daim Blond, par exemple), ce qui rapproche la Capricieuse d’un autre parfum iris-daim, Mythique de Yann Vasnier pour les Parfums DelRae. Cette note daim est assombrie de curieuses facettes pétrole/encre. Quant à la tubéreuse annoncée en vedette, elle filtre peu à peu sous la porte blindée, crémeuse et noix de coco, mais seulement au bout de plusieurs heures. Méritant ainsi le sobriquet de « capricieuse » : manifestement, elle a boudé un bon moment avant de daigner se montrer, et à ce stade, elle s’est assez calmée pour ne pas effaroucher le plus timoré des tubéro-phobes… À conseiller plutôt aux amateurs d’iris, qui y trouveront une variante originale et sensuelle sur un thème en général plus austère.

Tubéreuse 2 – Virginale mérite son nom dans la mesure où les vierges compensent leur chasteté en se délectant de sucreries… La tubéreuse est ici beaucoup plus présente que dans la Capricieuse, soutenue par un trio très banané de jasmin, tiaré et fleur de frangipanier. La Virginale est aussi, à toutes fins pratiques, ce qu’on surnomme désormais dans la blogosphère parfumée un fruitchouli : fruits en tête, donc (en l’occurrence de la cerise, mais aussi une note nectarine), patchouli en fond, enrichi d’une bonne lichette de vanille, qu’une note boisée-ambrée assèche légèrement. Une tubéreuse juvénile et pimpante, encore un peu enrobée de son gras de bébé.

Tubéreuse 3 – Animale est sans doute celle qui mérite le moins son nom, si l’on s’attend par là à une tuberose musquée, civettée ou indole… L’Animale plonge sa tubéreuse dans les notes tabac/foin/miel de la coumarine et de l’immortelle, qui apporte en outre de fortes facettes caramélisées au parfum – s’il y a bien un matériau qui puisse parler plus fort que la tubéreuse, c’est bien l’immortelle, diaboliquement difficile à doser. Tubéreuse et immortelle s’empoignent donc au corps à corps pendant des heures jusqu’à ce que la première ait enfin raison de la seconde, et finisse de l’engloutir d’une dernière lichette avec un sourire satisfait.

Manifestement, Gérard Ghislain s’est lancé le défi de produire des parfums de tubéreuse qui n’étaient pas superfétatoires dans le répertoire actuel. Il n’a opté ni pour la déconstruction de la note, présentée ici dans son aspect classique très lactonique, ni pour le soliflore : il entoure la fleur de notes très caractérisées en travaillant sur une palette saturée. Le résultat est extrêmement opulent : je suis en général du genre à me vaporiser généreusement, mais en l’occurrence, un seul bon pschitt devrait tenir 24 heures à moins que votre peau ne soit particulièrement dévoreuse de senteurs. Plus, et votre sillage portera sur plusieurs mètres. Ce qui est, après tout, la moindre des choses lorsqu’on se tubéreuse…




Illustration: Les Trois Grâces d'Adolphe de la Lyre (1882)

18 commentaires:

  1. Belles descriptions! Adepte de "Fracas", j'ai hâte de découvrir ces tubéreuses !

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  2. Zab63, elles ne sont pas du tout fleur d'oranger comme Fracas... C'est une autre vision de la fleur.

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  3. Dans tes commentaires en anglais, parlerais tu de Nuit de Tubéreuse? Ce parfum semble en effet très prometteur.
    Je ne sais encore que penser de ces 3 nouvelles tubéreuses, en tout cas, j'ai très envie de les découvrir... Pour le moment, j'ai ressorti pour ce début de printemps Beyond Love by Kilian.

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  4. Rebecca, en effet, je parlais de Nuit de Tubéreuse qu'on m'avait demandé de ne pas nommer trop longtemps avant sa sortie, mais puisque L'Artisan l'a "outé"... Il est plus que bien.

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  5. jusqu'à présent une seule tubéreuse m'a conquise, c'est la tubéreuse criminelle. avant et depuis, j'ai toujours eu du mal avec la tubéreuse

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  6. Columbine, je comprends. C'est une fleur assez lourde à porter!

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  7. je lis dans les commentaires que vous évoquez nuit de tubéreuse, j'ai pu la sentir birèvement sur touche aujourd'hui, elle a l'air divine;... j'attends demain pour faire le test sur peau, j'ai hâte!

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  8. Ah bon, Sophie, les testeurs sont déjà sous les comptoirs, alors?

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  9. Denyse, l'Alma Mahler des nez? On pourrait penser que cette "Nuit de Tubéreuse" a été crée sur-mesure pour toi! ;)

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  10. Clochette, eh bien non figure-toi! Mais c'est comme si.

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  11. non pas encore mais j'ai demandé gentiment du coup on m'a sorti une petite fiole très gentiment aussi :) mais je pourrais mieux la sentir aujourd'hui via mes collègues des galeries je pense

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  12. Bon, eh bien s'il y a des fuites, il faut que je me magne avec ma review, que j'ai promis de garder sous le coude jusqu'à la date de lancement se rapproche.

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  13. Pour Nuit de Tubéreuse, je n'ai pas eu la chance de Sophie au BM! On m'a dit que le lancement était prévu le 15 mai. J'ai hâte. Mais bon, j'ai été déçue par Gardénia Pétales que tu adores alors j'essaye de freiner mon impatience. Et si j'étais déçue???
    Du coup, j'ai vu qu'ils soldaient la "Tubéreuse" actuelle pendant les TBM, qui ne ne plait pas plus que ça. Cela veut sans doute dire qu'ils vont l'arrêter. J'avoue que je n'ai rien demandé à ce sujet.

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  14. Rebecca: le 15 mai? Mais c'est la sainte Denyse! Remarque, je n'ai pas été consultée pour le choix de la date... mais ça tombe bien. Je ne sais pas en effet si cette tubéreuse sera la tienne (elle est moins lactonique que tes préférées). Quant à celle qui est actuellement chez L'Artisan, je crois que rien n'a été décidé et qu'il est possible qu'elle continue à être vendue à côté de la nouvelle, du moins pendant un moment. Je ne l'ai pas sentie récemment mais il me semble qu'elle penchez assez du côté de Fracas...

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  15. J'ai enfin senti Nuit de Tubéreuse et je l'aime, bien que je sois un peu déconcertée. L'idée d'associer mangue et tubéreuse semble presque tombée sous le sens, encore fallait il le faire. Naturellement, j'aurais sans doute préféré une tubéreuse plus confite, moins épicée mais c'est réussi. Quant à leur Tubéreuse actuelle, elle évoque certes Fracas mais avec un côté terriblement indolé.

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  16. Rebecca, pour moi l'aspect mangue n'est pas énorme... mais bon, je préfère arrêter d'égrener les commentaires pour ne pas trop en dire avant de publier mon avis sur la question!

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  17. Pour en revenir aux 3 tubéreuses d'Histoires de Parfums, je les ai senties hier au Printemps. Et j'ai été très déçue car pour moi ce ne sont pas des tubéreuses!!!
    La Virginale a la rigueueur a un côté fleurs blanches façon tiaré donc soit mais les deux autres, la 1ere sent la poudre et la dernière est écoeurante avec ce mélange rhum, immortelle, vanille. Je réalise les belles économies que ces trois nouveautés me font faire et j'en suis ravie. Au passage, j'ai senti l'infusion de tubéreuse de Prada qui elle m'a fait une bien meilleure impression...

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  18. Rebecca, je pense que cette trilogie n'est pas vraiment conçue comme écrin pour la tubéreuse: ce n'est pas la note qui prédomine, en fin de compte, mais plutôt une note présente dans les trois compositions.

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