vendredi 28 mai 2010

Duchaufour confidentiel: Pleine Lune


Lorsque nous avons parlé de Nuit de Tubéreuse, Bertrand Duchaufour m’a dit que le cuir était une note qu’il souhaitait explorer, parce qu’il ne s’y était attaqué qu’une fois, dans Bois d’Ombrie.

La bonne nouvelle, c’est que c’est fait.

La mauvaise, c’est que le parfum n’est disponible pour l'instant qu’à l’atelier parisien de la joaillère Ann Gérard, pour qui il l’a réalisé. Elle le propose à ses clientes dans des flacons façonnés par un artiste verrier, en concentration extrait, en attendant de résoudre le problème d’une fabrication en quantité plus importante, après quoi elle le vendra sur son site -- où vous pouvez découvrir, en attendant, ses superbes créations… Je vous tiendrai au courant.

Comme l'astre qui lui donne son nom et la pierre de lune qui l’a inspiré, Pleine Lune est un parfum à chimères, insaisissable dans toutes ses métamorphoses. Pour Bertrand Duchaufour, c’est un cuir, et c’est vrai – un cuir souple couleur chair, poudré d’iris nacré. Pour moi, ce serait plutôt un iris animal, et je n'ai pas tort non plus: Pleine Lune dévoile presque autant de visages différents que son astre éponyme au fil des saisons.

Disque métallique lorsque l’iris monte à l’horizon – du vrai beurre d’iris, et ça se sent – crépitant de minuscules étincelles ozoniques-aldéhydées et de lueur vertes aromatiques : cédrat, bergamote, angélique et coriandre éclaboussés d’ambrette. Puis lune mauve laiteuse dans une brume de mimosa. Puis la lune rousse des moissons, lorsque la cassie se joint à l’iris avec ses relents animaux, chevalins, un peu gras, pour créer un effet de peau et de fourrure où l'on décèle peut-être aussi la note "cuir chevelu" du costus...

Au fil de son développement, cette Pleine Lune poursuit ses métamorphoses, lançant des reflets olfactifs affolants – miroitements laiteux et louches de la pierre de lune, feux éclatés de l’opale, moiré de pétale ou nacre de la chair. Sur la mienne, c'est la pêche qui s'exprime, suscitée par la facette fruitée de l’ambrette, le sucré confituré de la carotte et l’aldéhyde C14. Mais au moment où je tente de capter le fantôme d’Iris Gris, il s’évanouit et c’est un jasmin qui éclot entre l’iris et le pêcher, ajoutant les accents minéraux des indoles à l’accord cuir... Au sillage, c'est un autre parfum qui se profile:bonbons à la violette dans un nuage d’iris poudré et de muscs blancs où miroitent les facettes musquées de l’ambrette et l’angélique. Puis, tandis que le parfum s’enfonce dans un accord lacté de santal, de musc et de vanille – dont Bertrand Duchaufour semble avoir fait large usage récemment, du moins dans Havana Vanille et Nuit de Tubéreuse, en plus d’un effet « lait condensé » dans Amaranthine – le styrax tire de nouveau les notes de fond vers le cuir.

Je ne jurerais toujours pas que c’est du cuir, mais comme le cuir est une construction de parfumeur et qu’il y en a donc autant d’interprétations que de parfumeurs, autant dire que c’est le cas. Mais un cuir tout en douceur, presque une peau de femme... Un cuir qui appelle la caresse.


Les Parisiens peuvent découvrir Pleine Lune, ainsi que les créations d'Ann Gérard, à la galerie Elsa Vanier, 7 rue du Pré-aux-Clercs, 75007 Paris, jusqu'au 25 juillet. Vous auriez tort de vous en priver.

8 commentaires:

  1. Cette description documentée donne vraiment envie de découvrir ce cuir souple autour de l'iris. J'ai le sentiment d'un parfum très charnel et sensuel.
    Il est en effet dommage qu'il ne soit pas plus "accessible".
    Bertrand à l'art de mettre en flacon tout ce que j'aime, c'est une vraie chance que tu as de le connaitre.
    En outre, n'oublie pas que j'ai toujours un petit décant d'Amarantine qui t'attend.

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  2. ML, tu peux en fait aller sentir le parfum à la galerie Elsa Vanier, 7 rue du Pré aux Clercs 75007, pour le mois je crois, il est présenté avec les bijoux d'Ann Gérard.

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  3. Incroyable de mettre de si jolies mots sur ce qui n'était, pour moi, qu'un parfum, une odeur.
    Je trouve ça vraiment savant. J'était là l'autre soir au vernissage et n'aurais pas su quoi dire de cette merveilleuse création.
    Bravo.

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  4. Pierre, merci, je suis touchée! C'est le fruit d'un long apprentissage, et j'ai eu quelques leçons de professeurs exceptionnels. J'espère que vous repasserez!

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  5. Tout ce que j'aime! Cuir, iris, angelique, coriandre, ambrette et pêche, B. Duchaufour, le fantôme d'iris gris et de belles pierres autour. Une visite de cette galerie s'impose!

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  6. Anatole: je crois. J'espère que le vaporisateur y est toujours, je me suis aspergée le soir du vernissage et j'ai eu droit à des compliments enthousiastes dans tout Saint Germain des Prés. Sinon le parfum est présenté dans un flacon à tigelle, très épuré, très beau.

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  7. C'est chose faite! D'abord les bijoux sont magnifiques, j'aime beaucoup les bagues Aigle Royal et leur cabochon de pierre de lune comme prises entre les serres d'un aigle.
    Quand au parfum: tout en nuance comme son inspiration, on a bien l'idée d'une pierre de lune et ses reflets mouvants (l'adularescence, si je peux me permettre de placer ma science gemmologique). Il oscille sur moi entre cuir, poudre à la limite du Nesquik, fruité, animal..
    Les notes d'ouverture sont fabuleuses,le trio Iris, angélique, bergamote soutenu par l'ambrette et la coriandre OMG! Ensuite, le cuir m'évoque plutôt un daim couleur chair, avec des relents de pêche duveteuse, une lune légèrement orangée ou bien suivant les moments la fourrure épaisse et douce des loups que j'ai eut la chance d'approcher de très très prêt il y a peu. En tout cas c'est envoutant tout ça.
    Le retour de l'ambrette un peu fruitée aigre et des notes animales à la limite du décent m'a cueilli par surprise: je me suis retourné plusieurs fois en cherchant qui sentait comme ça, avant de comprendre que c'était moi!
    Il ressemble un peu à Moulin Rouge chez Histoires de Parfums dans le genre iris fruité, qui est plus éclatant et moins délicat peut-être.
    Et c'est curieux j'ai ressenti hier Bois d'Ombrie que j'aime beaucoup, à côté de la délicatesse féline de Pleine Lune, il fait très cuir vert brut de décoffrage. C'est assez bluffant l'évolution du travail de B. Duchaufourd.

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  8. Anatole, l'adularescence, je crois que c'est mon âge et sans doute aussi celui de Bertrand Duchaufour!
    Je suis ravie que vous ayez éprouvé des sensations semblables aux miennes. Et, en effet, cette évolution de B, dont il s'est expliqué dans notre entretien, est assez fascinante. Je trouve ce travail sur le cuir étonnant de délicatesse, en effet, surtout de sa part. Non pas qu'il n'en soit pas capable, la preuve! Mais c'est l'une des premières choses que je lui aie dites après avoir porté Pleine Lune.

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