lundi 31 août 2009

Céline Ellena parle d'Oriental Lounge, son nouveau parfum pour The Different Company


Depuis près de cinq ans que Céline Ellena est l’« invité exclusif » de The Different Company, la maison fondée par son père Jean-Claude Ellena avec Thierry de Baschmakoff et Luc Gabriel, on a l’impression d’assister presque en direct à son évolution – d’autant plus que TDC lui offre le privilège, rarissime, de s’exprimer librement. Travaux autour d’un matériau -- démarche que TDC a été l’une des premières, sauf erreur, à entamer – avec Jasmin de Nuit et Sel de Vétiver. Vignettes olfactives avec Parfum d’ailleurs & fleurs, Parfum des sens & bois et Parfum de charmes & feuilles, ou encore Côte d’Amour pour L’Artisan Parfumeur.

Oriental Lounge, le dernier parfum de The Different Company, s’inscrit pour sa part – comme Sublime Balkiss l’an dernier – dans une réflexion sur les genres classiques de la parfumerie que Céline Ellena appelle ses « exercices académiques », mais où l’on procèderait par soustraction tout en maintenant les signes du genre. Sublime Balkiss est un chypre sans mousse de chêne ; Oriental Lounge, un oriental sans vanille, à la fois riche et élagué. Pâte de ciste labdanum travaillée à la rose, étirée de fève tonka, dont s’échappe un pétillement de bergamote avant d’arriver, très vite, à l’onctuosité soutenue d’un ambre salé, grâce à l’utilisation d’un matériau insolite, le calopilé, que les amateurs de cuisine de l’Inde et du sud-est asiatique connaissent sous le nom de feuille de curry…

Céline Ellena et moi avons entamé une petite conversation épistolaire lorsque j’ai découvert l’existence de son blog Chroniques Olfactives, série de vignettes odorantes glanées lors de ses itinéraires parisiens. J’ai saisi l’occasion de lui poser quelques questions sur Oriental Lounge, auxquelles elle a eu la gentillesse de répondre, sans langue de bois.


Le style d’Oriental Lounge, assez lourd et crémeux, est très éloigné de celui des autres compositions de The Different Company, qu’il s’agisse des vôtres ou de celles de votre père. D’où vient ce virage ?

Chez TDC, nous ne cherchons pas un fil conducteur entre chaque fragrance. Chaque parfum possède sa propre histoire. Je tente aussi de ne pas m’enfermer déjà dans un style, une écriture reconnaissable… c’est encore un peu trop tôt ! Entre Jasmin de Nuit et Oriental Lounge il y a tout un parcours : une découverte, un apprentissage, un pas de deux avec les matières premières naturelles et synthétiques.

Oriental Lounge s’inscrit dans la nécessité de composer un oriental chaleureux, qui manquait à la marque, pour dire les choses clairement. Et qui me manquait également, car pour vous l’avouer ce n’est pas ma famille olfactive préférée. Donc, c’était l’occasion rêvée de tâter un terrain jusqu’à présent un peu boudé !


Vous êtes-vous sentie tenue de vous plier à certaines règles qui définissent la famille « oriental » ?

Quand on travaille dans une famille olfactive spécifique on aborde forcément une certaine forme d’académisme. Le consommateur comme le professionnel doivent trouver, reconnaitre, des marqueurs spécifiques et identifiables : chaud, vanillé, épicé, résiné, poudré, sensuel, lourd…etc. Ah ! Comme il difficile de s’en écarter et de s’engager dans les chemins de traverses !


Vous vous étiez déjà prêtée à ce type d’exercice l’an dernier avec le genre chypre pour Sublime Balkiss.

Il fait en effet référence à des parfums chyprés, je ne m’en suis pas cachée. Pourtant j’ai exprimé une forme de désobéissance, car dans la recette « idéale » du chypre j’ai décidé de supprimer la mousse de chêne ou l’evernyl pour les remplacer par la feuille de violette. Le résultat est là : on sent un chypre, on repère un territoire olfactif familier, mais les matériaux employés sont différents, et apportent, je l’espère un petit air de renouveau.

Oriental Lounge s’inscrit dans la même démarche. J’empoigne une forme académique composée de vanilline, de labdanum, de patchouli (ce côté Ambre 83 que vous devez certainement connaitre) et de tous ces détails plus ou moins utiles qui correspondent à l’image communément acquise du parfum oriental, et je tente de trouver un nouveau regard. J’essaye de faire « parler » mes matériaux de façon différente et pourtant familière.


Quels sont ses matériaux les plus loquaces ? Les plus difficiles à faire parler ?

Le Caloupilé, matière première naturelle dominante de ce parfum (qui me permet de m’échapper d’un oriental trop conformiste) est certainement loquace, mais difficile à maitriser, car inhabituel. Son odeur est puissante, rêche et verte, métallique et chaude, avec un vague relent froid de pétrole. C’est ce que nous nommons communément la feuille de curry, mais nous avons évité d’employer ce nom car il possède une forte résonance culinaire. Or son odeur n’a rien à voir avec celle du mélange Curry de Ducros ! Le Caloupilé est l’exemple même d’un matériau bavard et généreux.

Le labdanum est un monolithe magnifique mais qui n’a rien d’autre à raconter que : ambre, ambre, ambre. C’est un marqueur indispensable dans ce type de compo, mais terrible car il vous enferme parfois dans un monologue…

La rose rouge, c’est pour le coté garçon manqué : une fragrance pour les hommes comme pour les femmes. Quelque chose de sensuel et poivré. Pas de rose rouge naturelle mais un mélange de géranium, de poivre et d’un autre truc ! Le plaisir pur du parfumeur qui découvre une astuce : 1+1= 3

La fève tonka, c’est pour le plaisir du grain de peau, du toucher onctueux sans la mièvrerie de la vanille-vanilline. La fève tonka crée un pas de deux avec les notes boisées, embrasse la rose et apaise le Caloupilé….ce n’est pas la vedette, mais le second rôle indispensable.


Dans la liste des notes on retrouve le bois de satin . S’agit-il du bois orange ou bois-jasmin, ou d’un matériau synthétique boisé ?

Bois de satin est une façon plus jolie et moins hypocrite (je n’oserai pas écrire bois de santal) pour parler d’un mélange de bois de santal synthétique et de note poudrée. TDC se distingue en effet pour ces parfums qui contiennent une forte proportion de matières premières naturelles (ici une belle quantité de Caloupilé et de labdanum, entre autres), mais j’ai besoin des matériaux de synthèse pour donner du souffle, du rythme et de la lumière à la composition. Le 100% naturel a des limites, auxquelles d’ailleurs je me suis frottée récemment…


Si Oriental Lounge devait raconter une histoire, laquelle serait-elle ?

Un coffret précieux en bois inconnu caché dans notre mémoire. Chacun de nous lui confie ce qu’il souhaite, ce qui lui semble le plus précieux, pour le bonheur de le retrouver plus tard, quand le moment sera venu. Une boîte à trésor que l’on ouvre délicatement avec un sentiment de crainte et d’excitation, ou avec un soupir de plaisir tranquille. J’aime imaginer que mon coffret est vide, et qu’il ne reste que quelques bribes d’effluves à peines identifiables mais agréables, pour laisser la place à de nouveaux récits.


Vous rédigez un blog, « Chroniques Olfactives », depuis quelques mois. D’où vous est venu ce besoin d’écriture ?

C’est en moi depuis longtemps. Ecrire des histoires d’odeurs avec des mots. Sans doute parce que j’ai toujours exprimé l’idée qu’un compositeur de parfums écrit une histoire avec des odeurs, plutôt qu’avec des mots. Et puis la vie de tous les jours a une grande influence sur ma façon d’aborder la création. La rue m’inspire des parfums. Je me suis surprise à écrire dans ma tête ce que je sentais autour de moi et, en en parlant avec mon entourage je me suis rendue compte que la plus part des personnes ne « regardent » pas avec leur nez, ou bien ont une approche négative ou hésitante. Voilà comment l’idée est venue d’écrire un blog. J’avais envie de partager ce regard, et peut-être d’initier une nouvelle forme de curiosité positive et tolérante vis-à-vis des odeurs qui nous accompagnent au quotidien, à une époque où la lessive, le déodorant et le bien-sentir comme tout le monde sont un peu envahissants !

4 commentaires:

  1. C'est toujours agréable de lire un parfumeur s'exprimant avec simplicité et conviction...
    D., je me permets de laisser un lien qui renvoie à une interview de CE lors du lancement de Balkis :
    http://www.le-luxe.fr/?p=52

    Personnellement, je regrette l'abandon du concept "mono-matière" du début de la marque...
    Sel de Vetiver est une superbe réussite. Merci Céline !

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  2. Merci du lien à l'interview de Céline Ellena réalisée par Annick Le Guérer, Thierry. Je l'avais consultée mais j'avais oublié d'inclure la référence (il faut dire que je ne travaille pas dans mes conditions habituelles: j'ai "posté" d'un motel de bord d'autoroute au Québec!).

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  3. Je connaissais le caloupilé dans le cabri massalé de ma tante, originaire de la Réunion. Il me reste à le redécouvrir dans cette création.

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  4. Chiharu, je connaissais l'ingrédient culinaire également mais son traitement dans Oriental Lounge le rend, non pas méconnaissable mais certainement très différent...

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