lundi 16 juillet 2012

Habanita 2012 et vintage : Vos impressions



Le 7 juin dernier, je proposais aux internautes de se prêter à un exercice inédit sur Grain de Musc : partager avec nous dans un billet leurs impressions d’Habanita de Molinard dans sa nouvelle formulation, car ce parfum avait fait trop longtemps partie de ma vie pour que je m’en sente capable… Certaines se sont prêtées très gentiment et généreusement au jeu. Voici leurs textes, livrés tout simplement dans l’ordre où ils me sont parvenus.

Lucie : « Fourrures et robes de soie noires provocantes… »
Quand j'ai senti pour la première fois la version ancienne de Habanita, j'ai tout de suite pensé à la maison de mes grands-parents. C'était le deuxième « classique » à me faire cette impression après Mitsouko dont l'odeur de clou de girofle me rappelle celle des anciens outils de dentiste de mon grand-père. Pour  Habanita, après une première bouffée un peu aigre assez déstabilisante, je me suis retrouvée nez à nez (c'est le cas de le dire) avec une puissante odeur d'encaustique, caractéristique des vieilles armoires familiales de ma grand-mère. J'ai donc trouvé étrange qu'un parfum puisse sentir l'armoire ancienne et j'ai décidé que je ne l'aimais pas... jusqu'à ce que, dix minutes plus tard, les notes de térébenthine s'envolent pour laisser place à une merveille vanillée et ambrée, chaude, sensuelle et un peu moite. Pour filer la métaphore, c'était un peu comme si la respectable armoire s'était ouverte sur une collection de fourrures et robes de soie noires provocantes encore imprégnées du parfum et de l'odeur de la peau de leur propriétaire.

 En comparaison, la nouvelle version m'a semblé moins tranchée. Les notes aigres sont nettement gommées et on a atténué l'encaustique. Du coup, il me semble que l'évolution du parfum est moins spectaculaire : l'armoire n'est pas fermée et on entrevoit tout de suite les notes qui ne se dévoilaient que plus tard dans l'ancienne version. J'ai également l'impression que les notes ambrées-vanillées sont moins enveloppantes que dans la première version.

Finalement, la nouvelle version me semble à l'image de la différence entre les deux flacons du parfum. Le Habanita d'aujourd'hui est plus lisse, dépourvu des reliefs prononcés qui me paraissaient être la marque distinctive de l'ancien. 

Alizarine : « Sensuelle comme un sein d’odalisque… »
Le premier "snif" m'a plongée dans l'étonnement. Je m'attendais à tout de suite être envahie, assommée, saoulée par une fragrance lourde, opulente, tout à la fois hyper-féminine et orientale. Quelque chose à mi chemin entre Aromatics Elixir de Clinique et l'Opium d'YSL. En fait l'intro est extraordinairement surprenante : vive et presque fraîche ou plutôt comme acidulée. Une très intéressante variation sur des agrumes entre zist et zestes et aussi des feuilles vertes froissées vivement, me semble-t-il. Un jus comme effervescent qui peu à peu s'estompe... et disparaît, évaporé !! Voici une note de tête bien délicieuse, ce fut vraiment ma plus grande surprise/révélation.

Le cœur qui apparaît ensuite est fait de charme pur. Abandonnant sa vivacité première, le parfum s'alanguit sur un lit de fleurs, de miel, de bois précieux aussi peut-être. La lumière devient plus douce, comme rosée et dorée. C'est devenu une gourmandise poudrée et
moelleuse  comme un loukoum, tendre et douce, sensuelle comme un sein d'odalisque. Mais ne méprenons pas, pour l'instant nous n'avons pas mis encore le bout d'un orteil dans l'orient. A ce stade, j'avoue, j'ai parfois succombé à l'envie de le juxtaposer ou même le mêler au Candy de Prada.

Dans un troisième temps vient enfin la sublime note de fond. L'atmosphère devient mystérieuse, la luminosité assombrie et subtilement exotique/érotique. Comme si de fins voiles de zéphyrs, de mousselines, de satins fins filtrent transformaient la douce luminescence précédente en un antre magique de femme fatale un peu sorcière où rubis pourpres, topazes ambrées, émeraudes énigmatiques luisent doucement dans une pénombre pourprée enivrante de fumées.  A ce stade, je perds un peu pied, je ne saurais dire le nom de ces philtres (ambre sûrement, ylang-ylang aussi... et puis oh… des bois, des résines...?), mais mmh je préfère  avancer là les yeux voilés. La note de fond d'Habanita est vraiment extraordinairement originale et moderne. Sans âge. Lors des paliers précédents j'arrivais encore à trouver des repères et similitudes ou même des échos avec d'autres parfums. Ici et maintenant, dans cette note de fond qui tient et perdure, vibrante et vivante, animale : non.

Vous dirais-je - est-ce la peine? - que ce parfum fut pour moi une révélation, un coup de foudre. Love at first smell, c'est ce qui me vient irrésistiblement à l'esprit. L'impression comme des milliers de femmes qu'il s'agit d'un parfum fait pour moi...
Cependant je n'ai aucun regret de n'avoir pas succombé à son charme plus tôt, quand j'étais une toute jeune adulte qui voulait s'affranchir des dictats de sa mère comme je vous l'ai précédemment raconté. Non que ce soit un parfum de maturité, non qu'il ait une étiquette en filigrane : parfum de femme... Moi, moi je n'étais pas prête encore pour le ressentir, le comprendre, l'aimer : pour le recevoir.

Une dernière petite remarque avant de clore ce petit billet. Je suis frappée par la construction nettement étagée de ce parfum. Par la façon dont ses notes de tête, de cœur et de fond se succèdent avec bonheur, ce qui paraît bien périlleux tant elles sont différentes. J'ai irrésistiblement pensé à des rideaux de théâtre qui se chevauchaient, se recouvraient l'un l'autre... puis s'ouvraient un à un, lentement, chacun des premiers disparaissant totalement pour laisser place au dernier. Oui c'est une évocation que j'ai ressentie nettement, visualisée même. Au-delà du goût qui est forcément subjectif, du coup de cœur qui reste personnel, je trouve qu'il s'agit là d'une performance assez inédite et remarquable.



Ajisai : « La nostalgie des accords barbares… »
Difficile de se prononcer réellement sur le Nouvel Habanita…
Il me fait penser à un très bon élève qui reproduit fidèlement, en intégrant l’air du temps, les préceptes enseignés par un illustre ainé, mais sans en avoir capté son génie. Peut-être en effet est-il trop appliqué, trop parfait…  Et si l’effet d’addiction de la formule originale venait de ses dissonances, soigneusement gommées dans la version 2012 ? Le nouvel Habanita, sur moi, n’est plus « le parfum le plus tenace au monde », mais joue cependant une très jolie musique olfactive…

Alors voici un jus sage, tendre, lumineux. Sa petite musique est  plus aérienne : moins de patchouli ? Moins de mousse de chêne et d’ambre ? Un peu plus de santal et de rose ? L’âpreté résineuse, l’impression d’orage olfactif prêt à éclater a disparu. La vanille est domptée, elle n’explose plus dans une brume de sensualité. Habanita ne dérange plus. Il n’envahit plus l’espace. Plus floral, plus équilibré, plus accessible, la version 2012 pourrait être la jeunesse de l’original : une préadolescente, pas encore tout à fait fatale, même si l’on devine déjà tous les traits de la future héroïne.
Reste que l’effet « fumigations d’un autre âge », et son incroyable sillage me manque : mon nez a du mal à se résoudre à cette interprétation toute en retenue, j’ai sans doute la nostalgie des accords barbares et plein de mystères de la version vintage.

Hélène : « Il me faudra lui dire adieu »
Finalement, j'ai trouvé que l'exercice n'est pas si facile quand on porte un parfum depuis, euh... quinze ans comme une seconde peau voire une extension de soi.

J'ai aimé Habanita pour son incroyablement sensualité, animale mais moelleuse et douce comme une Heure Bleue posée sur un lit masculin, presque rêche, nerveux et d'une ténacité à toute épreuve. Il évoque/ait pour moi une féminité bien particulière à l'équilibre yin/yang parfait, même si sa force souterraine n'était pas si facile à déchiffrer pour la non-initiée à la composition que je suis.

La première approche du nouveau est drastiquement différente. Brûlé, goudronné, cuiré, il impose une raideur sombre qui me fait penser au Black de Bulgari. Un macadam chauffé, limite pneu. Assurément plus masculin, tellement plus raide et offensif. Le moelleux du jasmin (euh... je crois) alangui dans un nuage ultra-poudré presque cocotte a fui.  Certes plus actuel, il perd mystère, sensualité, animalité et féminité. Le voilà presque devenu arrogant de virilité en tête. Et quand je dis en tête... il a de la suite dans les idées et cette note demeure jusqu'au bout.

Hélas donc, il me faudra lui dire adieu. Je n'ai pas envie de ressembler à cette non-femme-là, et je n'avais d'ailleurs pas du tout envie de le moderniser. Le vintage est parfois ce qu'il y a de plus actuel, dérangeant, disruptif. 

Un mot sur le flacon tout de même. Il a retrouvé ses proportions d'origine que lui avait données Lalique tout en adoptant un velouté actuel, sobre, élégant, assez sensuel, noir du bouchon au flacon,  mais là aussi frôlant la sévérité et ... le masculin. Pour une fois, on n'est pas tombé, certes, dans une vanillade ramollie et écoeurante mais le résultat le banalise. Pourrez-vous me dire si cette transformation est due aux lois de l'IFRA ? 
Une dernière note : le prix a été augmenté de 30%, soit disant parce que nous passons de l'Eau de Toilette à l'Eau de Parfum. Qui sera dupe ?

[Note de GdM : les réglementations – et non les lois, car ce n’en sont pas – de l’IFRA sont toujours en partie responsables des reformulations. Une matière première synthétique très caractéristique de l’ancien Habanita, l’acétate de vétivéryle « craqué » n’est plus autorisée, par exemple.]

Merci à toutes pour vos textes... Si l'expérience vous a plu, je suis prête à recommencer !

11 commentaires:

  1. Bonjour!
    Merci aux auteurs, et à vous Carmencanada pour cette initiative. J'ai bien aimé ce regard croisé, moi qui n'est jamais senti Habanita! Il faut dire qu'elle n'est pas du genre tapageuse et pourtant, à vous lire, elle n'a rien d'une "timide".
    Il y a dans vos billets du vécu, de la passion, du style. Et bien sûr, on sent poindre, déjà, une nostalgie.
    Le mot "féminité" revient souvent, est-ce à dire que sur un homme ce serait... borderline?
    Cela dit, si j'ai bien compris, voilà une création qui va rejoindre le panthéon du vintage? Attention, la chasse au stock est ouverte!
    Saxo

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  2. Argh!
    "Moi qui n'ai jamais senti"!
    Regard contrit

    Saxo

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  3. L'expérience m'a beaucoup plu. Tester un parfum est toujours pour moi un plaisir bien sûr. Mais j'ai au moins autant apprécié la douce obligation que vous nous aviez imposée : écrire ! Ma rencontre avec Habanita s'en est enrichie, "passer aux mots" lui a donné plus de profondeur, de relief, de grain !
    Et puis merci de m'avoir acceptée malgré mon handicap : je suis la seule sans doute ici qui ne connaissais pas réellement la première version... hum je me sens d'ailleurs un peu comme un vilain petit canard !;)
    Alizarine

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  4. Saxo, Habanita n'a peut-être pas la puissance de feu publicitaire du produit d'un grand groupe mais olfactivement, dans toutes les versions, c'est une bombe!
    Je pense que c'est jouable sur un homme, car ce n'est pas un parfum aux notes explicitement féminines au sens où on l'entend aujourd'hui.
    Et, oui, ces billets sont riches à la fois des impressions de leurs auteurs et de leur personnalité!

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  5. Alizarine, ce que vous dites est exactement la raison qui m'a poussée à commencer ce blog: le passage à l'écriture contraint à une approche plus "feuilletée" de l'expérience et à une appréciation plus profonde.
    Je pense aussi qu'il était important d'avoir l'avis d'une personne qui découvrirait le parfum actuel pour ce qu'il est, plutôt qu'en le comparant à une version précédente.

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  6. Bonjour !
    je confirme l'avis de Denyse : connaître le parfum a été pour moi une difficulté.après l'avoir porté 15 ans, le moindre changement s'apparente à une trahison, forcément.
    Malgré la trop grande rapidité avec laquelle j'ai rédéigé ma petite note, j'ai adooré aussi passer à l'écriture qui emmène plus loin et suit un chemin que la pensée seule ne défriche pas.
    à refaire! À refaire !
    Denyse, c'était un vrai cadeau de nous offrir un espace, et je vous remercie du plaisir qu'il m'a donné.
    Hélène

    Merci de ette générosité.

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  7. Hélène, je songerai à recommencer cet exercice qui me fait plaisir, car il permet plusieurs lectures d'un parfum, et me permet aussi de découvrir plus avant mes lecteurs et lectrices...

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  8. Bonjour,
    Je découvre tardivement ce message, car j'avais encore mon flacon "d'ancien" Habanita, et la découverte récente de la nouvelle version m'a laissée un peu perplexe. J'avais découvert ce parfum lors de la visite à Grasse, et je l'aimais pour sa lourdeur, sa sensualité. La nouvelle version me parait très édulcorée. Je suis totalement d'accord avec l'article, même si je n'arrive pas (encore?) à me résoudre à passer à autre chose...
    Emma Bovary

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  9. Emma, il y a bien des années de cela, alors que je portais Habanita, j'avais associé dans un texte Madame Bovary et Poison de Dior. Votre pseudonyme ajoute une volute à la boucle! Je suis d'accord, ce nouvel Habanita n'est pas forcément celui dans lequel on peut se retrouver lorsqu'on a porté l'ancien...

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  10. Bonjour,
    Complètement d accord avec vous...
    J ai porté l ancienne version longtemps, j étais enveloppée à chaque instant d un nuage d ambre, de vanille, très poudre, je l ai adoré...
    Il faudrait revenir à l ancienne version, car la nouvelle me semble plus masculine, moins sensuelle...

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  11. S'IL N'EST PAS TROP TARD EN 2021 SVP DONNEZ-NOUS LE CHOIX AVEC L'ANCIENNE VERSION;
    jE NE ME RECONNAIS PAS DU TOUT DANS VOTRE NOUVEL HABANITA; IDEM POUR LE FLACON TROP SEVERE ET CLASSIQUE EN FIN DE COMPTE !
    Je ne sais vraiment vers quoi ou qui me tourner pour retrouver ce nuage presque mystique qui m'entourait...
    HELIOTROPE

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