lundi 3 novembre 2008

Azzaro, avec et sans couture


J’ai eu le plaisir de passer un après-midi avec Loris Azzaro dans son appartement parisien, deux ans avant sa disparition en 2003. C’était, me semble-t-il, à l’occasion de la sortie d’un flanker de Chrome. Pour autant que je m’en souvienne, nous n’avons pas passé une seconde à en parler, préférant évoquer sa jeunesse tunisienne et les femmes spectaculaires qu’il avait habillées – de Claudia Cardinale à Isabelle Adjani en passant par Dalida, ses fourreaux en jersey semblaient particulièrement adaptés aux beautés exotiques torrides. Puis nous avons parlé d’opéra.

Le séduisant couturier aux yeux bleus possédait un véritable trésor d’enregistrements rarissimes, que nous avons écoutés dans sa chambre tapissée de galuchat, sur un couvre-lit en petit-gris (le vair des contes de fée) d’une douceur extravagante, sur lequel il devait être délicieux de se rouler nue (ce ne fut hélas pas mon cas). Cet homme-là savait vivre.

Quand nous avons enfin abordé le sujet du parfum, je lui ai avoué avoir beaucoup porté son premier, Azzaro, et regretter qu’il ne soit plus commercialisé. Sur ce, il m’a offert un flacon anonyme contenant le précieux élixir, qu’il faisait encore fabriquer pour son usage et pour l’offrir à ses amis…

C’est ce parfum, d’abord lancé sous le nom d’Azzaro en 1975, qui vient d’être relancé, rebaptisé (il s’appelle désormais Azzaro Couture) et reformulé en profondeur par Aurélien Guichard, qui semble se spécialiser dans ce genre de lifting (on lui doit également les nouveaux Baghari et Visa de Robert Piguet).

Reformulé n’est sans doute pas le terme exact : Azzaro Couture est un parfum nouveau. Vanessa Seward, la dernière assistante de Loris Azzaro, désormais designer de la marque, souhaitait moderniser le parfum tout en maintenant son esprit, tout comme elle préserve l’esprit 70s des fourreaux drapés d’Azzaro en les adaptant à la vie contemporaine (si tant est que cette vie se déroule sur les tapis rouges).

Curieusement, lorsque je sens le nouvel Azzaro, j’ai l’impression qu’il a été entièrement dépouillé de sa colonne vertébrale : la mousse de chêne. Ce n’est pas le cas : la mousse de chêne et la mousse d’arbre font partie des ingrédients cités sur l’emballage de la nouvelle formule.

L’ancien Azzaro dégageait l’opulence de chypres fruités 50s comme Diorama, revus à travers un prisme post-Diorella. Il a été composé en 1975 par Maurice Thiboud, le second successeur de Jean Carles à l’école de parfumerie des laboratoires Roure, trois ans après la sortie du dernier chef d’œuvre d’Edmond Roudnitska pour Dior. Ainsi, comme les fourreaux d’Azzaro, il conserve le glamour à l’ancienne de la haute couture (si Rita Hayworth avait tourné Gilda dans les années 70, c’est chez lui qu’elle se serait habillée pour sa mythique scène d’effeuillage), tout en apportant une nouvelle souplesse de jersey au genre du chypre fruité.

Comme Diorella et son prédécesseur Diorama, l’Azzaro original démarre sur un accord riche, fruité et un peu blet : dans ce cas, la mirabelle et la fraise, baignées d’un mélange de mousse de chêne et de patchouli. Le gardénia et le jasmin dominent son cœur floral (bien que la rose, l’ylang-ylang et l’iris soient également listés). Il est beaucoup moins vert et hermaphrodite que Diorella (qu’on appelle souvent la version féminine d’Eau Sauvage), mais il doit beaucoup de sa légèreté à la réécriture par Roudnitska de la formule chypre.

Par comparaison, le nouvel Azzaro Couture chante sur une note beaucoup plus stridente : c’est un soprano teinté de rose plutôt qu’un mezzo patiné par la mousse, avec un sorte de croustillant de sucre pâtissier dans sa base vanille, et un soupçon de miel qui rend le patchouli plus sirupeux.

La formule a été déshabillée de ses aldéhydes pour la moderniser : leur effervescence est remplacée par le chatouillis du poivre rose. D’après les vendeuses, le nouvel Azzaro est plus fruité que son prédécesseur, mais je dirais plutôt le contraire : le fruité n’est pas en évidence. En revanche, le gardénia et le muguet y ouvrent, discrètement, ce que j’ai appelé ailleurs la Grande Bulle Blanche et Verte. D’après le communiqué de presse, la formule contient cinq absolus, le mimosa, la rose de mai, l’iris, la graine d’ambrette et le galbanum, une rareté dans la parfumerie moderne, nous dit-on, tant ces ingrédients sont onéreux. Et en effet, Azzaro Couture a une texture opulente, d’une trame plus serrée que la plupart des néo-chypres, ce qui lui donne le même style un peu rétro que les robes post-Loris de la maison Azzaro.

Cette reformulation me rappelle en fait beaucoup celle qu’Acqua di Parma a récemment fait subir à son Profumo, au départ très semblable à l’Azzaro original. Tout se passe comme si Nathalie Lorson et Aurélien Guichard, face au même problème – moderniser un chypre fruité 50s – étaient parvenus à des solutions similaires, à la même traduction. Ni l’un ni l’autre de ces parfums n’est d’une originalité époustouflante, et pour ma part, je les préfère tous deux dans leur formule d’origine. Mais pour faire une entrée de diva, on pourrait trouver bien pire que ces parfums tout en richesse. S’ils ont retiré leur gaine, c’est qu’ils ont du muscle sous leurs courbes bien placées.

Image: Sheila en Azzaro.

5 commentaires:

  1. Ah, Sheila aussi ??? Mon enfance a été bercée par les shows télévisés de Maritie et Gilbert Carpentier (les Français comprendront...)

    Je n'ai pas senti ce nouvel Azzaro et je ne connais pas l'ancien. En revanche, j'ai été favorablement surpris par la reformulation de Profumo - même si évidemment je préfère de loin l'ancien - qui n'a pas pas été totalement "lightisé" et qui reste riche tout en étant pas si moderne que cela. Considérant de plus que le prix a été doublé je ne suis pas sûr que ce soit un succès commercial.

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  2. Beh oui, Thierry, Sheila aussi... Elle n'est pas belle en Azzaro? Moins torride que Dalida, c'est sûr (mais personne ne peut rivaliser avec Dalida).
    Je trouve les deux reformulations très, très bien comme parfums, simplement, pour moi, ce ne sont pas les mêmes parfums du tout. En perdant ce côté fruité-moussu qui les enveloppe et les relie à la descendance de Mitsouko, ils changent entièrement de caractère pour devenir des gardénias un peu chyprés.

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  3. Denyse, vous excitez ma curiosité avec cet Azzaro Couture! :-)

    Personnellement, j'ai trouvé le nouveau Profumo é-pou-stou-flant (l'ancien était vraiment trop daté).

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  4. Bonjour Elcé. J'aime beaucoup le nouveau Profumo également (Nathalie Lorson, qui a composé Encre Noire et Perles de Lalique, est vraiment très douée), mais je ne suis pas tout à fait d'accord sur la notion de "daté".
    Cela mériterait d'ailleurs une discussion plus approfondie, que je me propose de lancer dans un prochain post, inspiré par l'un des textes récents d'Octavian et par votre commentaire... A suivre, donc.

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