jeudi 28 août 2008

Requiem pour un chypre : Acqua di Parma Profumo


Parfois, on arrive si tard à la fête que non seulement les invités sont tous partis, mais l’immeuble a été rasé, et les promoteurs s’apprêtent à inaugurer le nouveau.


Comment ai-je pu rater ce magnifique chypre ? Après tout, on le vend depuis 1930.

Certes, Acqua di Parma Profumo est pratiquement inconnu de la blogosphère parfumée, avec une seule critique au compteur (chez Marina de Perfume-Smellin’ Things) et une petite poignée d’avis sur Basenotes et MakeUp Alley (dithyrambiques, à part une ou deux ronchonnes qui trouvent que ça sent la vieille dame). Mais sans un commentateur de ce blog, je n’aurais jamais connu son existence, bien que j’aime beaucoup Iris Nobile eau de parfum… Sans doute parce qu’il s’agit d’un jus italien : a-t-on jamais entendu parler d’un chypre transalpin ?


Et maintenant, c’est pratiquement trop tard. Acqua di Parma est sur le point de lancer une nouvelle formule, le 15 septembre. Elle est signée par Nathalie Lorson (auteur de deux superbes Lalique, Perles et Encre Noire, ainsi que de Bulgari Voile de Jasmin, entre autres), ce qui augure plutôt bien. Quoi que LVMH, propriétaire de la marque quasi-centenaire depuis 2003, ait plutôt la réputation de saccager ses classiques…


J’ignore si mon flacon pré-reformulation (l’un des trois derniers en rayon au Drugstore Publicis) ressemble à la composition de 1930, censée contenir 300 ingrédients, mais la mousse de chêne figure sur la liste, et ça se sent – tout comme la lourde bouffée de civette. Profumo a la qualité d’un chypre-archétype, qui allie le velouté d’un Mitsouko au soupçon d’androgynie de chypres aromatiques plus tardifs comme Miss Dior ou Diorling — un homme pourrait parfaitement le porter. La sauge, la cannelle, le clou de girofle et la cardamome infusent les notes de tête hespéridées d’une bouffée chaude-froide à la fois médicinale et épicée. Au cours de la journée, le cœur floral s’épanouit lentement – je décèle du jasmin, de l’iris, de la rose et de l’ylang-ylang --, avant de céder à la base boisée, fumée, terreuse (mousse de chêne, santal, ciste labdanum et encens).


Pour une eau de parfum, la concentration ne semble pas très forte, et l’odeur tend à s’estomper périodiquement, mais elle a une belle ampleur et une excellente ténacité.


Acqua di Parma Profumo a déjà été retire des rayons dans les Sephora (qui appartiennent à LVMH), mais on peut encore trouver l’ancienne version en ligne. Je le conseille vivement aux amoureux des chypres.

D’ailleurs, je crois que je vais aller en chercher un second flacon au Drugstore. Ne vous avisez pas d’y toucher.


Image : Monica Vitti dans L'Avventura de Michelangelo Antonioni (1960)

8 commentaires:

  1. Que je suis heureux de vous lire !!!

    Il est peu probable que la formule soit exactement celle des années 30 car il me semble que ce parfum est "ressorti" lorsque la marque a été relancée dans les années 90. Cependant, sans communication spécifique - à ma connaissance - son succès ne pouvait être que très limité. Profumo n'était même pas visible sur certains stands des grands magasins parisiens.
    D'après ce que j'ai cru comprendre la recette LVMH devrait être la suivante : garder le nom, alléger et moderniser le jus, soigner le packaging, et augmenter considérablement le prix afin de positionner le produit HDG.
    J'aime aussi beaucoup ce qu'à fait Nathalie Lorson chez Lalique... à suivre donc...

    Les commentaires péjoratifs sur basenotes ne m'étonnent pas. Cependant, juste après mon achat, une amie l'ayant senti sur moi, le qualifiait de "masculin" alors qu'elle trouve au contraire Pour Monsieur de Chanel "féminin". Cette appréciation spontanée me parait très intéressante. En effet pour le Chanel il s'agissait de partir d'une base cologne et de raffiner la formule par des inflexions florales.
    Profumo sent vraiment la mousse de chêne et cet aspect terreux même environné de jolies compagnes très gracieuses choque les nez d'aujourd'hui par son caractère altier et sauvage... qui nous renvoie un peu à la discussion sur le sale et notre culture (la pourriture ne concerne pas que le règne animal).

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  2. Thierry, merci infiniment de m'avoir recommandé ce parfum... Même en bout de course!
    J'aime aussi beaucoup le travail de Nathalie Lorson pour Lalique, mais ce sera tout de même un autre parfum.
    Pour rebondir sur vos remarques : elles confirment mes idées sur l'ambivalence sexuelle des chypres (enfin, "mes"... je suis très loin d'être la seule à le penser).
    La présence de la mousse de chêne n'est peut-être pas la seule raison de cette odeur "vieille dame": certaines lactones à odeur noix/fruits dégagent à un stade une senteur poussiéreuse. Dans le Femme vintage, par exemple, ou certaines versions de Mitsouko (surtout l'edp pré-reformulation).
    La question de la pourriture végétale est aussi fascinante, car elle renvoie en quelque sorte à notre destin ultime: faire partie de l'humus. Je ne sais pas si c'est pour cette raison qu'une odeur comme la mousse de chêne est inconsciemment rejetée, mais ce n'est pas impossible.

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  3. j'adore ces odeurs d'humus, de terre humide, de terreau ou de champignoniere, .....
    un parfum que je ne porte pas et pourtant qui m'a beaucoup plus est "route du vetiver" de mpg mais je ne pense pas que ce soit un chypré, j'ai beaucoup de mal a m'y retouver avec certaines classifications comme les chypres qui ne me semblent pas evidentes

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  4. Oui, Véro, la classification chypre, c'est un peu tout et n'importe quoi, surtout de nos jours où les marques lancent des "chypres" sans mousse de chêne. Il est vrai que le patchouli et le vétiver peuvent en assumer la fonction.
    Mais à la base, le chypre est une structure bergamote-ciste labdanum-mousse de chêne. Un point c'est tout. Ensuite, on peut parler de néo-chypres, mais ce n'est pas la même chose. Le vétiver est souvent présent, mais ce n'est pas lui qui forme l'ossature.

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  5. Oui, Véro, saisir 'intellectuellement" ce que recouvre la famille chypre n'est pas chose facile...
    Au fait, Denyse, qu'en est-il de la parenté entre Profumo et Chypre de Coty ?

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  6. Thierry, je ne les ai pas sentis côte à côte, et mon flacon de Chypre (le plus authentique, l'extrait des 50s) a perdu ses notes de tête.
    De mémoire, par rapport à la reconstitution de l'Osmothèque (sentie il y a plusieurs mois), je dirais que le Profumo reprend assez fidèlement la structure bergamote-ciste labdanum- mousse de chêne, avec un côté jasminé beaucoup plus présent dans la version Osmothèque que dans celles que je possède. Il y aussi des notes aromatiques qui sont présentes dans le Chypre, mais le Profumo contient aussi des notes fruitées (pêche) et de la canelle, qui ne sont pas dans le Chypre.
    L'une de mes commentatrices en anglais, Helg de Perfume Shrine, me faisait remarquer que Profumo n'apparaît que très tardivement au catalogue d'Acqua di Parma, en fait après le rachat par LVMH. Octavian de 1000fragrances me précise, lui, qu'Acqua di Parma n'apparaît pas dans les magazines italiens des années 30, du moins ceux de sa propre collection.
    Il est fort possible qu'un chypre ait existé au catalogue de la maison dans les années 30, mais ce n'est pas prouvé: il peut s'agir d'une composition beaucoup plus contemporaine, mais certainement basée sur un concept, sinon une formule, assez ancienne.

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  7. Merci pour toutes ces précisions... Je n'étais pas sûr en effet d'avoir tout compris des commentaires en anglais... (en fait si ! )
    Le prototype chypre n'est donc ni vraiment fleuri, ni vraiment fruité, ni vert, ni cuiré... tout en étant tout cela en même temps !!! ???
    Lorsque j'avais posé la question à Jean Kerléo du parfum moderne qui s'inscrirait le plus fidèlement dans la lignée, il m'avait répondu : Pour Monsieur à défaut de pouvoir fournir une autre réponse.
    Aussi avec Profumo j'avais pensé qu'il ne pouvait pas vraiment être classé dans les chyprès fruités comme Mitsouko et Femme. Il me sembre aussi que malgré l'aspect riche et suranné (l'effet vieille dame) ce parfum recèle une certaine rudesse absente de la composition dorée, ornée et saturée de Jacques Guerlain... voilà l'origine de ma question.
    Par ailleurs si recomposition il y a eu, on reste dans un style très fifties (plus que 30's) sans rapport avec les créatures anorexiques, liftées, botoxisées qu'on nous sert aujourd'hui...

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  8. Thierry, oui, il est moins velouté que Mitsouko, mais il a quand même le côté fruité d'un Quadrille, par exemple, plutôt que d'un Diorama. Plus 50s que 30s, je suis d'accord.
    Pour Monsieur reste en effet ce qu'il y a de plus proche du Chypre d'origine, mais un peu plus fort en hespéridés et moins en floraux.

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