jeudi 11 février 2010

L'Eau Serge Lutens: fondu au blanc



Quand L’Eau Serge Lutens a été présentée à la presse parisienne – qui comprend désormais les blogueurs – j’ai réservé tout jugement, d’abord parce que le lancement n’était pas programmé avant plusieurs mois, et que personne n’aurait pu commenter dessus, ensuite parce que je venais de rencontrer Serge Lutens pour la première fois, et qu’il est l’un des rares personnages du monde du parfum à être dotés pour moi d’un aura véritablement magique.

Je me suis remise de mes émotions depuis un bon moment maintenant, L’Eau Serge Lutens est en rayon et le déconcertant virage de son auteur (avec Christopher Sheldrake) vers le « propre » a beaucoup fait gloser les internautes. Si l’on prend au mot M. Lutens, il s’agit d’un désir de pureté dans un environnement olfactif sursaturé, d’une façon de faire table rase. Si on situe ce virage dans le contexte du marché, il s’agit de l’ajout d’un style populaire à une collection qui proposait certes quelques parfums clean, mais aucun qui soit aussi… minimaliste : sans doute une façon de draguer le consommateur mainstream, bien compréhensible en ces temps de crise.

Mais parlons du parfum.

L’Eau Serge Lutens est une construction délicate d’aldéhydes citronnés et de rose transparente avec des effets muguet, magnolia et freesia, relevée d’une petite pincée d’épices du genre qu’on décèle dans L’Air du temps, et d’une bulle de galbanum/jacinthe abstraits, qui la rattachent vaguement à la vogue actuelle du vert. La base de muscs blancs est teintée d’une facette métallique et hantée par une note aquatique (qui n’est pas de la Calone) dont j’aurais juré qu’elle n’y était pas lors de mes premiers tests. Mais impossible de faire abstraction de cette petite touche de melon lorsqu’on l’a repérée.

Disons pour le situer sur le curseur qu’il s’agit d’un musc magnolia/muguet un peu aquatique, ce qui le situe au confluent de plusieurs tendances – le magnolia, avec ses facettes savonneuses/citronnées, étant le nouveau marqueur olfactif du propre. Il est moins sec que, disons, Essence de Narciso Rodriguez, et moins douceâtre que le musc-fleur d’oranger lessiviel de l’Aqua Universalis de Francis Kurkdjian.

Donc, non, ça ne sent pas le Lutens. L’odeur est fine et plaisante, la rémanence est marathonienne – comme souvent les muscs blancs. Je l’ai porté à plusieurs reprises et je ne suis pas cliente, mais ceux qui cherchent un parfum propre pourraient trouver pire (cela étant, si vous me lisez, il est probable que ça ne soit pas votre cas).

M. Lutens, je vous aime toujours, et je comprends vos envies de changement. Vous ne m’en voudrez pas, j’en suis sûre, de préférer Bois de Violette ou La Myrrhe. Quand je me sens d’humeur anti-parfum, je ne me parfume pas.

Image de Francesca Woodman.


27 commentaires:

  1. Je viens d'effacer le roman que je venais de taper.

    Il suffit de rappeler deux choses.

    L'argument de vente de ce jus est, je cite: "le savon le plus cher du monde".
    C'est suffisamment éloquent.

    Deuxio, comme vous l'avez souligné, la seule réponse logique à opposer à tout ce verbiage sur l'anti-parfum, l'anti-odeur, etc etc, est: quand on ne veut pas se parfumer... on ne porte pas de parfum.

    C'est aussi simple que ça.

    S'il y avait vraiment eu démarche artistique, il y aurait eu un réel anti-parfum, un OONI, un parfum qui pousse la non-odeur, le propre, jusqu'à l'outre-blanc, au transperçant, à l'aveuglant. Plutôt qu'à cette petite chose pâlichonne qui fait un peu illusion au début, mais n'a absolument rien de particulier.

    Et hop, 100 euros d'épargnés en "savon le plus cher du monde" - et autant de gagné pour acheter un parfum. Un vrai.

    RépondreSupprimer
  2. Six', il est vrai que "l'anti-parfum" annoncé faisait rêver à la possibilité d'un objet olfactif plus baroque -- ce qu'est, par exemple, le Dry Clean de Comme des Garçons. Ou l'Anti-matière d'Isabelle Doyen pour LesNez. Il est vrai que ce dernier a une odeur de présence humaine, ni particulièrement sale, ni particulièrement lavée...

    RépondreSupprimer
  3. Voilà, exactement, L'Antimatière, est un excellent exemple, même si pas strictement dans le registre "propre"... mais ça, c'était une vraie recherche olfactive.

    Je ne vais pas pousser plus loin sur L'Eau et son angle de promotion.
    Le décalage entre le discours et le jus lui-même est suffisamment parlant.

    RépondreSupprimer
  4. Six': autres exemples possibles d'anti-parfum: les Geza Schoen pour Escentric Molecules. Une molécule, à peine habillée. Retour à la case départ.

    RépondreSupprimer
  5. Mes Lutens préférés sont "Bois violette" pour moi et "Borneo" sur mon amant, et pourtant d'après la descrition, cette Eau pourrait me plaire certains jours avec certains vêtements (une chemise blanche et un maquillage transparent glossy) pour souligner le côté "diaphane", moi qui aime beaucoup Essence mais le trouve un peu trop sec justement! Du muguet, du magnolia et une Rose transparente? N'en jettez plus, ça a tout l'air d'être le parfum idéal pour les fois où je suis au pupitre avec mon collègue terroriste-anti-parfums!
    L'Antimatière, c'est original, recherché, tout ce qu'on veut, mais pour le coup, en acheter un flacon, c'est acheter les "habits neufs de l'Empereur"! Mais j'ai pas un avis très arrêté dessus, anosmique au premier test, je le sens de plus en plus à chaque essai!
    Ne pas se parfumer les jours où n'a pas envie d'un sillage charnu? Un cauchemar, non c'est juste pas envisageable!
    Et peut-être que cette Eau est parfaite pour ceux qui n'ont pas envie que leur parfum dénature leur propre odeur personnelle, que souvent nos partenaires adorent, n'est-ce pas?
    De là à ce qu'elle détrône les orientaux, solaires et fleuris qui peuplent mes étagères...

    RépondreSupprimer
  6. Clochette, il n'y a rien de plus fort et tenace qu'un musc blanc, donc je doute que l'Eau Serge Lutens laisse filtrer la senteur de la peau...
    Personnellement, j'ai des jours "sans" -- mais uniquement lorsque je suis à la maison pour écrire. Certains parfums ont des sillages plus délicats mais ne se donnent pas pour autant comme des odeurs de propre. Si vraiment c'est ce que je recherche, je penche pour l'Eau de Cologne de Chanel, ravissante.
    Mais bon, après tout, rien n'interdit d'être séduite par L'Eau Serge Lutens, c'est une question de préférence...

    RépondreSupprimer
  7. Clochette,

    Je m'immisce mais... ma réaction - un peu épidermique, j'admets - porte surtout sur le décalage entre le discours revendicateur, jusqu'au-boutiste, et le résultat final, à savoir un jus qui est tout l'inverse.

    Dans ce sens, L'Antimatière est un parfum qui se revendique d'une démarche artistique, et le résultat est effectivement à la hauteur de la recherche annoncée (qu'on y soit anosmique ou pas, personnellement j'y sens comme de l'ambre gris salé et une odeur d'...intérieur de sac à main! soit pas forcément quelque chose que j'aurais envie de porter souvent)

    Vouloir un sillage léger ou frais, pourquoi pas! Et il y a beaucoup de jolis parfums qui feraient assurément l'affaire.

    La pilule serait sûrement beaucoup mieux passée, pour moi, si L'Eau avait été présentée pour ce qu'elle est... mais bon, comme notre hôtesse, je ne fais de toute façon pas partie du public visé.

    Denyse, je dépose là le crachoir et je descends de mon estrade! ;)

    RépondreSupprimer
  8. Six', je trouve aussi que l'Anti-matière est un parfum fascinant. Je l'ai utilisé dans mon cours sur les parfums à Londres: c'est d'ailleurs le seul que j'aie vaporisé directement sur mes stagiaires car sur carton il ne donne rien. Certaines personnes y sont en effet anosmiques, mais le parfum a néanmoins eu un effet intensifiant sur les parfums sentis sur touche.

    Pour revenir à l'ESL, je pense que le côté "radical" de l'expérience repose essentiellement sur le fait qu'il s'agisse de Serge Lutens. C'est intéressant, on peut gloser dessus et je l'ai fait à la présentation du parfum, mais bon, ça ne me donne pas, en soi, plus envie de vivre avec.

    RépondreSupprimer
  9. J'ai tendance à penser que l'éclectisme est une des qualités principales d'un artiste.
    C'est vrai, Six, je sens l'Antimatière comme vous la décrivez; il y a presque un côté "Kelly Calèche", non? J'y étais complètement anosmique les 2-3 premiers tests! C'est vraiment bizarre d'arriver à la sentir maintenant!
    Concernant Lutens, je pense que les vrais amoureux sont probablement ceux qui s'irritent le plus à le voir changer de registre, c'était déJá ce qui était arrivé pour "Nuit de cellophane".
    Après le discours type "le savon le plus cher du monde", je le considère plus au second degré avec humour, comme un clin d'oeil à Patou; la crise de 29 a eu Joy, nous on a de l'Eau!

    RépondreSupprimer
  10. Le gros non-dit de cette histoire tourne autour des restrictions IFRA anti-allergenes (naturels ou synthetiques tombes dans le domaine public parce que hors de question d'interdire des molecules qui ont coute tres cher a produire).
    Pourquoi s'ennuyer a composer des parfums complexes qui se vendent tant bien que mal et qui doivent etre reformules tous les deux ans et demi quand ceux que veulent acheter les americains et les asiatiques c'est des senteurs proprettes aux formules simples et respectueuses des normes imposees par IFRA?

    RépondreSupprimer
  11. Clochette: crise pour crise, j'aurais préféré me retrouver avec Joy, mais bon. Je pense en effet que le discours de Lutens à ce sujet est assez ironique -- et, en tous cas, l'antithèse des textes un peu hermétiques (quoique non dénués d'humour, en fait) qu'il livre en général avec ses nouvelles créations.

    RépondreSupprimer
  12. Uella, certainement les marchés américain et asiatiques sont plus sensibles à ce style. Quant à l'IFRA... je pense qu'aucune composition n'est à l'abri.

    RépondreSupprimer
  13. dans un blog consacré au parfum, je trouve important que vous disiez une chose très simple et qui tombe sous le sens: quand on ne veut pas de parfum, on ne se parfume pas!
    quel bonheur de ne pas se parfumer parfois et de ne sentir les choses autour de soi ,ou soi-même, sans le filtre d'un sillage plus ou moins présent..
    on a beau être fan de lutens, et j'en suis!, et fan des pieds de nez artistiques ou marketing, mais faut pas pousser, quand même!
    je m'attendais moi aussi à une pirouette olfactive audacieuse sur ce thème du blanc, de la propreté, de l'anti-parfum.. peut-être suis-je tout simplement déçue par le manque d'ingéniosité de cette eau.. pourtant, Lutens comme les autres, a le droit d'être inégal!
    alors, je passe mon tour et attend avec impatience sa prochaine création.. car c'est toujours un bonheur de découvrir!
    je reste plus que tout plus sensible à l'émotion des molécules mélangées qu'au discours les accompagnant, qu'il soit sincère ou téléguidé..!

    RépondreSupprimer
  14. Fleurdesel: tout à fait. On a parfois le besoin de se remettre le nez au taquet!

    RépondreSupprimer
  15. L'idée me séduisait assez et... hum c'est d'ailleurs sans doute parce qu'elle émanait du maître, Serge Lutens. Quant à désirer me fondre dans ce néant blanc, non merci.
    Votre billet (dont en premier lieu j'adore le titre !) m'a fait réfléchir. Finalement oui, il est bien probable que cette superbe déclaration pleine de panache, de hauteur presque.. au bas Monde trop parfumé usé, usant, n'est au bout du compte que statégie commerciale. Las !!!
    Je ne suis en revanche pas tout à fait d'accord qu'un non-parfum équivale à ne pas se parfumer. Il est des musiques plus calmes et profondes que le silence. Il est en littérature le concept de l'écriture blanche. Et en peinture, les monochromes, Klein, Ryman... Où s'arrête l'art, où commence le néant ? Au bénéfice du doute, je range tout de même Lutens parmi ces illuminés-là!
    M-alizarine

    RépondreSupprimer
  16. M-Alizarine, j'ai beaucoup donné dans l'écriture blanche lorsque je faisais mes études de lettres... et à tout prendre, je préfère encore le noir ou les couleurs. En effet, certains parfums peuvent creuser des silences, mais ce ne sont pas forcément ceux qui jouent des codes olfactifs du propre, car le propre n'est pas l'antithèse du parfum.

    RépondreSupprimer
  17. "d’aldéhydes citronnés et de rose transparente avec des effets muguet, magnolia et freesia"
    Lutens nous fait son "Ydille"? Au s'cour!

    RépondreSupprimer
  18. Julien, résumé ainsi on pourrait le croire, mais L'Eau Serge Lutens est on ne peut plus différente de l'Idylle de Guerlain qui offre un sillage floral très puissant tandis que l'ESL travaille à l'aquarelle.

    RépondreSupprimer
  19. "Quand on ne veut pas se parfumer... on ne porte pas de parfum". Merci Six ! C'est exactement ce que je pense aussi. Lorsque j'ai besoin de me remettre le nez à l'endroit, et bien je ne me parfume pas, je dé-sature, je remets le compteur à zéro, touche "erase" pendant quelques jours. Tout au plus porté-je une Cologne.
    Il ne me viendra jamais à l'idée de me parfumer avec L'Eau de Lutens à cet effet. C'est une sur-saturation de musc blanc ultra tenace et lessiviel qui m'accroche à la peau plus sûrement qu'un berlingot de Minidou !! Cette eau n'est pas pour moi un anti-parfum ou un pied de nez aux parfums, quels qu'ils soient, c'est EN SOI un parfum. Ovniesque ? Pas sûr ! On se souvient de la déferlante de Clean. Et à plus de 100 euros les 75 ml de lessive, je passe mon chemin. Je ne comprends pas la démarche lutensienne avec cette Eau. Rien de décadent, rien qui surprend, rien qui (m') émeut, rien de novateur, rien qui vienne en contrepoint de l'air du temps parfumesque.
    J'attends toujours, et depuis longtemps, bien trop longtemps, un VRAI nouveau Lutens.......

    RépondreSupprimer
  20. Lamarr, je pense que Filles en Aiguilles est un vrai Lutens. On peut ne pas avoir envie de le porter, lui en préférer d'autres mais il a la force d'évocation poétique qu'on attend de lui.
    Quant à L'Eau... en effet, ce musc-là ne me parle pas non plus, donc je passerai mon tour moi aussi!

    RépondreSupprimer
  21. Voilà que j'ai fait l'expérience de "L'Eau". Je n'y sens ni musc ni lessive, ce parfum(?) m'évoque bien le blanc cependant, oui il sent l'appartement blanc et neuf, fraîchement. Un parfum Ripolin, c'est amusant. Un peu cher toutefois comme plaisanterie...
    M-alizarine

    RépondreSupprimer
  22. Voilà que j'ai fait l'expérience de "L'Eau". Je n'y sens ni musc ni lessive, ce parfum(?) m'évoque bien le blanc cependant, oui il sent l'appartement blanc et neuf, fraîchement peint. Un parfum Ripolin, c'est amusant. Un peu cher toutefois comme plaisanterie...
    M-alizarine

    RépondreSupprimer
  23. j'ai été sentir l'eau et j'avoue avoir été conquise par la pureté, simplicité et la perfection de l'odeur. en fait il m'évoque plus le cristal que l'eau et je trouve que c'est un bel exercice de style. le côté dépouillé si cher à Le Corbusier.
    si j'étais collectionneuse, j'achèterais ce parfum mais ce n'est pas un parfum "utile". certaines pièces de haute-couture, certaines chaussures sont importables mais elles sont belles à voir.
    pour moi l'eau c'est cela, je trouve cette odeur très belle, mais elle n'est pas faite pour être portée...

    RépondreSupprimer
  24. M-alizarine, pas sûr qu'on plaisante beaucoup chez M. Lutens, mais je sens en effet comme un frémissement d'humour sous ses propos -- je crois que ça l'amuse de dérouter ainsi ses fans!

    RépondreSupprimer
  25. Columbine, intéressante vision, paradoxale puisque ce parfum a été lancé, me semble-t-il, pour offrir une composition plus aisément portable.

    RépondreSupprimer
  26. je crois que je me suis mal exprimée: je la trouve "importable" parce qu'elle n'apporte rien à la peau. hier j'ai mangé un gâteau dans une nouvelle patisserie-chocolaterie à Paris, il était très beau mais les deux crèmes qui accompagnaient cette création, une chantilly et une crème à St-Honoré n'avait aucun goût.
    je rejoins d'autres commentateurs qui disent que si l'on ne veut rien sentir, on ne se met pas de parfum plutôt qu'un parfum qui ne sente pas grand chose. c'est en ce sens que je disais qu'il était "importable". l'odeur est beaucoup trop discrète et attirera quelques adeptes du design mobilier actuel: très aseptisé et incolore.

    RépondreSupprimer
  27. Columbine, en tous cas, disons qu'il reste étranger à votre peau (comme à la mienne, d'ailleurs). Personnellement, même si je le trouve bien foutu, il ne me dit rien non plus.

    RépondreSupprimer