mercredi 24 février 2010

Billet d'humeur sur la mode et les parfums: Untitled by Maison Martin Margiela, Jeanne Lanvin La Rose


En préparant la présentation de 12 classiques du 20ème siècle pour mes étudiants du London College of Fashion, j’ai été, comme toujours, frappée par la cohérence absolue du message qu’ils dégageaient : le parfum, le flacon, la boîte, tout faisait écho au style du couturier. Chanel N°5 réussissait même à anticiper la direction qu’allait prendre Gabrielle Chanel (sa petite robe noire n’a été lancée que quatre ans après la conception du parfum), et bien que l’Opium d’Yves Saint Laurent marque la fin d’une époque, avec une collection haute couture d’inspiration chinoise conçue – sans doute une première – pour soutenir le lancement du parfum, ce parfum était bel et bien directement issu du désir du créateur.

La maison Chanel doit sans doute sa survie, de la fin des années 60 à l’arrivée de Karl Lagerfeld, au N°5 ; manifestement, le parfum (avec les cosmétiques et les accessoires) est ce qui assure la rentabilité de nombre de maisons de mode. Les défilés extravagants de John Galliano pour Dior n’existent pour ainsi dire que pour faire vendre sacs, lunettes de soleil, rouges à lèvres et flacons de Miss Dior Chérie. Quant aux best-sellers de Thierry Mugler, ils sont tout ce qui reste d’une maison qui faisait les manchettes dans les années 80 et 90.

Certaines marques font preuve d’une véritable cohérence podium/parfums. Aucun hiatus entre les collections urbaines et dépouillées de Narciso Rodriguez et sa ligne de parfums. Celle de Prada traduit parfaitement les codes vestimentaires « trop intelligente et chic pour essayer de plaire aux hommes » de Miuccia. Les parfums Kenzo reflètent l’avalanche joyeuse et multiethnique de couleurs et d’imprimés lancée sur les podiums par Kenzo Takada dans les années 70.

Mais Lanvin… Les parfums Lanvin me font grincer des dents. Certes, la maison est passée de main en main, et dans la mêlée, a laissé tomber dans le domaine public un nom de parfum extraordinaire, Scandale, qui appartient désormais à Roja Dove. Réussite totale côté mode, en recrutant Albert Elbaz débarqué d’Yves Saint Laurent par l’arrivée de Tom Ford : les modèles d’Elbaz ont une grâce, une dignité, une féminité fluide parfaitement assorties à la « vraie vie », sans renoncer à l’originalité et au chic. J’ai quelques unes de ses pièces (ainsi que celles créées durant son époque YSL), et elles traversent les années sans prendre une ride.

Il me semble évident qu’Alber n’a pas pu donner son avis sur Rumeur, Jeanne Lanvin ou son nouveau flanker, l’insipide floral fruité Jeanne Lanvin La Rose, qui donne l’impression qu’une adolescente s’est gargarisée au Baby Doll d’Yves Saint Laurent, a fait un petit pipi et a mis le résultat en flacon.

Untitled de la Maison Martin Margiela est meilleur. Mais comme Octavian Coifan l’a fait remarquer, on dirait une formule refusée par Prada – ce qui n’a rien d’étonnant puisque son auteur, Daniela Roche-Andrier, a signé tous les Prada. Ses accords verts/fumés – avec leur note grillée qui rappelle par moments le Vétiver Tonka d’Hermès, et un petit côté Sycomore de Chanel – sont infusés à la savonnette Prada. C’est pas mal, un peu mince, avec une petite note aigrelette par moment. Mais ce n’est pas Margiela.

D’après ce qu’on m’a dit, Martin Margiela lui-même s’est beaucoup impliqué dans ce projet, son dernier au sein de la maison qu’il a désormais quittée. Le nom même du parfum, Untitled, fait écho à ses étiquettes « anonymes » -- de simples bouts de ruban écru cousus à l’intérieur de ses vêtements, qui se signalent aux connaisseurs par les quatre piqûres de fil écru visibles au dos. Le choix d’une bouteille de labo s’assortit aux blouses blanches de ses vendeurs.

Mais tout de même… Sans titre est le titre d’environ soixante-dix millions d’œuvres d’art. Et le coup du flacon de labo, Chanel nous l’avait déjà fait dans les années 20 (sauf qu’il s’agissait en réalité d’une création de Julien Viard, dont l’épouse avait travaillé comme modiste chez Chanel).

C’est un peu court, de la part de l’artiste conceptuel de la mode – un type capable d’immerger des vêtements dans des bains de bactéries et d’exposer le résultat moisi dans les jardins d’un musée ; un créateur qui a remis en cause le concept même de vêtement, recyclé des pièces usagées pour créer de nouveaux modèles en pied de nez à l’industrie de la nouveauté à tout prix, déjoué le culte de la célébrité du designer en refusant toute photo et toute interview en face à face, s’exprimant uniquement au nom de son collectif…

Untitled n’est que le pâle écho de cette audace, la reprise essoufflée des codes maison. Ce qui n’a rien de foncièrement étonnant lorsqu’on connaît ses nouveaux propriétaires, Diesel, et la société détentrice de la licence parfums, L’Oréal. Même sa note verte est tendance plutôt qu’innovante. Qu’aurait donné un parfum Margiela par Christophe Laudamiel ? Un OVNI olfactif, sans doute… Mais ça, ça ne vend pas.

Untitled n’est disponible pour l’instant que chez Colette, à Paris. Il sera lancé en mars.



12 commentaires:

  1. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

    RépondreSupprimer
  2. Je me souviens si bien de la retrospective de Rotterdam 1997 et le travail des bactéries. C'était un choc à l'époque.
    Dans la parfumerie il y a déjà des procès enzimatiques où des bactéries ou d'autres micro organismes transforment ou produisent des MP. le principe existe depuis plus de 30 ans. Il va de même pour les odeurs (non puantes) développées pas certains micro organismes, fait qui a été observé / décrit / analysé (ça fait déjà plus de 60 ans). Ils auraient pu faire tant de choses pour le premier parfum sans faire un anti-parfum. Cela ne prouve qu'une chose:
    INCULTURE mode et INCULTURE parfum chez l'Oréal. La manière dont ils ont relié l'esprit Margiela et le parfum est tellement puérile. La créativité ne s'apprend pas à l'école de commerce / marketing.

    RépondreSupprimer
  3. Octavian, l'option prise par Diesel et L'Oréal démontre bien que ce parfum n'existe que pour faire des rentrées d'argent et non pour traduire en langage olfactif l'identité du créateur. C'est plus que dommage, c'est une occasion ratée -- et qui aurait pu susciter un buzz beaucoup plus fort, donc des rentrées! -- de faire avancer la parfumerie comme Margiela a fait avancer la mode.

    RépondreSupprimer
  4. Hélas oui, les gens créatifs dont rarement une école de commerce... Excellent billet Denyse!

    RépondreSupprimer
  5. Bénédicte, c'est bien le problème aujourd'hui: les talibans du marketing ont envahi les postes qui demanderaient un peu d'inspiration.

    RépondreSupprimer
  6. je suis bien d'accord avec vous Denyse. C'est une occasion ratée. A cela, on dénote une volonté de la part de l'Oréal de vouloir se lancer dans la parfumerie d'Auteurs. Le concept, la Maison, Colette etc... tout est bon pour la récupération !!!!!! Je me souviens d'une créatrice de mode qui m'avait demandé un parfum qui sente l'eau de javel ..... J'ai lu dernièrement que Martin Margiela ne serait plus chez Martin Margiela ? ceci pourrait expliquer aussi cela.....en tous les cas, il serait temps que l'Oréal accepte que le succès ça ne se calcule pas !

    RépondreSupprimer
  7. S., en effet, Martin Margiela n'est plus chez Martin Margiela, mais comme je l'écris, apparemment il se serait investi dans ce projet, ce qui rend le résultat encore plus déconcertant, pour ne pas dire décevant.
    Un parfum qui sente l'eau de javel... hum. Un peu too much, peut-être, non?

    RépondreSupprimer
  8. merci pr ce billet très intéressant et très pertinent,

    soph

    RépondreSupprimer
  9. Enfin un vrai coup de g... , merci Denyse pour ce papier très pertinent sur l'absence de cohérence entre un style et une projection olfactive.

    Je n'ai pas senti ces deux "parfums" et je n'avais guère l'envie de m'y intéresser, alors après ton article, encore moins.

    Avant hier, j'ai remis les pieds dans un Séphora pour sentir Meka et Balenciaga. J'avais oublié combien ces "parfums" peuvent être mauvais!!! Plats, insipides, 100% synthétiques, sans corps, sans âme... juste des flacons et des packagings. Quel dommage.

    RépondreSupprimer
  10. Rebecca, si tu jettes un coup d'oeil aux commentaires en anglais tu verras qu'il y a quelqu'un qui n'est pas, mais alors là pas du tout d'accord avec toi ou moi, et qui défend becs et ongles le "chef d'oeuvre" de Margiela... Et qui semble d'ailleurs, vu qu'il ou elle appelle tous les protagonistes du lancement par leurs prénoms, plutôt partie prenante...
    Quant au Balenciaga, je posterai mon avis lundi.
    Meka, tu veux dire l'Eau Mega de Viktor & Rolf? Je trouve la note synthetoc de poire assez culottée mais bon... Ça fait rire un moment et ensuite, ça va.

    RépondreSupprimer
  11. Oui je voulais dire Eau Mega, tu vois comme j'ai accroché!!! Alors aimes tu le Balenciaga?

    RépondreSupprimer