Amoureux de Serge Lutens, préparez-vous à un choc. L’Eau Serge Lutens, le prochain parfum du magicien de Marrakech dont la sortie est prévue au printemps 2010, sent… le propre.
Ni cèdre de l’Atlas ni fruits confits. Pas la moindre bouffée d’encens, de civette ou de fleurs indolées… De cumin, point.
C’est justement cette propreté de « chemise blanche au grand air » que recherchait Serge Lutens, qui après avoir poussé sa recherche sur les baumes et les résines jusqu’au point maximal de saturation olfactive avec Serge Noire et Filles en Aiguilles, balaie les senteurs d'Orient qui ont fait sa réputation… Non sans un certain humour, dirait-on. Ou serait-ce un mouvement d’humeur ? Comme il le déclare dans un dossier de presse au discours aussi limpide que les lieux choisis pour la présentation de L’Eau Serge Lutens, l’Atelier Barillet de Robert Mallet-Stevens dans le 15ème arrondissement :
«Un anti-parfum, non pas celui qui s’y substitue mais celui qui en redonne le goût. Une réaction à ce monde trop parfumé, je dirais plutôt embaumé car il ne s’agit plus d’une séduction mais de momification ; c’est un rite dédié à on ne sait plus trop quoi.
En revanche, cette eau est une réaction, une action, une volonté : être propre, trancher avec la fausse odeur qui règne sur tout. »
On lui répondra que si l’on sent si bon, c’est tout de même beaucoup grâce à lui… Mais on peut comprendre qu’il ait pris un certain plaisir à effectuer ce déconcertant virage. Après tout, l’homme qui nous a donné Féminité du Bois et la série qui en est surgie, Tubéreuse criminelle et Muscs Koublaï Khan, La Myrrhe et Rose de Nuit a-t-il toujours quelque chose à prouver ? Cette odeur de « savon le plus cher du monde » est aussi à comprendre dans le contexte d’un style baroque exacerbant jusqu’à la distorsion les senteurs : mais avec son « anti-parfum », réalisé avec la complicité de Christopher Sheldrake, Serge Lutens met en scène cette tension baroque au sein même de son œuvre, et par rapport à elle, plutôt qu’au sein d’une composition.
Cela étant, la notion de propreté n’est pas entièrement absente de cette œuvre : d’Iris Silver Mist à Gris Clair en passant par Encens et Lavande et Clair de Musc, un courant éthéré l’a toujours traversée. L'Eau Serge Lutens ne sort pas du creuset de l'alchimiste; il plane dans l'ionosphère. Mais on reste sur la même planète.
Et l’odeur, me direz-vous ?
Il faudra attendre, ne serait-ce que parce que j’ai reçu le flacon cet après-midi et qu’il me faudra bien vivre avec un moment avant de me prononcer.
Il faudra sans doute aussi que je me remette d’avoir rencontré un homme que j’admire depuis l’âge de treize ans, où j’avais découvert son œuvre photographique, bien avant ses aventures olfactives. Pour tout avouer, mon jugement serait faussé par le bref tango, en regard et en paroles, que nous avons dansé. Serge Lutens était persuadé m’avoir déjà rencontrée. Ce n’est pas le cas. Nous en avons conclu que c’était peut-être dans une vie antérieure (ou alors, c’est que j’ai un double à carré Louise Brooks gris acier, aux yeux chargés de khôl et aux lèvres carmin). Qu’y puis-je, si cet homme délicat, léger comme un sylphe, m’a ensorcelée de compliments qui, de la part d’un aussi grand artiste visuel – parler de lui comme d’un maquilleur serait trop réducteur – m’ont un peu grisée ? Lorsque ma vanité s'en sera un peu remise, je retrouverai un brin d'objectivité.
Je suis curieux de savoir en quoi cette eau diffère d'Aqua Universalis, qui elle aussi "sent le propre", la page/feuille blanche...
RépondreSupprimerJe meurs d'impatience! Ça pourrait aussi évoquer Essence de NR non?
RépondreSupprimerMuguette
Remitbri, je me proposais justement de les comparer. A priori, L'ESL est moins citrus/aldéhydé, déjà.
RépondreSupprimerMuguette... Il y a de ça.
RépondreSupprimerLe nom rappelle "l'Antimatière" de LesNez. Merci pour le conseil, Denyse, je viens de recevoir les échantillons et je suis subjuguée, particulièrement par Let me play the Lion, The Unicorn Spell et Manoumalia bien-sûr. Un gros rhume m'empêche d'en sentir toutes les finesses, mais j'ai plutôt l'impression d'être anosmique à l'Antimatière, ça me rappelle le conte "les habits neufs de l'empereur" cette histoire! Et Turtle Vetiver est trop médicinal à mon goût, en tout cas c'est celui que je sens le mieux en ce moment!
RépondreSupprimerMuguette
Muguette, en fait l'anti-parfum n'est pas son nom: il s'agit de L'Eau Serge Lutens. Et la notion elle-même remonte au moins aux premiers Comme des Garçons qui étaient déjà désignés ainsi.
RépondreSupprimerQuant à l'Anti-matière d'Isabelle Doyen, l'idée était précisément de créer un parfum qui ne sentirait rien (du moins pour certaines personnes). Mais il faut le ressayer, car le nez s'accoutume à percevoir certains muscs.
Dommage pour Turtle, je pense qu'avec un rhume, c'est précisément ce qu'il te faut! Guette son évolution, qui est très surprenante.
Monsieur Lutens semble nous proposer de contourner les volutes de résines ou d’épices en combustion (per-fumare, «à travers la fumée») pour revenir à une signature olfactive qui ne serait plus celle d’un temple ou d’un lieu sacré destinée à des égaux solides...
RépondreSupprimerNous proposerait-il de sentir le propre (musk savonneux, cardamome, anise ou autres épices glacées... ?). L’air du temps est peut être à la modestie et aux odeurs rassurantes. Sentir bon, comme signe de bonne santé à une époque ou les menaces planent sur nos petits organismes fragiles.
Un rêve de parfum qui nous dit "tout va bien" ?
Ce commentaire a été supprimé par un administrateur du blog.
RépondreSupprimerMadiel, lorsque j'ai parlé de Filles en Aiguilles, je proposais justement une interprétation tendant vers le parfum comme protection contre les miasmes... L'odeur de propre représenterait la réponse inverse aux mêmes problèmes.
RépondreSupprimerCela dit, Serge Lutens semble le présenter plutôt comme une pause, une respiration, qu'une signature. Je crois qu'il reviendra aux épices, aux résines et aux baumes, mais il est vrai qu'il a tant travaillé dans cette direction qu'il peut avoir éprouvé lui-même le besoin de cette respiration.
Bonjour Denyse,
RépondreSupprimerEt bien nous nous sommes manquées de 24h ! J'ai moi aussi eu le plaisir de découvrir la nouveauté de Serge Lutens, mais jeudi à la place de mercredi... Je crois que cette eau va faire parler d'elle ! Je n'ai pas encore eu le loisir de sentir l'Aqua Universalis de Francis Kurkdjian mais j'ai hâte de lire vos impression !
Juliette, c'est bien dommage qu'on se soit ratées, mais le bon signe, c'est que les auteurs électroniques soient conviés... Je n'ai pas fait de touche-à-touche avec la Francis K., mais c'est au programme.
RépondreSupprimerGrrr ;)votre page me laisse sur ma soif quant à cette luxueuse Eau lustrale Lutens...
RépondreSupprimerEnfin je ne suis pas sûre que SL soit celui dont aurait le moins attendu cette révolution, cela fait des lustres qu'il évoque avec dégoût notre monde contemporain mal et surparfumé (omniparfumé de l'ascenseur aux toilettes en passant par la cuisine!!) Après toutes ses déclarations, voici une réaction. Une réaction extraordinaire qui est bien le moins qu'on puisse attendre de lui.
Et puis voici un nouveau départ après ces dernières années où il me semblait tourner en rond (imitant ses imitateurs... si j'ose le dire) ?
Oui je suis d'accord, Iris Silver Mist, Gris Clair et Encens et Lavande procèdent un peu de la même idée et pourtant... Et pourtant, personnellement, quand j'ai envie de me parfumer "à blanc", me sentir plus que clean: nette, assagie (?) et purifiée, c'est vers mon flacon de Lavanda Tonica d'Acqua di Parma que je me tourne ! ...ah que peut bien sentir cette Eau ? Et tiens, est-elle réalisable en concrete comme ses testeurs échantillins habituels?
m-alizarine
Alizarine, vous n'avez pas tort, cela fait un bon moment que la maison Lutens semble tourner autour des thèmes auxquels elle a donné, dans le monde de la parfumerie contemporaine, leur plus belle expression... Cela dit, ce n'est tout de même pas à Serge Lutens que l'on doit l'overdose du tout (et mal) parfumé contre lequel il s'emporte, au contraire. Ce volte-face en reste donc assez étonnant.
RépondreSupprimerJe ne crois pas que la concrète sera nécessaire puisque L'Eau Serge Lutens sera distribuée comme les flacons rectangulaires.
"On" m'a dit que L'Eau avait une tenue impressionnante sur la peau et n'était pas si simple que ça. Ils vont être ravis aux SPR, ils auront enfin une petite chose fraîche à proposer aux clients qui en demandent assez souvent. J'ai vu le flacon, il est très beau en tous cas. Je suis curieuse de sentir ça.
RépondreSupprimerFille en aiguilles, je ne le trouve pas hygiénique ni antimiasmes. Curieusement, je fais plutôt le parallèle avec Iris Silver Mist. Tous deux sentent la forêt de conte de fées. ISM c'est celle de Blondine, Bonne-biche et Beau-minon.
Fille en aiguilles c'est aussi la forêt, mais celle des contes russes, des baba yagas et de Vassilissa la très sage....
Bénédicte, c'est vrai que l'eau a une ténacité peu commune. Elle est propre, mais pas poids plume.
RépondreSupprimerPour Filles en Aiguille, ai-je dit qu'il était hygiénique? Salubre, oui, comme le sont toutes ces résines terpéniques... Je l'ai interprété ainsi parce que je le sentais comme ça, mais évidemment toutes les histoires sont permises et la tienne est très séduisante!
Poids plume, Sergueï il ne sait pas faire je pense. Un anti-parfum, mais de là à faire une cologne ou une eau fraîche... Niet. On ne se renie pas. Un rince-nez, une bulle d'oxygène avant de passer à un autre chapitre, mais le visuel et le voyage ne sont jamais bien loin, cet homme-là est un conteur et c'est toujours cela qui m'a séduite dans ses créations.
RépondreSupprimerJe rêve depuis bien 10 ans d'un gardenia vu par Lutens... Ambiance vaudou, bayous, arbres dégoulinants de mousse espagnole, torpeur alanguie du vieux sud. Un parfum à se ruer sur de la soul food ou à pleurer en écoutant du blues. Yes you can, Sergueï! :-)
Bénédicte, ce n'est pas tout à fait son folklore, mais on peut le lui glisser à l'oreille!
RépondreSupprimerIl faudrait qu'il nous le fasse façon Five O Clock au gingembre alors... apprivoiser l'étrangeté/l'inconnu. Et puis, les sorcières, je suis sûre qu'il doit les aimer... Chypre Rouge, ça sentait déjà le bûcher. ;-))
RépondreSupprimerLe gardénia de Médée ou celui de Billie Holliday?
RépondreSupprimerAlors plouf plouf plouf...
RépondreSupprimer"On dirait que Médée elle irait dans le bayou."
ça lui changera les idées! C'est un voyage qu'elle n'a pas fait (quoique... on ne sait peut-être pas tout) ;-p