dimanche 22 février 2009

Ego Facto: 7 parfums hermaphrodites


On sait que le concept de parfumerie de niche ne veut plus rien dire lorsqu’une ligne de niche est distribuée dans les Marionnaud

Mais ça devait fatalement se produire, autant que ce soit avec Ego Facto, la nouvelle ligne lancée par le consultant olfactif Pierre Aulas, qui conseille des marques comme Thierry Mugler, Chloé et Jil Sanders (dixit le portrait rédigé par Elisabeth de Feydeau).

Pierre Aulas, qui a chanté dans les chœurs de l’Orchestre de Paris, se voit comme un chef d’orchestre. Ses solistes sont choisis parmi les meilleurs de l’industrie : Anne Flipo, Alberto Morillas, Jean and Aurélien Guichard, Dominique Ropion, et le regretté Laurent Bruyère.

Si cela vous rappelle quelque chose, c’est normal puisque depuis plusieurs années, c’est le parti-pris de Frédéric Malle. Ego Facto pourrait, en quelque sorte, être le pendant plus grand public des Éditions de Parfums. À cette différence près que le site d’Ego Facto met beaucoup plus en avant la personnalité du très photogénique Pierre Aulas que celle des parfumeurs, ce qui est sans doute compréhensible pour une ligne fondée sur le concept de l’ego. Pierre Aulas, cosigne d’ailleurs chaque parfum.

Le résultat de ces collaborations est une ligne au prix raisonnable (59€ pour 50 ml) de sept eaux de parfum, qui ont chacune une originalité, un petit je ne sais quoi d’enjoué et de flirt – la communication de la marque joue sur l’humour et la séduction, mais sur un mode nettement moins provocateur que l’État Libre d’Orange. Toutes sont assez pointues pour être classées « niche » et intéresser les amateurs de parfum, sans toutefois effarer le consommateur de base d’Acqua di Gio ou de Light Blue. Et, comme beaucoup de parfums niche, plusieurs brouillent les identités sexuelles sur le mode yin/yang : elles ne sont pas tant unisexes qu’hermaphrodites.

Me Myself and I, de Jean et Aurélien Guichard (Givaudan) : l’équipe père et fils ont imaginé le mariage, apparemment contre nature, de la tubéreuse et du vétiver, célébré par un accord de fleur de ciguë (qu’on retrouve dans le magnifique Ormonde Woman d’Ormonde Jayne). Et curieusement, ça marche, ça a même une telle évidence qu’on se demande comment on n’y a pas pensé avant. La tubéreuse narcotique, avec ses accents menthés, est tirée vers un fumé presque réglissé par le vétiver, avec des accents un peu salés, un côté presque « pain au levain » en tête, sur un fond très boisé. Le mélange est si bien réalisé qu’on a du mal à démêler les deux notes principales, ce qui nous ramène à la notion d’hermaphrodite : l’unité primitive du masculin (le vétiver) et du féminin (la tubéreuse) restaurant la complétude érotique… Du Platon en flacon ! Une fois cette idée posée, le parfum ne va pas plus loin, mais c’est une si bonne idée qu’on a envie de l’écouter longtemps. Le meilleur de la collection à mon sens.

Poopoo Pidoo, de Dominique Ropion (IFF): Une évocation de la poudre de riz à l’ancienne. De l’eau de fleur d’oranger dans de la poudre d’amande (l’héliotropine), avec une note de riz dans une houppette de cygne de musc blanc. C’est sur le bord de ressembler à un parfum de crème de beauté ou à un dessert, et c’est délicieusement féminin dans le genre boudoir rose… D’une simplicité inattendue pour l’auteur du magistral Une Fleur de Cassie.

Pièges à Filles, d’Anne Flipo (IFF) pourrait être le pendant masculin de Poopoo Pidoo. Comme les Fleurs du Mâle de Jean-Paul Gaultier, ce masculin lorgne fortement vers les codes féminins avec son overdose d’héliotropine et sa fleur d’oranger sur un fond plus garçon de vétiver-tabac, avec une pincée de cumin humain. Le « piège à filles » en question serait-il un miroir ?

Fool for Love, de Laurent Bruyère (IFF), joue la gourmandise avec son accord punch/coco sur un cœur crémeux de fleur de frangipanier enflammée d’une pincée de cannelle, mais la base boisée introduit un principe viril au moment où l’on s’y attend le moins.

Sacré-Coeur, également de Laurent Bruyère, est sans doute celui qui doute le moins de son identité sexuelle, indéniablement masculine avec son accord patchouli-tabac-cuir. Les notes de tête sont censées évoquer le Chablis, avec son fruité acidulé (citron et pomme verte) et son goût de silex. Une variation surprenante sur les cuirés à tête hespéridée de tradition.

Jamais le Dimanche, d’Alberto Morillas (Firmenich), appartient quant à lui à la tendance “néo-ozonique” qui se répand actuellement. Bien qu’il y ait apparemment une note de marijuana, je n’en décèle pas : je sens surtout l’encens, auquel la calone (ou un matériau similaire) donne un côté minéral, et une lichette d’hespéridés un peu bonbon. Manifestement, le dimanche on oublie la bagatelle : le matin à la messe, l’après-midi dans l’herbe en bord de mer…

Prends Garde à Toi, également de Jean et Aurélien Guichard, est de lui le plus étrange de la série. Avec une note de tête aromatique qui frôle périlleusement le désagréable mais qui peut séduire d’emblée, il mérite bien son nom. D’après le site, cette note est celle de l’huile essentielle d’ortie. Comme je n’en ai jamais sentie ni mangée (seules mes fesses l’ont rencontrée dans des circonstances que je préfère voiler), je dirais que l’odeur me rappelle celle, amère et acidulée, d’une oseille que l’on aurait arrosée d’absinthe. Mais ce pourrait aussi bien être de l’armoise (comme le suppute Octavian dans 1000fragrances) ou de la feuille de tomate avec du basilic anisé (comme le suppose Jeanne d’auparfum). D’après le site, il y a aussi du jasmin, mais je ne le décèle pas vraiment après m’être faite frotter le nez d’orties. En revanche, une base de patchouli assez terreux est perceptible.

Le parfum a été composé en hommage à Carmen, comme son nom l’indique – Pierre Aulas raconte qu’il a eu l’inspiration de créer sa propre ligne de parfums en chantant dans les chœurs de l’opéra – et c’est un hommage inattendu, c’est le moins qu’on puisse dire.

Image: “Tout est ego” de Ben Vautier.

14 commentaires:

  1. Merci Miss Carmen pour la finesse de votre analyse. J'adore "du platon en flacon" pour Me myself and I. je ne m'en suis pas encore remis !!Dommage que la feuille d'ortie vous empêche d'aimer "Prends garde à Toi" dont le nom vous semblait pourtant destiné. Question d'Ego probablement !
    Pierre Aulas

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  2. Ah, Pierre, je n'ai pas dit que je n'aimais pas, mais que c'était limite! Limite mais séduisant... Cependant, il est vrai que mon ego semble plus pencher vers la tubéreuse/vétiver. On verra au printemps -- en tous cas, bravo!

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  3. Après avoir senti à nouveau ce Prends Garde à Toi, je lui ai trouvé un air retro de "neo-floral vert" revisité, avec ses notes vertes et terreuses comme du galbanum, finalement assez 70's. Il rentrerait donc lui aussi dans notre catégorie "retour au vert" ?!

    Merci au passage à M. Le Paon d'avoir ajouté mon article dans la revue de presse !

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  4. Jeanne, c'est très bien vu! Je ressentirai moi aussi Prends Garde à toi dans cette perspective. Les floraux verts, c'est mon obsession en ce moment! Et comme on n'est jamais aussi original qu'on croit dans ses tendances perso, je crois que je ne dois pas être la seule...

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  5. j'ai aimé ces parfums, mais je n'ai rien trouvé de renversant, ni de vraiment innovant,des accords à peu pres deja connus et que l'on peut retrouver dans de nombreuses marques, mais il faut saluer le travail bien fait, et le prix de vente qui est tres abordable
    car si on peut retrouver ces accords dans qq marques, il faut reconnaitre qu'elles sont beaucoup plus cheres que ego facto
    donc disons qu'en definitive, je n'ai pas ete surprise, mais le travail est bien effectué pour un beau rapport qualité / prix et ça c'est a saluer bien bas
    la tubereuse vetiver est celui qui m'a la plus plus, et peut etre un futur achat, qui sait?

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  6. Vero, je trouve Me Myself and I (le tubéreuse vétiver) et Prends Garde à toi, notamment, très originaux, au contraire. Et effectivement, les prix permettent aux amoureux des parfums de se les offrir sans casser le petit cochon, initiative fort bienvenue en ces temps moroses.

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  7. j'ai retesté celui avec la note d'ortie, et je le trouve aussi tres original, mais cette note est beaucoup trop en filigrane, elle aurait ete plus presente, j'aurais craqué, franchement

    retour sur la tubereuse vetiver, toujours coup de coeur sur le demarrage mais l'evolution reste trop "simple" pour moi sur la note finale

    bon, je dois dire qu'ayant ete tres critique quand meme, si on m'offrait la collection, je ne dirais pas non ;)

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  8. Véro, ah bon? Au contraire, pour moi cette note verte est extrêmement présente. C'est vrai que le tubéreuse-vétiver n'évolue pas beaucoup, mais comme je l'écrivais, s'il ne dit qu'une chose, il la dit très, très bien.

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  9. Pour ma part j'ai adopté "Prends garde à toi". Il me fait un effet qu'aucun parfum ne m'a jamais fait: je le recherche tout le temps dans la journée, je n'arrête pas de humer mes vêtements et mes poignets à la recherche de cette odeur, et je résiste à l'envie d'en remettre le soir avant d'aller au lit. Bref, un vrai coup de coeur.
    Le "Me Myself and I" en revanche, malgré un nom qui semblait fait pour moi, ne m'a pas plu du tout.

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  10. Jo: c'est bon signe. C'est toujours bon signe quand une ligne sait proposer des parfums assez différents pour que le préféré des uns ne soit pas celui des autres... En tous cas, pour l'instant, Prends Garde à toi et Me myself and I sont ceux qui suscitent le plus de commentaires! Ce sont à mon sens les plus originaux.

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  11. oui ce sont les 2 plus interessant, il faut dire aussi que la peau joue un rôle
    je viens d'avoir la farce avec le dernier lutens, une catastreophe sur ma peau alors que d'habitude, je n'ai pas cette farce

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  12. La peau,les goûts, les priorités que notre cerveau donne à telle ou telle association qui finit par dominer les autres...

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  13. Alors moi c'est MeMyself&I, j'ai découvert cette fragrance le WE dernier et depuis j'ai envie de me sentir toute la journée. Ce parfum c'est une bombe, il m'a mis de bonne humeur chaque matin.

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  14. C'est génial, Florian, quand un parfum nous fait cet effet-là, non? Ça doit sentir bon sur un homme...

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