lundi 21 mai 2012

2012, année du livre-parfum... en anglais


Ce weekend, j'ai été heureusement surprise de découvrir dans le Los Angeles Times un article consacré aux livres sur le parfum, par Denise Hamilton, romancière et critique de parfum du  L.A. Times, où The Perfume Lover figure en bonne place. J'ai donc tiré de mes dossiers les quelques notes que j'avais commencé à rédiger sur la question, que voici.

Dans le monde anglo-saxon, 2012 sera l’année du livre-parfum. Mais contrairement à la France qui reste dans le registre classique de l’histoire, par exemple la somme monumentale d'Élisabeth de Feydeay, ou des beaux livres – l’exception étant le Journal d’un parfumeur de Jean-Claude Ellena – les anglophones sont plutôt passés au narratif, voire à la fiction.

Mon propre livre relève d’un genre hybride, mêlant les mémoires, la chronique de la création de Séville à l’aube à des passages historiques, des essais et des rencontres. Celui d’Alyssa Harad du blog Now Smell This, Coming to My Senses:A Story of Perfume, Pleasure and an Unlikely Bride (à paraître en juillet), se rapproche d’un récit comme Mange, Prie, Aime d’Elizabeth Gilbert: l’histoire d’une femme transformée par le parfum.

Les autres livres-parfums anglophones sont des romans de genre : une fresque historico-romantique de Jan Moran, Scent of Triumph, and deux romans policiers[i], Damage Control de Denise Hamilton et The Book of Lost Fragrances de M.J. Rose (ce dernier accompagné d’un parfum). En fait, le seul livre de cette nouvelle vague à relever de la littérature générale a été rédigé par un homme, Keith Scribner, avec The Oregon Experiment, dont l’un des personnages principaux est une créatrice de parfums.

Ce n’était qu’une question de temps avant que le parfum s’infiltre dans les genres littéraires les plus divers : cette diversité est était en quelque sorte programmée par les stratégies d’écritures variées auxquelles les critiques de parfum ont recours. L’explosion des blogs et des marques de niche a énormément contribué à faire parler du parfum, à diffuser les connaissances, à créer un langage.

Quant au fait que plusieurs des livres où figurent des personnages de parfumeurs ou d’amateurs de parfums soient des polars, il n’a rien au fond de très étonnant (voir note ci-dessous). Après tout, le seul et unique best-seller sur le thème est le livre de Patrick Süskind, qui est, quand tout est dit, surtout une histoire de serial killer. Il est vrai que le parfum est intimement lié à la mort depuis des millénaires, et pas seulement parce que chaque goutte est un cimetière de fleurs. L’un de ses usages les plus antiques est l’embaumement. Et le premier personnage lié au parfum à figurer dans un best-seller est celui de Marie Madeleine, qui porte des aromates au Saint Sépulcre pour embaumer Jésus.

Le parfum charrie aussi la mort dans son sillage par son aptitude à ressusciter le passé ; à évoquer la présence de l’absent. Il peut donc faire fonction d’indice dans un récit, mais également lui-même représenter une énigme à élucider à cause de la difficulté qu’il y a à le traduire en mots. Écrire sur le parfum exige en effet des capacités d’observation et de déduction dignes d’un détective : percer une part de son mystère, c’est reconstituer son histoire à l’envers à la Agatha Christie.

La narration est également inscrite dans la nature même du parfum. Que fait-on, en somme, lorsqu’on s’approprie un parfum ? On tisse son histoire dans la nôtre. Comme le faisait récemment remarquer Octavian Coifan, plus que n’importe-quelle œuvre de l’esprit, il se lie intimement à nous car non seulement s’imprègne-t-il dans notre peau, cette dernière barrière entre le moi et le non-moi, mais il s’infiltre en nous puisque chaque fois que nous le respirons, nous en incorporons quelques molécules… Nous avons beau dévorer un roman ou plonger dans un tableau, ils ne feront jamais chimiquement partie de nous. Nous entrons ici dans le domaine de la magie. Et la pensée magique a toujours relevé du faire-sens, du faire-récit, remonte à aussi loin que la première larme d’encens brûlée dans le premier brasier par nos lointains ancêtres.

Illustration : Et s’il fallait encore une preuve que les mondes de l’édition et du parfum convergent, Steidl sort un jus qui sent le livre neuf, New Book, composé par Geza Schoen.



[i] Rappelons qu’en France, Céline Ellena a rédigé plusieurs épisodes d’un polar olfactif dans son blog ChroniquesOlfactives, et qu’Ingrid Astier s’est inspirée de Jean-Michel Duriez pour créer l’un des personnages de son Quaides Enfers.

4 commentaires:

  1. Un jus ! Quel jus, tu portes ? quel vilain mot et tellement peu représentatif.

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  2. Anonyme, tiens, alors ça c'est insensé, j'aurais juré avoir écrit tout un billet et pas seulement un mot...

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  3. Denyse, vous parlez merveilleusement bien du parfum et je vous avoue avec sincérité qu'à chaque fois que je lis le mot "jus" dans vos "billets", j'en suis désolée parce que cela casse votre belle plume. Définition du mot jus dans le dictionnaire du langage parfumé vendu par la SFP : "appellation pseudo-modernisante utilisée par certains pour désigner les parfums. On pourrait s'interroger sur la valeur symbolique de l'expression pour illustrer l'aspect esthétique et artistique du parfum. Son homologue en peinture serait la "croûte"....

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  4. Bloquer sur un mot, c'est sans doute comme bloquer sur une facette dans un parfum et ne plus pouvoir en percevoir la forme: agaçant, en effet. Mais parfois l'aspérité, le discordant, l'irrévérencieux, sont nécessaires au style, tous comme les trahisons du dictionnaire!

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