samedi 25 février 2012

L'IFRA a le sens de l'Europe



Attribuer à l’IFRA la moitié des maux qui affectent la parfumerie contemporaine est devenu une espèce de réflexe pavlovien chez les amoureux du parfum. Il n’est pas inutile de répéter, tout de même, que les standards sur l’usage des ingrédients en parfumerie établis par notre croquemitaine préféré n’ont pas force de loi. S’ils ont été établis, c’est justement parce que l’industrie a préféré s’auto-règlementer préventivement plutôt que de se voir imposer des standards encore plus restrictifs par les législations. Le fait est que le rythme des restrictions s'est sensiblement accéléré après qu'un groupe de scientifiques ait reçu des fonds conséquents de l'Europe pour effectuer des recherches sur les "risques" des ingrédients cosmétiques pour la santé publique en 2003. Or lorsqu'on accorde des millions à un groupe de recherche, il a tendance à trouver de quoi justifier ses budgets. L'industrie, sentant le vent du boulet, a appliqué le principe de précaution. On peut estimer que c'est avec un zèle excessif. Que l'industrie du parfum, en se pliant au principe de précaution, s'est tiré une balle dans le pied. Qu'elle aurait mieux fait d'exposer aux instances législatives des arguments permettant de défendre l'intégrité de ses créations et de ses matières premières...
 
Mais justement: l'IFRA entreprend aussi désormais des actions destinées à faire connaître le fonctionnement de l'industrie aux députés européens.Campagne d'autant plus déterminante que dans la mesure où une bonne partie des activités de l'industrie du parfum se situe en Europe, les lois votées à Bruxelles affectent la production à l’échelle mondiale.
 
Or les députés européens ne sont pas forcément mieux renseignés sur le sujet que leurs électeurs. C’est pourquoi l’IFRA leur propose des visites dans les grands labos afin qu’ils comprennent mieux les processus de création et de fabrication, ainsi que les enjeux économiques du parfum. C’est aussi ce qui a motivé l’organisation de l’exposition « A Sense of Europe » au Parlement Européen à Bruxelles au début de février.

Cette exposition retraçait les jalons de l’histoire de l’Union Européenne via des installations illustrées par des parfums emblématiques – par exemple, les Trente Glorieuses évoquées par Eau Sauvage et l’odeur de la lessive Ariel, symbole de l’accès de la majorité des ménages à la machine à laver. Pour l’occasion, Christophe Laudamiel a également composé une série de sculptures olfactives : l’odeur du palais italien où a été signé le Traité de Rome ; « Oranges et Bananes » pour évoquer la chute du mur de Berlin (on se rappellera que les Allemands de l’Est se sont précipités sur ces fruits en passant à l’Ouest) ; « Sweaty Smoky Nightclub » pour symboliser les trépidantes années 90 et enfin, trait d’ironie, « L’odeur de l’argent » pour représenter la crise de l’euro en 2012. 

La formule de « Community », dernière fragrance de l’exposition, a été communiquée dans sa totalité aux visiteurs, accompagnée de courtes descriptions de chaque ingrédient par Laudamiel. But de cette transparence sans précédent : d’abord faire comprendre la complexité du travail du parfumeur (il n’est pas rare qu’on s’imagine que les allergènes listés sur l’étui représentent la formule). Ensuite, dans un contexte où certains groupes, notamment aux USA, militent pour que les formules soient rendues publiques, convaincre les députés que les consommateurs n’y gagneraient rien puisque celles-ci s’avèrent indéchiffrables aux non-spécialistes. 

Christophe Laudamiel concluait ainsi le texte accompagnant l’exposition, qui expliquait le processus de création du parfum : « S’il vous plaît, appréciez-le, protégez-le, laissez-le vous inspirer ! Votre nez est fait pour sentir comme vos yeux sont faits pour voir. Vous n’endommagerez pas votre nez rien qu’en sentant des parfums, tout comme vous n’endommagez pas vos yeux rien qu’en regardant des tableaux. En plus, contrairement à vos yeux, vos cellules olfactives meurent et se renouvellent toutes les deux semaines, comme les dents des requins. Les parfumeurs sentent tous les jours des choses bien plus fortes à cause de leur métier et vivent quand même des vies très longues et inspirées… Enfin, sentir est même considéré comme un bon exercice aérobique pour votre cerveau, qui aide à protéger contre la sénilité et à maintenir l’acuité intellectuelle. Alors profitez-en ! »

Voici une vidéo de l’expo :


Pour lire le communiqué complet de l’IFRA (en anglais), cliquez ici.



4 commentaires:

  1. Bonjour Carmencanada!

    L'IFRA aura du mal à se départir de l'image de "gendarme" inflexible - ce qui est un peu de sa faute. Cette approche plus, disons, pédagogique, au lieu de la fuite en avant (même préventive) ou la confrontation, aura peut-être le mérite d'élargir les horizons d'une certaine... technocratie experte.
    Je suis par contre réservé sur l'impact de l'argument, incantatoire, de l'"aérobie cérébral" :D

    Saxo

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  2. Saxo, je suis bien d'accord, pour ce qui est de l'image de l'IFRA auprès des amateurs de parfums, le mal est fait (mais évidemment la vérité est beaucoup plus compliquée que ce qu'on raconte).
    Mais quant à l'idée que les odeurs soient bénéfiques au cerveau, notamment pour retarder les effets du vieillissement, il se fonde sur des travaux scientifiques rapportés dans les médias (j'ai lu des articles, me semble-t-il, dans le New York Times et New Scientist).

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  3. Je crois que je me suis mal exprimé sur ce coup, chère Denyse: Je ne me prononçais pas sur la validité scientifique d'un tel argument, de ce côté là, aucun doute :)
    En fait c'est plutôt l'impact social, politique du discours - voire son utilité - que je visais. Je reconnais une certaine pointe de cynisme dans mes propos!

    Saxo

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  4. Saxo, je ne raffole pas de l'argument "utilitaire" non plus. Mais celui de l'esthétique, hélas, est encore moins susceptible d'être entendu, surtout dans les pays qui n'ont pas de véritable tradition de parfumerie, où ne poussent pas les matières premières... Il n'en reste pas moins que de raccorder le parfum au bien-être, ça n'est pas si bête, puisque c'est tout de même une de ses fonctions dans l'humanité depuis des millénaires!

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