lundi 20 octobre 2008

Visa de Robert Piguet : l'ancien et le nouveau



En lisant le blog beauté de ma copine new-yorkaise Gaia, je me suis brusquement rappelée qu’on m’avait offert une eau de parfum du Visa de Robert Piguet, resté dans son emballage de cellophane (la honte…).

Le premier Visa (1945)

Entre-temps, j’ai déniché un flacon scellé dans sa boîte du Visa original et celui-là, doux lecteurs, aimables lectrices, m’a trouée, comme dirait l’Agrippine de Brétécher. Bien qu’il soit fréquemment attribué à Germaine Cellier (auteur des révolutionnaires Bandit et Fracas, toujours pour Robert Piguet), Visa, lancé en 1947, a été composé par Jean Carles et ça se sent : Visa est essentiellement une version moins épicée du Tabu de Dana, ce fameux parfum qui, selon la légende, aurait été conçu comme un « parfum de pute »…

Les notes de tête aldéhydées (presque entièrement évaporées) et le cœur floral de mon échantillon sont, à toutes fins pratiques, noyées par la somptueuse base Animalis de Synarome, mixture dense et fauve de civette, de castoreum, de muscs et peut-être de costus (qui sent la fourrure et les cheveux sales), boostée de santal et d’une base cuir (mais pas un cuir de type isobutyl-quinoléine comme Bandit), auxquels s’ajoutent des notes aromatiques. Visa a été lancé dans un flacon hermétique à l’épreuve des fuites, contenu dans une boîte à motif écossais rouge et verte, conditionnement expressément conçu pour les voyages en avion, d’où son nom.

La base Animalis – qui, selon Luca Turin, et je suis d’accord avec lui, serait assez belle pour être commercialisée telle quelle – est toujours produite par Synarome, bien qu’on suppose qu’elle ne recèle plus de matières animales comme l’originale. On peut la sentir dans le Kouros d’Yves Saint Laurent, Vierges et Toreros de L’État Libre d’Orange ou le Twill Rose de Rosine. Mais le parfum contemporain qui s’approche le plus, en ressenti, du premier Visa est sans doute Onda de Veroprofumo (auquel je reviendrai très bientôt).

Le Visa moderne (2007)

Le Visa moderne ne fait cependant aucune référence à l’original, contrairement à Baghari, inspiré par son prédécesseur, ou à Bandit et Fracas, dont les Parfums Robert Piguet ont tenté de recréer la formule aussi fidèlement que possible avec Jean Guichard, directeur de l’école de parfumerie des laboratoires Givaudan.

Manifestement, Joseph Garces, le PDG de Fashion, Fragrance & Cosmetics Ltd qui détient aujourd’hui la licence des Parfums Robert Piguet, a considéré que la formule originale, entêtante et saturée, n’était pas adaptée au marché actuel. Il a sans doute raison, et il n’y a sûrement pas assez d’amoureuses du Visa ancien pour s’en plaindre.

Visa est donc une composition entièrement nouvelle signée par le fils de Jean, Aurélien Guichard. Ce qui explique sans doute son air de famille avec son excellent Chinatown (Bond N°9), relevée par Marie-Hélène dans The Scented Salamander, puis par Tania Sanchez dans Perfumes : The Guide.

Du coup, comme le fait remarquer Victoria de Bois de Jasmin, l’interprétation d’Aurélien Guichard penche plutôt vers l’école moderne des parfums de type Angel : notes de tête fruitées (ici la pêche de vigne, la bergamote, la mandarine et la poire), sucrée d’éthyle de maltol (la note « barbe-à-papa ») sur un lit de patchouli. Cependant, la structure Angel est désormais tellement répandue que cette comparaison n’est pas forcément la plus parlante.

Comme le fait remarquer Gaia, les fruits ne sont pas traités ici sur le mode pimpant et cheap des gels-douche de supermarché : ils sont un peu blets, comme dans certains chypres, notamment les compositions plus tardives de type Champagne/Yvresse d’Yves Saint Laurent. Je perçois une bouffée de noix, non citée dans la liste des notes : peut-être le prunolide (aussi nommé nonalactone ou aldéhyde C-18) qu’on retrouve dans des chypres fruités classiques comme le Femme de Rochas, avec ses facettes de prune macérée, de noix un peu rances et de noix de coco – ce qui explique peut-être le petit côté rétro de Visa. Mise à part une rose un peu vert, je ne ressens pas beaucoup de notes florales (on y trouve aussi de l’ylang-ylang et de la fleur d’oranger).

Avec sa base de patchouli, de santal, de vétiver, de mousse, de vanille et de benjoin, Visa pourrait appartenir à la famille hybride des « chypres gourmands », mélange hérétique qui tient par l’adition de l’immortelle, avec ses facettes caramélisées de curry et de sirop d’érable, soulignée par la facette « basilic » de la mandarine (qui la distingue des autres hespéridés), le côté vert et terreux du vétiver et une base cuir (tirant un peu vers le daim).

Résultat : bien que le nouveau Visa ne puisse rivaliser avec le rugissement de fauve de son prédécesseur, il s’en dégage aussi une sensation de densité : mais plutôt que de donner la sensation de se rouler dans la tanière d’un tigre, les tons terre d’ombre brûlée, orange brûlé et vert sombre de la composition actuelle donnent l’impression d’avoir été conviée à un festin aromatique et sucré dans un soleil d’automne. Ce qui ne se refuse guère…

Image: Publicité de Visa des Parfums Robert Piguet, 1947n sur Okadi.

4 commentaires:

  1. Oh la la, la Visa... quelle animale! Le vintage, c'est quelque chose; pour moi il évoque de la fourrure et des perles (avec pas grand chose d'autre dessous), il réussis à être à la fois super classe et indécent. Comme la plus part des vieux Piguet il respire la sexualité d'un façon que n'existe plus dans les parfums de nos jours; la sexualité qui à du pouvoir. Pour moi, c'est la version soir de Bandit.
    J'ai l'extrait (qui était scellé) et l'EdT et il faut dire que l'EdT suffit largement pour des doses de femme fatale au quotidien. Aussi, j'ai toujours été convaincu qu'il y avait du patchouli dedans...

    Le nouveaux, comme j'adorais déjà l'ancien, je le trouvais décevant. Certes, c'est un jolie parfum, mais rien comparé à l'original.

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  2. Lisacarol, c'est une excellente définition des grands classiques de Piguet: "une sexualité qui a du pouvoir". Je pense qu'on ne doit pas comparer l'ancien et le nouveau Visa, qui n'ont en commun que le nom -- même si c'est un peu ce que je viens de faire dans ce post. Le Visa original n'est pas franchement facile à porter en toute occasion! Effectivement, nue sous un manteau de fourrure... Ça pourrait se faire. Mais ça non plus, ce n'est pas un costume de ville très courant!

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  3. j'aurais adoré connaitre l'ancienne version, ces parfums tres "sexuels" m'attirent beaucoup bien que je sois pas une sex addict lol, mais ils ont un pouvoir erotique certain.
    Un parfum me fait cet effet c'est "parfum de peau" de Montana tant decrié par luca turin, mais ce parfum est de l'aphrodisiaque a l'etat pur.
    Je porte de temps a autre le visa actuel, tres fruité de pêche et franchement agreable en toute circonstance, rien de sexuel ou d''erotique mais un parfum joyeux a porter , un "éclat de rire charmant"

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  4. Véro, "éclat de rire charmant", c'est un excellent adjectif pour décrire le nouveau Visa, mais aussi Baghari et d'autres compositions d'Aurélien Guichard, comme les trois Elixirs Sensuels (qui sont plus aimables qu'érotiques, selon moi!.

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