vendredi 3 juin 2011

L'expo Madame Grès: avec Bourdelle, mais sans Cabochard



Cabochard est synonyme de têtu : l’adjectif s’applique certainement à Alix Grès. L’exposition "Madame Grès: La Couture à l'oeuvre" qui lui est consacrée actuellement au musée Bourdelle est une leçon d’obstination. Dès la création de ses premiers plissés dans les années 30 alors qu’elle signait encore Alix pour la maison Alix Barton, Madame Grès n’en a plus dévié : « Dès que l’on a trouvé quelque chose de caractère personnel et unique, il faut l’exploiter à fond et le poursuivre sans s’arrêter et jusqu’au bout », disait-elle.
Le choix du musée Bourdelle pour une expo Galliera hors-les-murs est particulièrement heureux. D’abord parce que le sculpteur, qui fut le praticien de Rodin et le professeur de Matisse, Maillol et Giacometti, a été comme Madame Grès fortement influencé par la Grèce antique. Les volumes massifs mais souples de ses œuvres en fond d’autant plus ressortir le hiératisme délicat des robes.  Ensuite parce qu’Alix Grès née Germaine Krebs avait voulu être sculpteur et se considérait comme telle, allant jusqu’à épouser un sculpteur, Serge Czerefkow, pour mieux enfoncer le clou. C’est sous le nom d’artiste de son mari, Grès, anagramme tronqué de Serge, qu’elle se fera connaître et là encore, prendre un nom de pierre n’est certainement pas un hasard…

Paradoxalement, dans la confrontation des œuvres de Bourdelle et de celles de son « invitée », ce sont sans doute celles de Grès, malgré leur nature fragile et éphémère, qui semblent les plus intemporelles. S’il est assez aisé de situer ses tenues de jour dans une époque, ses robes de cocktail et du soir sont si inébranlablement ancrées dans son style que seuls d’infimes détails peuvent distinguer la robe produite dans les années 30 de celle créée dans les années 80. N’importe-laquelle d’entre elles pourrait être portée demain : aucune, sans doute, ne pourrait être réalisée aujourd’hui. En haute couture comme en parfumerie, une bonne part du style est une question de main, d’une appréhension de la matière intransmissible…

Malheureusement, parmi les quelque 80 modèles, et la foison de dessins, croquis et photos de Horst, Hoyningen-Huene, Beaton, Clarke ou Bourdin dont les mannequins vêtues de Grès prennent des allures de déesses antiques, la contribution de la maison à l’histoire de la parfumerie est à peine évoquée au détour de la notice biographique. Est-ce parce que Madame Grès elle-même n’y attachait pas particulièrement d’importance ? Dans le documentaire des archives l’INA, réalisé dans les années 70, elle précise tout juste que la couture et le parfum sont des choses très différentes, notamment parce que pour faire un parfum il faut un « chimiste »… Du coup, on ne montre pas même un flacon de Cabochard. Ni, à plus forte raison, celui du parfum qui aurait dû être lancé à sa place…

Dans le Parfums de Légende de Michael Edwards, Guy Robert, qui en est par ailleurs le traducteur, relate un épisode peu connu de la saga Cabochard. C’est à lui qu’avait été confiée la création du premier parfum de la maison. Madame Grès revenu d’un voyage en Inde et avait évoqué une fleur à l’odeur « aussi riche que l’odeur de la tubéreuse, mais plus chaude, avec, en revanche, une note de tête fraîche et un peu verte. » Le parfumeur en avait déduit qu’il s’agissait de la jacinthe d’eau et avait composé autour de cet accord un parfum appelé Chouda. Mais les autres laboratoires ayant eu vent de l’ouverture d’une nouvelle maison, il se fit couper l’herbe sous le pied par un représentant de la société Van Ameringen-Haebler, futur IFF, lequel avait « chipé » dans le bureau de Bernard Chant un flacon d’un chypre cuiré dans l’esprit de Bandit, en plus arrondi et floral. On décida de le lancer en même temps que Chouda. Apparemment, Madame Grès préférait ce dernier, mais les chypres étaient à la mode – Miss Dior et Femme étaient des best-sellers – et son représentant, qui avait travaillé pour Piguet et avait connu de grands succès avec Bandit, favorisa Cabochard. Chouda succomba rapidement : toujours selon Guy Robert, « nous en fabriquâmes cinq litres, et ce fut probablement Madame Grès qui en utilisa la plus grand partie. »

La plus grande partie, mais pas tout. Voici quelques années, je suis tombée sur un petit flacon de Chouda sur eBay, remporté sans la moindre concurrence vue son obscurité. J’ai aussitôt écrit à Guy Robert pour confirmer qu’il était bien aussi rare qu’il le disait, ce qu’il a confirmé. Et c’est ainsi que quelques gouttes de l’histoire parallèle de la parfumerie ont atterri dans ma collection.
Chouda est-il un chef d’œuvre injustement méconnu ? Rendez-vous au prochain post…


Madame Grès: La Couture à l'œuvre 

25 mars-24 juillet 2011 
Musée Bourdelle
18, rue Antoine Bourdelle
75015 Paris
Tél. : 01 49 54 73 73
Fax : 01 45 44 21 65
www.bourdelle.paris.fr
Ouvert du mardi au dimanche de 10h à 18h sauf jours fériés

10 commentaires:

  1. Merveilleuse expo que j'ai vue hier et quelle ingénieuse idée d'avoir choisi le musée Bourdelle pour exposer les scuptures de jersey drapé de Mme Grès. Je serais bien repartie avec au moins dix modèles... Effectivement, quel dommage de ne pas voir de flacons de Cabochard, ni de publicités alors que l'on apprend que c'est ce parfum qui a donné des ailes financières à la Couturière dans les années 60. Il y a quelques temps, j'ai senti une voyageuse dans le RER qui embaumait. J'ai cru que c'était Cabochard, ignorant que celui ci était défiguré, et j'ai donc complimenté cette dame qui m'a dit qu'en fait il s'agissait d'Aramis! Normal en somme mais quel bonheur de sentir l'idée la plus fidèle de Cabochard...

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  2. Rebecca, quand j'ai voulu faire plaisir à une amie dans la soixantaine qui avait porté Cabochard à l'époque et ne reconnaissait plus le nouveau, je lui ai d'abord trouvé un flacon vintage, puis, lorsqu'il a été épuisé, je lui ai fait venir de l'Azurée original qui est en effet beaucoup plus dans l'esprit. Puis lui a succédé Bandit, mais en effet, je pense lui soumettre Aramis en substitut... Il a encore beaucoup de gueule!

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  3. Expo vue le mois dernier, un émerveillement ! Comme RebieFR j'aurais bien emporté dans mon sac une 15aine de créations, d'une intemporalité et d'une beauté, dans le plissé, le fluide, le biais, le tombé et le mouvement créé par le jersey de soie à tomber en pamoison.
    J'ai regretté toutefois qu'aucune place n'ait été faite à Cabochard ou Chouda, et qu'il n'y ait eu aucune mention de Madame Grès parfumeuse.
    Cabochard est Le parfum de ma maman depuis ma tendre enfance je l'ai toujours assimilé à ce parfum . Elle le voue désormais aux gémonies tellement il est défiguré. Bandit et Azurée l'ont assez séduite... Aramis, pas encore testé... à voir..

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  4. Lamarr, bon, alors ta maman et mon amie sont assez raccord sur les éventuels substituts de Cabochard. Mais c'est tout de même bien triste de penser que le vandalisme sur les formules nous privent d'un accès immédiat, sensoriel, à ce qui a fait notre enfance...

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  5. Carmen, j'ai conservé fort heureusement des miniatures de l'époque où ma mère en recevait en cadeau d'achat de ses flacons de Cabochard, donc c'est du bon-du-vrai-du-vieux-du-beau (sublime même) mais hélas pas inépuisable et j'aime m'en parfumer de temps à autre, rappel proustien :-)
    Elle trouve tout de même Bandit un peu trop râpeux/sec/rèche et Azurée un peu trop aromatique (surtout en tête) mais pour rien au monde elle ne porterait cette affreuse edt de Cabochard actuelle, une "éléphantmanerie"!!

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  6. Ta maman a le jugement très juste! Je ne sais plus si c'était Guy Robert qui disait qu'une femme était toujours le meilleur connaisseur de son propre parfum...

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  7. Oui ! J'ai été à bonne école ! Elle a aussi très longtemps porté Diva d'Ungaro qui est lui aussi un ectoplasme... malheureusement sans "équivalent" trouvé à ce jour.

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  8. Ben oui, comme on dit, les chats ne font pas des chiens! Remarque, chez moi, le parfum était verboten... Une autre manière de stimuler la curiosité!

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  9. Alors chez moi ce qui était verboten c'était de toucher ou même approcher lesdits flacons, alors tu penses bien que la première chose que j'ai faite eh eh....

    J'étais, déjà petite, une vraie Cabocharde :-))

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  10. Le parfum d'interdit est toujours le plus exquis!

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