jeudi 16 avril 2009

Les Eaux de Cologne d'Hermès: Ellena se met au frais




Dans le micro-revival des eaux de Cologne des dernières années – radicale chez Mugler, aromatique chez Guerlain avec Cologne 68, classique chez Dior avec Escale à Portofino, plus-que-parfaite chez Chanel dans la gamme des Exclusifs – Hermès avait déjà marqué son territoire avec un classique : l’Eau d’Orange Verte de Françoise Caron, lancée en 1979 sous le nom d’Eau de Cologne Hermès[1].

Ce splash-fétiche des familles mêle le cocktail des agrumes (citron, orange et mandarine) à la verdeur de la menthe (compagne naturelle de l’orange dans les salades de fruits), du buchu (plante aromatique à l’odeur de romarin et de menthe) et du petitgrain (extrait des feuilles et des branches de l’oranger), soulignés de bourgeon de cassis râpeux et légèrement sulfureux, adouci de néroli, ancré sur une base de mousse de chêne et de patchouli.

Les deux nouvelles références qui s’ajoutent aujourd’hui à la gamme se fondent sur le même principe substantif + adjectif qualificatif, ce qui donne Eau de Pamplemousse Rose et Eau de Gentiane Blanche.

L’esthétique de l’eau de Cologne (que l’on se gardera désormais soigneusement de qualifier de « minimaliste ») se prête idéalement à la préférence avouée de Jean-Claude Ellena pour les formules courtes et à son peu d’intérêt pour les parfums tenaces. Elle représente aussi le genre de défi qu’il semble savourer. Comment ajouter au vocabulaire multiséculaire de l’eau de Cologne, fondée sur l’équivalence agrumes = fraîcheur ?

La première réponse au problème reste dans le vocabulaire hespéridé, mais joue le jeu de la fraîcheur sur le fil du rasoir, puisque l’agrume en question est le pamplemousse. Or le pamplemousse, comme en attestent un certain nombre d’amateurs de parfums rebutés par le brillant Aqua Allegoria Pamplelune de Guerlain, peut parfois évoquer l’ail ou le pipi de chat à cause de ses molécules de soufre (ce n’est pas mon cas, ni pour le Guerlain, ni pour l’Hermès).

Manifestement, Jean-Claude Ellena apprécie la note : dans l’Eau de Pamplemousse Rose, il prélève l’accord de tête pamplemousse/rose d’Hermessence Rose Ikebana et Kelly Calèche (où le pamplemousse est beaucoup plus perceptible dans la récente version eau de parfum) en amplifiant l’agrume ; les deux notes principales sont raccordées par l’accent aigrelet de la rhubarbe[2] -- également utilisé dans Rose Ikebana.

La note de tête de pomelo est étonnamment éclatante et réaliste, notes soufrées comprises (elles n’apparaissent cependant que sur carton), dont l’effet de fraîcheur est intensifié par une sensation menthée qui fait picoter le nez, et qui rappelle un moment le Roadster de Cartier. La rose est transparente et légèrement poudrée de musc blanc ; la note de fond du vétiver reste assez peu perceptible.

La seconde variation sur la fraîcheur « cologne » fait un saut périlleux hors des orangeraies du Midi pour atterrir dans les Alpes, au pays de la gentiane, « fée jaune » dont les qualités apéritives sont exploitées depuis le 19ème siècle dans la Suze et le Picon.

Bien que Jean-Claude Ellena déclare que c’est la première fois qu’on utilise la gentiane dans un parfum, les Aqua Allegoria l’ont devancé avec Gentiana ; le Tea for Two de l’Artisan Parfumeur et le Zen de Shiseido (version 2000, dans le flacon qui ressemble à un sex toy pour aliens) comportent aussi cette note.

Dans l’Eau de Gentiane Blanche, la gentiane est mariée à une autre racine, celle de l’iris : dans un style typique de l’écriture d’Ellena, la gentiane s’enchaînent à l’iris par leurs facettes terreuses et amères, et l’iris, à son tour, s’enchaînent à la troisième note principale, le musc blanc, par leurs facettes poudrées.

Le musc blanc est, bien entendu, l’autre signe du frais-et-propre via son usage dans la lessive : il est d’autant plus étonnant qu’Ellena y ait recours, qu’il n’a jamais marqué une grande affection pour ce type de matériau. Cela dit, il n’aimait pas la vanille non plus avant Vanille Galante. Et ce musc-là vient parfaitement tempérer l’austérité janséniste du duo gentiane-iris, renforcé par une fumerolle d’encens.

Pour leur concentration, les trois eaux de Cologne d’Hermès sont plutôt assez tenaces. Elles peuvent être utilisées en splash ou vaporisées (grâce à une pompe à visser). Toutes sont proposées en flacons de 100 et 200ml (l’Eau d’Orange Verte existe également en 50 et en 400ml, format familial). Elles seront disponibles en mai.


Ajouté le 23 avril : L'Express a publié une interview de Françoise Caron et de Jean-Claude Ellena. Ce dernier y précise que l'absolu de gentiane est un nouveau matériau: c'est donc pour cela qu'il affirme être le premier à l'utiliser, alors que la note gentiane, elle, a déjà été mise en valeur en parfumerie.


Image: Photo par Cy Twombly


[1] Une Eau d’Herbes, créée par Germaine Cellier, l’avait devancée au début des années 60.

[2] Le dossier de presse cite parmi les notes le Rhubofix, molécule de Firmenich dont les descripteurs sont « frais, boisé, épicé, floral, rhubarbe ».


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