mercredi 11 novembre 2009

Amaranthine de Penhaligon's: Fleur de Serre impudique



Son nom évoque une princesse de conte de fées du 17ème siècle: la blonde Amaranthine, courtisée par son chevalier servant, Sir Penhaligon. Mais leur lointaine descendante, Amanthine Penhaligon, pourrait-être une vieille demoiselle allègre rédigeant des polars dans son cottage du Dorset sous un nom de plume masculin…

C’est à peu près l’image qu’on se faisait jusqu’à présent de la vénérable maison Penhaligon’s, coincée entre les marmelades de Fortnum and Mason’s et les trenchs d’Aquascutum dans la série des maisons britanniques portant l’écusson royal.

Mais depuis son rachat par Cradle Holdings, également propriétaire de L’Artisan Parfumeur, Penhaligon’s a épousseté rayons et flacons à l’aide de – bizarre, j’ai dit bizarre ? Comme c’est bizarre – Olivia Giacobetti (qui rendait hommage l’an dernier avec Elixir au plus ancien parfum de la maison, Hammam Bouquet) et Bertrand Duchaufour, qui retoquait quatre classiques pour la collection Anthology (Night Scented Stock, Eau de Verveine, Extract of Limes et Gardenia).

La contribution de Bertrand Duchaufour au catalogue est ce nouvel Amaranthine¸lequel ne rappelle en rien le tweed ou les vieilles demoiselles – à moins que la demoiselle en question ne cache un secret passé…

C’est un tout autre type d’héroïne anglaise qu’évoque Amaranthine -- par exemple, Mrs. Crosbie dans The Letter de Somerset Maugham incarnée par Bette Davis dans l’adaptation de William Wyler en 1940. L’épouse d’un colonial anglais poussée à bout dans une plantation de caoutchouc à Singapour, et accusée d’avoir assassiné son amant…

De même, Amaranthine cache, sous ses allures d’abord bien élevées, des courants de passion scandaleux. Le parfum a été comparé au Sira des Indes de Jean-Michel Duriez pour Jean Patou à cause de l’accord banane/jasmin sambac/lacté renouvelant le genre oriental, et au Manoumalia de Sandrine Videault pour Les Nez pour sa richesse tropicale parcourue de soupçons de corruption végétale. Mais contrairement à ce dernier, Amaranthine n’oubliera jamais de passer sa tea-gown à l’heure de l’Assam pour se perdre dans la jungle…

Pour moi, si Amaranthine se rapproche d’un parfum, ce serait plutôt de l’Amoureuse de Michel Roudnitska pour les Parfums DelRae : d’ailleurs, si Amoureuse vous séduit mais vous semble un peu trop fougueuse, je vous conseille Amaranthine.

Ici, Bertrand Duchaufour a étendu sa palette souvent un peu austère pour y intégrer toute une gamme de notes florales blanches, vertes et épicées plus intensément sensuelles. Amaranthine présente la structure complexe d’une orchidée particulièrement chantournée – la perle des serres du major Penhaligon – avec son déroulement en spirale qui s’étire au fil des heures. L’ouverture verte, presque métallique, relevée d’épices froides comme la cardamome et la coriandre oscille entre le sucré vanille-banane et un accord muguet-jasmin-fleur d’oranger un peu savonnette, avant que les épices chaudes et l’ylang-ylang ne prennent le relais de l’accord banana-vanille.

Le développement du parfum est réellement labyrinthique, toutes les fleurs de la serre passant tour à tour du duo au trio puis aux chœurs, tandis que des arômes dérivent du jardin d’épices et du verger où des fruits exotiques mûrissent et fermentent…

Lorsqu’Amaranthine se noie enfin dans un fond crémeux, lacté de santal et de musc, pétales éparpillés à grandeur de la plantation, elle s’est dépouillée de ses derniers lambeaux de pudeur. Et elle est prête à en assumer les conséquences.

Image: Bette Davis dans The Letter de William Wyler (1940)


18 commentaires:

  1. J'aime l'amoureuse.
    Je lui voue un veritable culte.
    I also enjoy, from time to time, manoumalia.
    I love both for their honeyed drydown, the opulent flowers, their passionate quality.
    I usally never test Penhaligons, because as much as I appreciate lily and spice or other floral offerings, they are too well-behaved (and a bit dull) for my tastes.
    You've just activeted a huge lemming. (but I am a bit scared by the banana)

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  2. En effet, c'est moi qui l'avais comparé à Manoumalia ;) par contre je ne connais pas encore L'Amoureuse... En tout cas, j'avais été agréablement séduite par cette "anglaise un peu déjantée", même si ce n'est pas vraiment mon genre de parfum, je pense qu'elle pourra étonner et séduire un grand nombre d'amoureuses de fleurs tropicales crémeuses et épicées.

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  3. Zazie, Amaranthine reste sage d'apparence (c'est tout de même une Anglaise) mais cache bien des secrets sous ses jupes!

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  4. Jeanne, j'aurais dû mettre le lien (j'étais pressée) mais, oui, il faut aller sentir les Parfums DelRae qui sont excellents! Je fais partie des accros des fleurs tropicales et je dois dire qu'Amaranthine m'a beaucoup plu.

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  5. Je suis accro des fleurs tropicales aussi, mais je ne connais ni Manoumalia, ni l'Amoureuse, ni Amaranthine, et je commence à être diablement frustrée de devoir attendre des mois après chaque lecture pour découvrir le trésor qui mérite tant de louanges! D'autant que l'attente n'a jamais été déçue, c'était un rendez-vous réussi pour Songes, Safran Troublant, Musc ravageur, Habanita, Bulgari Black, Cuir Beluga...
    Muguette

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  6. Muguette, pour Manoumalia tu peux commander un échantillon sur le site Les Nez (le lien est dans ma review), ce n'est pas trop cher et ça permet... de devenir accro, aïe! Peut-être que si tu appelles Penhaligon's ils t'enverront un échantillon? Ils sont adorables à la boutique de la rue Saint-Honoré à Paris!

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  7. Pas que je sois sceptique pour rien mais moi qui porte les parfums de Serge Lutens, Gobin Daude et de Mathilde Laurent, passer de chef-d'oeuvres comme Fourreau Noir, Seve Exquise et La Treizieme Heure (grace a ta revue D.) a une eau de toilette anglaise dont la maison de parfum s'est fait assassinee dans tous les sens dans le guide de Luca Turin avec des zeros partout... est-ce vraiment un grand parfum ou plutot un "buzz"? J'ai vu qu'Octavian en fait l'apologe aussi...

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  8. Uella, j'adore Luca, le lire et bavarder avec lui, mais ce n'est pas Dieu le père.
    Et il n'y aucune raison pour que Penhaligon's, sous une nouvelle direction, ne produise pas de beaux parfums: les auteurs des deux derniers, comme je l'écris, sont Olivia Giacobetti et Bertrand Duchaufour, qui sont loin d'être des manchots. On peut ne pas apprécier leur style mais on ne peut nier qu'ils en aient réellement un.
    Du buzz? Non. Des nez.

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  9. bien sur Turin c'est pas dieu le pere, d'ailleurs je partage pas toujours son point de vue, par contre en ce qui concerne les Penhaligon, la oui, de ce que j'ai senti, c'etait loin d'etre terrible. Alors maintenant m'extasier parce qu'une nouvelle direction fait appel a des nez deja bien connus des inities et qui travaillent un peu pour tout le monde, ok... A titre comparatif, au moins Lutens a l'epoque il avait eu l'audace de faire confiance a Sheldrake qui n'avait rien fait avant lui. Ca c'est visionnaire! Le coup de prendre Duchaufour et Giacobetti, c'est la prise de risque zero. Pour moi le parfum c'est plus qu'une savante et heureuse composition, il me faut un plus et la chez Penhaligon, meme si le dernier est reussit et la-dessus je ne doute pas ta parole, neanmoins ca me laisse de marbre...

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  10. Uella, on est d'accord, Lutens est un visionnaire... Je ne sais pas ce que faisait Chris Sheldrake avant de faire équipe avec Lutens, mais signalons tout de même que Pierre Bourdon est co-auteur de Féminité du Bois et que la vision est bien celle de Lutens.

    Cela étant, on a vu pire que de faire appel à B. Duchaufour, qui est un parfumeur indépendant (pas rattaché à un grand labo) et à O. Giacobetti qui est chez Robertet mais également assez indépendante dans ses choix de projets. Je re-signale que Penhaligon's et L'Artisan appartiennent au même groupe et que Duchaufour semble jouer le rôle de "parfumeur principal" chez l'un et l'autre: on n'est pas dans le système "briefs à tous les grands labos" du mainstream.

    Enfin, Penhaligon's est une belle marque historique dont on ne peut qu'applaudir le redressement artistique: de plus certains des autres parfums que j'ai pu sentir, comme les classiques Hammam Bouquet, Blenheim Bouquet et le plus nouveau Lavandula sont très beaux.

    Après, bon, on achète ou pas, hein?

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  11. Je suis ravie de voir la nouvelle direction que prend Penhaligons. J'ai adore Elixir et je decouvre petit a petit Amaranthine, qui est tres different de l'idee que je m'en etais faite en lisant les notes. Ca me rapelle plutot Manoumalia, n'ayant jamais senti Amoureuse. J'ai commande un decant pour approfondir ma connaissance de cette nouvelle creation.

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  12. Tara, Elixir avait ton nom écrit dessus, c'est évident! Amaranthine peut-être un peu moins mais sûrement qu'un décant, ça n'est pas du luxe... Tu m'en redonneras des nouvelles à Noël!

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  13. Good point! J'irais tester Amaranthine, d'autant plus que sa ressemblance avec Anoumalia m'intrigue, j'aime tant ce parfum, meme si je ne l'ai pas trop porte recemment. Je sais qu'il y avait une devanture Penhaligon (un truc miniscule de rien du tout style cellule de prison) sur Madison Ave mais je crois que ca a ferme l'annee derniere, par contre on doit forcement trouver ces parfums quelque part a New York...

    Au fait, j'ai craque pour L'Heure Promise, ideale pour la journee car plus facile a porter que les parfums qui composent ma collection. L'Heure Promise c'est un peu une version legere d'Iris Silver Mist.

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  14. Uella, je trouve aussi L'Heure Promise magnifique, dommage qu'il semble ne pas tenir sur moi... En tous cas, c'est plein d'excellentes matières premières et je le trouve moins austère qu'ISM, un peu trop "glacé" pour moi.

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  15. C'est vrai que c'est pas evident de se confronter au quotidien a l'austerite d'un parfum comme ISM. Il faut le desirer ou bien c'est lui qui s'impose et alors la, au creu de la poitrine, tiree a quatre epingles, il est sublime!

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  16. Pour ne pas être en retard de post, j'ai couru au Bon Marché ce midi pour sentir Amaranthine, et au passage le Gardénia.
    Le premier est en effet un bon parfum que, tout comme toi, je pourrais porter: du beau floral crémeux à l'ancienne, charnel mais tout en retenue.
    Quant à Gardénia, je l'ai trouvé plutôt bon sans égaler toutefois la richesse de mon préféré le PCTG de Lauder.
    Toujours dans ma recherche de fleurs blanches, j'avais senti hier Matin d'orages. Autant il était beau sur mouillette, autant sur ma peau, il a tourné au vert (genre cis-3 hexenol), mouillé de salive: une horreur.

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  17. Rebecca, j'ai aussi senti le Gardénia mais seulement au passage: c'est une écriture un peu trop traditionnelle pour moi, me semble-t-il, mais il est bien.
    Le Matin d'Orage n'est pas réellement un parfum pour amoureuses des fleurs blanches car il a troqué le côté crémeux contre un crépitement électrique que tu retrouveras d'ailleurs préfiguré dans le Jasmin.

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  18. Denyse, tu as raison, ce Gardénia est très traditionnel car trop figuratif mais au moins il semble vraiment sentir la vraie fleur.
    De même, ce Matin d'Orage sentait bon le gardénia sur mouillette... mais je vois tout à fait ce que tu veux dire par côté électrique, en tout cas sur moi, c'était affreux...

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