Y a-t-il un dossier de presse parfum aujourd’hui qui ne
revendique pas les ingrédients les plus nobles, débusqués au bout du monde, en
les bombardant d’une telle quantité d’épithètes qu’on croirait que le
département « adjectifs » du Petit Robert écoule ses stocks à prix
sacrifiés ?
Évidemment, on n’imagine aucune marque avouer qu’elle s’est
contentée d’un ylang de seconde zone parce que le bon coûtait un rein, ou se
vanter d’une rose cultivée en laboratoire. Comment expliquer au public ce que
sent un parfum sans évoquer un truc qui a vécu de photosynthèse à un moment
donné ?
On en est pourtant arrivés au point que ce genre de
revendication ne veut plus rien dire, même si elle est vraie, puisque tout le
monde la fait. Mais cet usage de la
« matière noble » par les parfums mainstream engendre un second effet plus pernicieux encore, évoqué par
Jean-Claude Ellena dans un article publié en novembre 2013 par
les vénérables Annales des Mines, revue scientifique
fondée en 1794 :
« Utiliser un
produit difficile à obtenir dans un parfum destiné à la grande distribution,
c’est utiliser avant tout ce produit
pour l’image qu’il véhicule, pour l’argumentation publicitaire qu’il offre, et
non pour son odeur. L’utiliser, c’est méconnaître le métier, car c’est non
seulement mettre en danger l’approvisionnement mondial de la matière première
concernée, mais aussi la production du parfum elle-même et, en définitive,
c’est tromper la clientèle. »
Autrement dit : agiter un dé à coudre d’absolue
d’osmanthus au-dessus d’une cuve d’une tonne de concentré n’aura aucun impact
sur l’odeur, mais peut en priver des parfums où il s’agit d’un composant
essentiel, simplement parce que ces dés à coudre s’additionnent sur des
milliers de tonnes…
Certes, les branches ingrédients naturels des grands labos
s’emploient désormais à créer des filières soutenables pour éviter ces
pénuries. Mais cela ne règle pas pour autant le problème d’origine :
utiliser un ingrédient simplement pour pouvoir le revendiquer, sans qu’il ait
un impact discernable sur l’odeur. Cette revendication, trop souvent, semble se
substituer à une véritable idée de création : les communicants, n’ayant
rien d’autre à communiquer, se rabattent donc là-dessus, d’autant plus que ce
type de discours répond à une demande contemporaine de transparence et de
traçabilité.
Jean-Claude Ellena, encore :
« Il m’arrive de créer un beau parfum
pour un coût dérisoire. C’est dire que le rendu émotionnel n’est pas fonction
du prix de la matière utilisée. Il m’arrive, aussi, parfois, de créer un parfum
coûteux, parce que les matériaux nécessaires à son élaboration étaient chers et
que je ne pouvais pas le composer autrement. Le coût n’est donc pas le critère
qui définit la qualité d’un parfum. Seul le rendu émotionnel est important, et
celui-ci dépend du talent, qui est bien plus qu’un simple savoir-faire.
La seule et
bonne question à se poser lorsque la création d’un parfum est terminée
est celle-ci : « Aurais-je pu créer ce parfum à moindre coût et
avec une esthétique identique ? » Répondre par la négative, c’est
avoir réussi le mariage de la carpe et du lapin ! »
Illustration: Francis Picabia, Très rare tableau sur la terre (1915)
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