Le nouveau
Moon
Dance de Juliette has a Gun devrait donner des palpitations aux fans de
parfums vintage. Chypre floral animal néo-80s aux courbes généreuses et
descendant direct du
Parfum de Peau
de Montana, il se fonde sur la senteur de fourrure et de miel (civette,
castoréum, santal, musc…) de la base Animalis, créée au milieu du XX
ème
siècle. Jadis répandue, cette bête de sexe se laissait encore observer dans les
années 80, insinuant un fumet de mâle en rut sous la fraîcheur aromatique du
Kouros d’Yves Saint Laurent, ou une
exhalaison de chair macérée sous la rose en cuir du sus-mentionné
Parfum de Peau. Animalis ne rôde plus
désormais que dans les réserves des marques de niche (revendiqué dans
Vierges et Torero d’État Libre d’Orange ; éventuellement
source d'inspiration d'Absolue pour le Soir de Francis
Kurkdjian).
Le parfumeur anonyme qui a composé
Moon Dance nourrit cet Animalis de doses
massives d’absolues de rose et de tubéreuse ; sa seule concession à la
modernité est son recours à un patchouli cœur, issu de la distillation
fractionnée. Mais si cette accumulation de notes saturées fait d’abord autant saliver
qu’un banquet après un régime détox, elle tombe assez rapidement sur le foie.
(Mes amis d’
Auparfum.com appellent ce type de composition un
« jyfoutout ».)
Comme tous les champs de création, la parfumerie
avance en passant au crible son passé pour y trouver d’anciennes formes à
réinterpréter ; pour s’inventer des filiations esthétiques inédites issues
de voies oubliées, négligées ou déconsidérées. Ainsi, après deux décennies de
gourmands dont l’indice glycémique ne cesse d’augmenter ou d’
iFrags testés
jusqu’à en extraire la moindre molécule d’originalité, on sent désormais frémir
un
revival de la parfumerie pré-
Angel et pré-
Eau
d’Issey.
Deux raisons à cela, outre le pendule de la mode.
D’abord, plusieurs parfumeurs actifs aujourd’hui ont d’abord découvert la
parfumerie dans les 80s, soit enfants ou ados, soit aux débuts de leur
carrière. Ensuite, dans un contexte assez déprimé, toutes les marques courtisent
les marchés moyen-orientaux férus de senteurs qui ramonent, ce qui permet
justement aux parfumeurs de revenir à des compositions plus charnues.
On peut réinterpréter les styles d’antan de deux
façons. Lorsqu’Oliver Polge et Jean-Christophe Hérault, Frank Voelkl ou Sidonie
Lancesseur s’attaquent aux chypres rose-vétiver des 70s/80s – respectivement
dans
Rosabotanica (Balenciaga),
Ylang 49 (Le Labo) et
Rose Infernale (By Terry) --, c’est pour
les déconstruire afin d’en proposer des relectures contemporaines. Quand
Antoine Lie compose son
Daphne pour
Comme des Garçons dans le style «
Poison
part à Goa avec
Shalimar », c’est
en juxtaposant des blocs de notes assez massifs, qui citent le passé sans le
mimer.
Moon Dance
semble relever d’une seconde approche : un style nostalgique, “comme dans le
vintage”, qui se contente d’empiler les signes ostentatoires de richesse,
plutôt typique de marques pilotées à Londres comme Amouage, Roja Dove ou
Grossmith. Lesquelles marques revendiquant un statut artistique, alors que ce
qu’elles offrent n’est souvent que l’équivalent olfactif du kitsch – une
imitation du « grand art » destinée à flatter le consommateur
« de goût », sans enrichir le thème abordé.
D’entrée de jeu, la nostalgie de l’âge d’or de la
parfumerie a été inscrite à même la déclaration d’intention de la parfumerie de
niche – « on va faire des parfums comme avant ». Les meilleurs
parfums de niche sont ceux qui s’appuient sur cette intention pour proposer des
lectures inédites du monde olfactif ; de l’histoire du parfum. Des
produits comme Moon Dance, proposés
sans recul ironique ni guillemets, relèveraient plutôt du néo-académisme
(Bouguereau pour les naseaux). Cela satisfera sûrement une part des
consommateurs, et pourquoi pas ? Le parfum est, avant tout, une
marchandise destinée à plaire.
Vous aurez reconnu Sylvie Vartan dans cette photo de Pierre & Gilles.