Difficile,
pour qui n’a pas vécu l’époque, d’appréhender à quel point les créations de Comme
des Garçons ont pu choquer lorsqu’elles sonné au cœur des années Thatcher le
rappel du no-future punk. « L’élégance,
c’est le refus » : de cette maxime de Chanel, qui avant elle avait
fait du noir la bannière de l’affranchissement vestimentaire des femmes, Rei
Kawakubo a retenu l’idée de refus – notamment, d’une féminité standardisée,
prête à consommer.
Depuis, le
noir est devenu le réglage par défaut de la fashion,
et l’une des épithètes les plus courantes en parfumerie. Lorsqu’on l’arrache au
registre de la confiserie, sa traduction olfactive recèle pourtant encore un
réel potentiel subversif. Rien
d’étonnant à ce que Christian Astuguevieille, directeur de création de Comme
des Garçons Parfums, se prête régulièrement à l’exercice. Ainsi, le brief de la
première eau de parfum de la marque, composé par Mark Buxton évoquait une
piscine remplie d’une eau noir d’encre ; la série des encens, dans ses
flacons noirs, traçait le portrait de la résine combustible dans une palette de
fumée et d’épices embrasées. Plus récemment, Play Black jouait sur la matité suie
de diesel sur inox des oxydes, alors que Black-tout-court
alignait les synonymes olfactifs du cramé.
Après les
lancements du printemps dernier – l’osmanthus givré de Dot et la rose ambrée ronronnante de Grace Coddington, avec son flacon kawaii en forme de chaton – Blackpepper fait figure d’anti-Dot (comme on dirait « anti-matière ») et de fauve autrement plus féroce. Le
parfum est plus figuratif que les deux Black,
l’épice éponyme étant immédiatement identifiable et obstinément perceptible
d’un bout à l’autre du développement – Antoine Maisondieu en a injecté une
overdose à roussir les poils de nez. Et pourtant, cette giclée de grenailles
qui perfore (on songe à la fameuse
« dentelle » CdG, produite par des machines à tricoter sciemment
déréglées) est aussi une
déconstruction de l’odeur du poivre (là encore, le travail du parfumeur
s’apparente à celui de Rei Kawabuko sur le vêtement).
Dans les
années 1990, Serge Lutens créait une palette d’ombres à paupières déclinant le
noir en quatre couleurs. Blackpepper,
comme son flacon-miroir – frôlant le bleu nuit sous certaines lumières, captant
des reflets de son environnement pour les virer au noir – joue de même sur la
variégation de sa couleur éponyme, marquèterie de faux noirs passant de
l’onctuosité chocolat de la tonka à la matité ambrée de la sauge sclarée, en
passant par le silex, la poussière, le cuir et le goudron. Ce noir-là étant la
réfutation méthodique de la petite robe qui s’est accaparé l’épithète…
Illustration tirée de la collection automne-hiver 1982 de Comme des Garçons, photographiée par Peter Lindbergh.