mardi 31 juillet 2012

London launch of Séville à l'aube at L'Artisan Parfumeur: Mission accomplished!


Going to London with Bertrand Duchaufour for the launch of Séville à l’aube at L’Artisan Parfumeur’s Covent Garden Market boutique felt like the final mile of a marathon I'd been running for two years and a half.  There will be other presentations, other launches (The Perfume Lover is coming out next March in the US, Canada and France), but now that the fragrance is out, well… oof!

Though Bertrand obviously reread the manuscript in progress to make sure there were no inaccuracies, we’d never actually debriefed our collaboration. Aboard the Eurostar taking us to London, we decided that we wouldn’t script or rehearse our presentation. So that we made up our narrative in front of a live audience. Given the unusual circumstances of the birth of Séville à l’aube, our presentation strayed from the classic pitch given at perfume launches and took on the form of a two-voiced tale: Once upon a time, a Perfumer met a Writer and they embarked on an epic creative journey where the relationship between raw materials and the story of a night in Seville during Holy Week, of raw materials between themselves and of the two creative partners was rife with obstacles, conflicts, surprises, moments of discouragement and epiphanies...
I'd given the story. Bertrand had the idea to make it into a perfume. But for once, he was travelling to a place where he’d never actually been: it was up to me to take him to Seville during Holy Week purely through my words and my reactions. To make sure he stayed faithful to the story, in other words to his own initial, gut-level intuition, despite the difficulties.

During this London presentation, I actually discovered a number of things he’d never told me. For instance, while I’d been disappointed by his first submissions, I had no previous experience of a fragrance development and was very prudent in my reactions: for all I knew, that’s how things were done, and all formulas started out as ugly ducklings. He revealed he thought those first submissions were awful. Orange blossom and incense have common mineral notes, which he thought would make them go together well, he explained: but they overlapped so much they were gobbling each other up. He spent weeks and months trying to perfect the accord, until he asked me a fateful question: “Do you know what you want?”
Up to then I had considered that my role was giving him my story then chronicling the development of the fragrance for the book. I was almost angry when he asked me to weigh in, since I was neither his client, nor an evaluator or project manager. In London he finally admitted he’d asked me because he was lost – at the time, he’d said “I know perfectly well where I’m going”! That’s what’s in the book, and I have a recording to back it up… It took me several weeks to answer. That’s when I went back into my story to retrieve Habanita, the fragrance I was wearing in the scene that had captured his imagination: I'd mentioned it before but he wasn't ready to listen. The balsamic tobacco oriental accord he derived from it was what was needed to get the orange blossom and incense to play nice. I also brought back a submission we’d rejected very early on because it had both better green top notes and a sensuality that was missing from his current mods.That was the day I went from scribe/human blotter to creative partner.
During the presentation, Bertrand stressed that he was trying to mirror my emotions as much as my original story. And when he found the ingredient that tied together all the notes, those emotions came through. That was Luisieri lavender, a type of lavender with balsamic, tobacco, cistus and incense aspects which had just been introduced to the market as a fine fragrance ingredient. It was presented to him at the very moment he was struggling to find a note that would act as a “catalyst”, a vertical axis, unifying all the accord: the citrus/green top notes, the orange blossom and beeswax heart, the resinous balsamic tobacco base. He says chance; I say serendipity! After all, the Luisieri is also called Seville lavender, so that our story called (for) it… And that’s when I could let go of evaluating: when true emotion came through in the form of a spontaneous “Yes!”

As someone in the audience pointed out, it’s almost as though Séville à l’aube used me, Bertrand and L’Artisan Parfumeur to come into existence. That’s what works of art do: they impose their own criteria, their own necessity. Séville à l’aube was never made for me. It happened with me and through me… Now that it’s out, I’ve had a few chats with L’Artisan Parfumeur sales assistants in Paris and have been told they’re getting a lot of impulse purchases. People who’ve never heard of me, my book or even Bertrand are falling in love with it.

Mission accomplished.



With many thanks to the wonderful team at L'Artisan Parfumeur!

The Perfume Lover: A Personal History of Scent is published in the UK by HarperCollins. To order a copy, click here.
The U.S. and Canada editions will be out in March 2013. Séville à l'aube is already available in France and in London, and will be launched internationally in September in a limited edition, due to the specific qualities of certain raw materials.

Lancement londonien de Séville à l'aube chez L'Artisan Parfumeur: Mission accomplie!


Mon voyage à Londres avec Bertrand Duchaufour pour le lancement de Séville à l’aube dans la boutique de L’Artisan Parfumeur à Covent Garden Market m’a un peu fait l’impression de courir le dernier kilomètre d’un marathon de deux ans et demi. Certes, il y aura d’autres présentations, d’autres lancements (mon livre paraît au début de l’an prochain aux USA, au Canada et en France), mais maintenant que le parfum est sur le marché… Ouf !

Dans l’Eurostar qui filait vers Londres, Bertrand Duchaufour et moi avons décidé de ne rien préparer à l’avance, de sorte que nous avons inventé notre narration en direct devant le public de journalistes, blogueurs et clients de L’Artisan Parfumeur, au cours de deux journées de plusieurs séances chacune…

Étant données les circonstances assez inhabituelles de la naissance de Séville à l’aube, notre présentation s’est passablement écartée du modèle classique dans ce genre d’exercice, pour se transformer en conte à deux voix. L'histoire d'une rencontre -- "il était une fois un nez et une plume" -- qui s'est enchaînée sur un développement assez épique, où le rapport entre les matières premières et le récit d'une nuit de la Semaine Sainte à Séville, des matières premières entre elles et des complices en création a pullulé d'embûches, de conflits, de surprises, de découragements et d’exaltation…

J'avais fourni le récit. Bertrand avait eu l'idée d'en faire un parfum. Mais pour une fois, il partait en voyage dans un lieu qu’il n’avait jamais visité et où je devais l’entraîner purement par mes mots, mes réactions, mes émotions…Où je devais m'assurer non seulement qu'il restait fidèle à mon histoire, donc à son intuition initiale, malgré la difficulté du projet.



Au cours de cette présentation londonienne, j’ai découvert bien des choses que Bertrand ne m’avait pas avouées sur le coup. Par exemple : j’avais été déçue par ses toutes premières soumissions, mais comme je n’avais jamais accompagné un développement, je me disais que tous les parfums commençaient peut-être par être de vilains petits canards. Bertrand a lancé que ces premiers accords étaient « dégueulasses ». Il s’était imaginé que marier l’encens et la fleur d’oranger serait un jeu d’enfant, puisqu’ils se raccordent par leurs facettes minérales communes. Mais elles se bouffaient l’une l’autre, et Bertrand a passé des semaines, des mois à tenter de donner de la sensualité et du contraste à l’accord, jusqu’au jour où il m’a posé la question fatidique : « Tu sais ce que tu veux ? »

Jusque-là, je m’étais cantonnée à lui donner l’histoire et à rédiger la chronique du développement. Cette question m’a presque mise en colère : je n’étais ni sa cliente, ni une évaluatrice, ni une directrice de développement ! Comment assumer une responsabilité aussi lourde, sur un produit que je ne commercialiserais pas ? Coup de théâtre: au cours de nos journées londoniennes, Bertrand a avoué que s’il m’avait posé la question, c’est qu’il ne savait plus où il en était. Première nouvelle : à l’époque – et j’ai un enregistrement pour le prouver – il m’avait affirmé qu’il savait très bien ce qu’il faisait ! 

J’ai mis plusieurs semaines à répondre à sa question et lorsque je l’ai fait, mon intervention a fait exploser le puzzle de la formule et déclenché une nouvelle crise… mais aussi fourni une part de la solution. En fait, je suis retournée dans mon histoire pour rapporter à Bertrand le parfum que je portais au moment des faits – je lui en avais déjà parlé mais il ne m’avait pas entendue… Habanita a fourni l’inspiration d’un accord oriental baumé et tabacé qui a enfin apporté la sensualité dont l’accord encens fleur d’oranger restait en partie dénué. J’ai aussi, ce même jour, remis en jeu un essai rejeté très tôt mais qui ne cessait de me fasciner, et qui a fourni certains éléments permettant de donner du relief à la composition, notamment des notes de tête vertes… Ce jour-là, je suis passée du statut de scribe/mouillette humaine à celui de complice de création.
Au cours de la présentation, Bertrand a plusieurs fois insisté sur le fait qu’il tentait de refléter non seulement mon récit, mais aussi mes émotions. Et lorsqu’il a trouvé l’ingrédient qui a pu agir comme catalyseur entre tous les accords, former l’axe vertical tête-cœur-fond du parfum, cette émotion s’est enfin affirmée dans un cri : « Oui ! ». Cet ingrédient, c’est la lavande Luisieri, qui venait alors d’être introduite comme matière première de parfumerie fine. Ses facettes terpéniques, baumées, tabacées, ciste, réglisse et encens ont formé la clé de voûte de la fragrance. Le plus miraculeux dans cette histoire, c’est que cette fameuse lavande Luisieri s’appelle aussi  lavande de Séville : elle entrait donc dans l’histoire non seulement par ses caractéristiques olfactives mais par son origine. Elle a également permis d’introduire la lavande des eaux de Cologne espagnoles, présentes dans mon récit de la Semaine Sainte : jusque là, j’avais rejeté la note, mais Bertrand s’obstinait à l’intégrer car pour lui, une lavande dans une fragrance aussi sensuelle et « féminine », c’était un beau défi. Arrivée à point nommée comme un petit miracle, c’est la lavande Luisieri qui a permis au parfum en devenir d’advenir.

Comme l’a fait remarquer quelqu’un dans le public, c’est presque comme si Séville à l’aube s’était servi de nous – Bertrand, moi, L’Artisan Parfumeur – pour exister. Voilà comment naissent les œuvres d’art : elles imposent leur propre nécessité. Séville à l’aube n’a pas été composé pour moi, mais à travers moi. Maintenant que le parfum est sorti, j’ai discuté avec quelques vendeurs des comptoirs de L’Artisan Parfumeur à Paris qui me racontent qu’autant d’achats sont faits sur coup de cœur, que suite au buzz énorme suscité par ce projet unique en son genre… Autrement dit, des personnes qui n’ont jamais entendu parler de moi, de mon livre ou même de Bertrand en tombent amoureux.

Mission accomplie.

Avec tous mes remerciements à l'équipe adorable de L'Artisan Parfumeur


Le récit de cette création, déjà paru en Grande-Bretagne sous le titre The Perfume Lover: a Personal History of Scent (pour commander, cliquer ici) sera publiée début 2013 en langue française aux Presses de la Cité. Séville à l'aube est d'ores et déjà disponible en France, mais en édition limitée à cause de la rareté de certaines qualités de matières premières...

mardi 24 juillet 2012

Off to London!

In exactly an hour, my press junket in London with Bertrand Duchaufour for Séville à l'aube is beginning. So I won't be able to respond to your comments as quickly as I usually do, but will do so Thursday.

Dans exactement une heure, mon marathon RP avec Bertrand Duchaufour va commencer. Désolée, donc, de ne pouvoir répondre à vos commentaires avec ma célérité habituelle. Je m'y consacrerai jeudi.

dimanche 22 juillet 2012

"A lump of who knows what"... Notes on naming perfume notes


 “In the first contact with a foreign land painters have all the advantages; lines, colour, what a whole and one that presents itself immediately! This block of who knows what, that’s nature, but objects, no, none whatsoever. It is only after a long, detailed scrutiny and a determined point of view that we reach the name. The name is an object to detach. (…)
Listen to visitors at an art show. Suddenly, after a long struggle, someone points at the painting: ‘It’s an apple tree’, he says, and you feel he’s relieved. He’s detached an apple tree from it! Now there’s a happy man.”

The French poet and artist Henri Michaux (1899-1984) wrote these lines in 1927 in Ecuador: A Travel journal. I read them after a brief exchange with a fellow perfume lover about Séville à l’aube: he scrunched his face over the blotter and started rattling off names of what he thought were the raw materials. Not necessarily the reaction one hopes for when presenting one’s brainchild, and one that made me understand a bit better the slight annoyance perfumers or brand owners may feel when a review is all about parsing the notes.

We’ve all indulged in the apple-picking routine: connecting smells with words surely satisfies some encrypted urge to make sense of the “block of who knows what”. In another post, I’ve linked this with the satisfaction of reading a whodunit: in the same way as a detective arriving on a crime scene, in the finished perfume we are confronted with a fait accompli and our mission is to find out how things got that way. Michaux draws a parallel between making sense a strange new place and contemplating a modern painting. You could apply the same reflection to perfume.

Niche was a tremendous factor in fostering fragrance writing, not only because the products on offer were often more distinctive, but because most brands followed the “solinote”, figurative trend ushered in by L’Artisan Parfumeur and Diptyque, then Annick Goutal and Serge Lutens. Analysing something called “Vetiver”, “Ambre” or “Tubéreuse” is a damn sight easier than parsing the notes of a mainstream abstract: you can hang on to the branches of the "apple tree "and shake out more words. That said, though picking out notes is no easy exercise and requires a certain amount of training, ultimately, it’s just that: training. Recognizing the apple tree is as satisfying as pulling off a magic trick. Still, the point isn’t to recognize the apple tree, but to ask why that particular rendition of an apple tree is beautiful (or not). In which way it belongs to the “block of who knows what”; what light it sheds on the landscape.

I was recently invited to the presentation of a mainstream fragrance made by the head of a pastry school in Barcelona, who had created a dessert out of the olfactive pyramid of the scent. His first step was to blindfold us and give us two connected ingredients. He didn’t want us to recognize them: in fact he pointedly asked us not to name them if we did. What he was wanted us to do was to qualify the smells, and then to deduce, based on those qualities, why one ingredient was chosen over the other by the perfumer to achieve the desired effect. I suppose this is what he does with his students: it is, in fact, an exercise I came up with as well in my perfume appreciation course, asking students to blind-smell real things, qualify them, then relate them to facets of raw materials.

Qualifying smells, looking for the adjectives rather than the noun, is what perfumers do when they are pondering a raw material. The connections that will allow them to build a form are in the “adjectives”. This process may bypass verbal words, since a skilled, experienced perfumer may think directly in “smell-words”. You could say it’s a way of weaving the apple tree back into the landscape; of seeing what other forms can be pulled out of it, so that it is no longer just an apple tree, but a web of branches, roots, leaves and fruit into which we can read a story…

Can we do away with parsing notes when writing about a fragrance? Probably not. First because of the very real pleasure the “eureka!” moment provides the writer and reader. Then because there’s got to be a common ground of references for a write-up to be intelligible. But also because the name of each note opens onto a small world that’s not just about smell but cultural/personal references, and enriches the scent with a new layer of meaning.

It would be an interesting writing experiment to build the foundation of a review with all the notes, than take away the scaffolding to keep only the metaphors. How many different stories would that experiment yield if carried out by a number of writers? 

Illustration: Gustav Klimt, Apple Tree, 1912

"Ce pâté d'on ne sait quoi"... Notes sur la question des notes en parfumerie


« Il n’y en a que pour les peintres dans le premier contact avec l’étranger ; le dessin, la couleur, quel tout et qui se présente d’emblée ! Ce pâté d’on ne sait quoi, c’est ça la nature, mais d’objets non, point du tout. C’est après de mûrs examens détaillés, et un point de vue décidé qu’on arrive au nom. Un nom est un objet à détacher. (…)
Il faut écouter le public dans un salon de peinture. Soudain, après avoir longuement cherché, quelqu’un, montrant du doigt le tableau : “C’est un pommier”, dit-il, et on le sent soulagé.
Il en a détaché un pommier ! Voilà un homme heureux. »

Henri Michaux écrivait ces lignes en 1927 dans son journal de voyage Ecuador ; elles ont pris une résonance particulière pour moi car je les ai lues après un échange avec un jeune homme passionné de parfum à qui je faisais découvrir Séville à l’aube. Dès qu’il a mis le nez sur la mouillette, il s’est mis à énumérer ce qu’il pensait être les matières premières. Ce n’est pas forcément la réaction qu’on espère dans ce genre de situation, et pour la première fois, j’ai un peu compris l’agacement qu’éprouvent certains parfumeurs ou propriétaires de marques lorsqu’on s’attache essentiellement à décomposer les notes de leurs créations.

Nous avons tous à notre heure « détaché le pommier » : relier les odeurs aux mots satisfait sûrement notre besoin quasi-génétique de débrouiller le « pâté d’on ne sait quoi ». Dans un autre billet, je rapprochais l’analyse d’un parfum à un polar à l’ancienne : de la même façon qu’un détective arrivant sur le lieu du crime, avec un parfum nous sommes mis devant un fait accompli, à charge pour nous de déduire ce qui s’est passé pour en arriver là. Dans l’extrait ci-dessus, Michaux met en parallèle l’étrangeté de « l’étranger » avec la contemplation d’un tableau moderne, mais on pourrait tout aussi bien appliquer sa remarque à l’analyse d’un parfum.

C’est peut-être justement parce qu’elle proposait des motifs reconnaissables, figuratifs ou « solinotes », que la parfumerie de niche a autant nourri le genre naissant de la critique de parfum. Dès lors que la plupart des marques suivaient le mouvement amorcé par L’Artisan Parfumeur et Diptyque, puis Annick Goutal et Serge Lutens, en proposant des variations sur le vétiver, l’ambre ou la tubéreuse, elles permettaient même aux amateurs de lire les notes, bien plus facilement que celle d’un parfum abstrait. Autrement dit, de s’accrocher aux branches du pommier pour en faire tomber d’autres notes, d’autres mots.

Il n’est pas simple, nous en avons tous fait l’expérience, de distinguer les notes d’un parfum : il faut de l’entraînement. Mais quand tout est dit, ça n’est que ça : une question d’entraînement. Reconnaître le pommier procure certes une satisfaction quasi-magique, mais là n’est pas la question : il s’agirait plutôt de se demander en quoi ce tableau d’un pommier est beau (ou pas). En quoi il s’inscrit dans le « pâté d’on ne sait quoi » ; en quoi il éclaire le paysage.

J’assistais il y a quelques semaines à la présentation d’un parfum par le directeur d’une école de pâtisserie à Barcelone : il avait créé un dessert inspiré par la pyramide olfactive du produit. Pour son premier exercice, il nous a fait passer des masques de sommeil pour nous faire sentir en aveugle deux ingrédients différents, mais de la même famille. Il ne s’agissait pas de les reconnaître – nous étions même priés de taire leur nom – mais de les qualifier puis de déduire, en nous fondant sur ces qualités, pourquoi le parfumeur avait préféré l’un à l’autre pour susciter tel effet. Je suppose que le chef fait cet exercice avec ses étudiants ; j’en propose un semblable dans mes cours d’initiation au parfum, en demandant aux participants de sentir de vraies choses à l’aveugle, d’en décrire l’odeur, puis de relier celle-ci à une facette de matière première.

Qualifier les odeurs, chercher les adjectifs plutôt que le nom, c’est ce que font les parfumeurs lorsqu’ils se plongent dans une matière première. Les connexions qui leur permettront de construire une forme, ils les trouvent dans ces « adjectifs », processus qui peut d’ailleurs faire l’économie des mots verbaux puisqu’un parfumeur chevronné pensera directement en « mots-odeurs ». D’une certaine manière, il s’agit d’étendre les branches et les racines du pommier au reste du paysage ; de voir quelles formes peuvent en être tirées, quelles métamorphoses il peut subir, jusqu’à ce qu’il ne soit plus un pommier mais une trame de branches, de racines, de feuilles et de fruits où l’on peut broder son histoire…

Mais peut-on se passer de l’analyse des notes lorsqu’on écrit sur un parfum ? Sans doute pas entièrement. D’abord parce que l’instant de l’eurêka – « c’est un pommier! » – suscite un réel plaisir chez l’auteur et les lecteurs. Ensuite parce qu’il faut tout de même des points de référence communs pour qu’une description soit intelligible. Mais aussi parce que le nom de chaque note s’ouvre sur un monde qui n’est pas purement olfactif, mais composé de références culturelles et personnelles qui enrichissent le parfum de nouvelles couches de sens.

Il serait cependant intéressant de tenter l’expérience d’un texte construit de façon « classique » (avec les notes) dont on retirerait l’échafaudage pour ne conserver que les images, les métaphores. Combien d’histoires différentes pourraient sortir du même parfum sous différentes plumes ? 

Illustration: Pierre Bonnard, Pommier fleuri, c. 1920

vendredi 20 juillet 2012

The Hermessence Haïkus



The Jardins Albert-Kahn in Boulogne-Billancourt is a magical enclosure just off Paris where the banker Albert Kahn (1860-1940), who dedicated part of his colossal fortune to foundations fostering world peace, created a series of gardens in different styles conjuring his favorite landscapes.
It is, naturally, the Japanese garden that Hermès chose as the setting of a lovely, poetic tribute to the Hermessence collection.
Jean-Claude Ellena, who is particularly sensitive to Japanese esthetics, has long called this series his “haikus”: in Japan, he met with haiku masters who composed poems inspired by the Hermessences, which in turn inspired installations set in the Albert-Kahn garden.
Purple-painted stones marked an itinerary along which were erected a series of ten little “shrines”: at each stop, a Hermès ribbon sprayed with one of the Hermessences was tied to a stylized fan. The perfumes mingled with the delicate vegetal scents of the garden in the moist, warm air of early summer…

Paprika Brasil
 A towering tree
Sets its blossoms aquiver
Sweet cool of the night

Kaï Hasegawa


Osmanthe Yunnan 
 Apricot blossom
Making a hairpin in jade
And the evening star

Dhugal Lindsay


Poivre Samarcande
 Blessed cool of evening!
We live on this sparkling planet:
Land of oases

Shugyô Takaha


Brin de Réglisse
One summer’s evening
A swift gust brings out the blow
Of the evening star

Hadoka Hayuzumi


 Multicoloured shells
Washed up onto the beach
Long spring afternoon

Minoru Ozawa


 Every time she meets
A man, she then gives to him
Her iris perfume!

Teiko Inahata


Ambre Narguilé
 Carthage, one evening
Where a cat narrows his eyes.
And breathes in the moon.

Seegan Mabesoone


Vétiver Tonka
 And away it flows,
Robbing the sun’s bright light
Such is the source!

Michiko Kaï


Santal Massoia

Let them come to me,
Poetry and your love and…
That doe on the hill!

Saki Kôno



Rose Ikebana
 I nibble your ear
Which is so like a soft rose
Ah, I smell roses!

Yûmu Yamaguchi

Les Haïkus des Hermessences



Dans l’enclos magique des Jardins Albert-Kahn à Boulogne-Billancourt, Hermès présentait il y a quelques jours un parcours poétique inspiré par la collection Hermessence, dont les dix parfums que Jean-Claude Ellena nomme ses haïkus ont inspiré dix maîtres haïkistes, qui à leur tour ont inspiré dix installations.
Le long de ce parcours semé de pierres violettes, les promeneurs pouvaient découvrir ces trois œuvres – parfum, poème, installation – en s’arrêtant à de petits « autels » où un ruban Hermès, vaporisé de la fragrance, était attaché à un éventail stylisé. Les parfums se mêlaient donc aux délicates odeurs végétales du jardin japonais dans l’air un peu moite de cette fin d’après-midi de juillet…



Paprika Brasil

Un arbre immense
Fait trembler ses fleurs–
Fraîcheur de la nuit

Kaï Hasegawa




Osmanthe Yunnan

Derrière les fleurs d’abricotiers,
Une épingle à cheveux de jade
Et l’étoile du berger.

Dhugal Lindsay




Poivre Samarcande

Fraîcheur vespérale !
Nous vivons sur cette étoile :
Planète des oasis.

Shugyô Takaha



Brin de réglisse

Rafale subite,
Un soir d’été, pour faire briller
L’étoile du berger.

Madoka Hayuzumi



Coquillages multicolores
Sur la plage échoués…
Long après-midi printanier.

Minoru Ozawa



A chaque fois qu’elle croise
Un homme, elle lui donne
Son parfum d’iris !

Yeiko Inahata


Ambre Narguilé

A Carthage, un soir,
Un chat plisse les yeux
Et respire la lune.

Seegan Mabesoone


Santal Massoia

Que viennent à moi
La poésie, ton amour
Et cette biche sur la colline !

Saki Kôno

Vétiver Tonka

Elle s’écoule
En volant la lumière du soleil,
La source !

Michiko Kaï


Rose Ikebana

Je mordille ton oreille
Qui ressemble tant à une rose –
Dans ce parfum de rose !

Yûmu Yamaguchi