En 2007, l’équipe des parfums Thierry Mugler suivait le fil
du langage pour passer d’Angel à la
part des anges, terme alchimique désignant le cognac qui s’évapore lors de son
vieillissement (son sillage, si l’on veut). Appliqué au parfum, ce processus de
macération en fût, breveté, était étendu à Alien
et A*Men en 2009. Depuis, les
expériences se sont multipliées. Un autre fil de l’ADN d’Angel a inspiré l’ajout de notes alimentaires (« Le Goût du
parfum », 2011), puis c’est le cuir qu’on a fait macérer dans les parfums
(« Pur cuir », 2012), ensuite allégé par l’addition d’eaux florales (les
« Aquachic » de l’été dernier).
Les éditions limitées de cet hiver reprennent le chemin du
chai, à ceci près, nous assure le dossier de presse, que le bois des fûts a été
toasté. En fait, tous les fûts destinés aux vins et spiritueux sont soumis au
chauffage, dont le mode et l’intensité permettent de développer des arômes en
proportions différentes. Ainsi, un chauffage fort accentuera les arômes
grillés, toastés et caramélisés (logique), qui domineront les notes vanillées
et fumées. Le processus appliqué par les tonneliers Séguin Moreau a sans doute
été spécifiquement mis au point pour les différents parfums Mugler soumis à ce
traitement.
C’est Alien Liqueur de
Parfum 2013 que j’ai testé. De tous les féminins de la maison, il n’y a que
celui-là que je peux porter, même si, la première fois que j’ai porté Alien, il a réalisé le programme de son
nom en bondissant de mon poignet pour dévorer tous les parfums que j’ai
vaporisés dessus pendant trois jours…
Développé par les parfumeurs Dominique Ropion et Laurent
Bruyère, Alien est fondé sur ce que
son directeur artistique olfactif Pierre Aulas appelle les « poly-blocs ».
« Quand j’ai travaillé sur Alien »,
explique-t-il, « j’ai essayé de
comprendre la particularité olfactive d’Angel, qui était outrancier, overdosé.
Thierry a tout le temps dit “ma mesure, c’est la démesure”. Donc forcément, il
fallait qu’on applique ça. Sur Alien, c’était la première fois qu’on overdosait
le cashméran dans un féminin de cette manière-là, qu’on overdosait l’ambroxan.
Ce qui rendait ces overdoses féminines, c’est un accord fleurs blanches
jasminé-oranger, un peu classique, qui arrondissait tout ça. »
Du coup, Alien est
considéré par ses créateurs comme le plus « classique » des féminins
de Mugler. Il n’en reste pas moins un OVNI, qui prend à contrepied la plupart
des codes de la parfumerie mainstream. Un sillage de diva outrancier, là où on
vise en général le frais-girly. Un assemblage de haute précision de notes
masculines et féminines, exaspérées jusqu’à l’hermaphrodisme, là où le marché a
depuis longtemps misé sur la spécialisation sexuelle. Une revendication assumée
de la synthèse, alors que la concurrence met l’accent sur des naturels, dont on
soupçonne qu’ils n’ont été qu’agités un instant au-dessus des cuves de
concentrés. Mais aussi, des naturels en overdose – selon Pierre Aulas, la
formule est tellement chère qu’on ne peut pas copier Alien aux prix du marché. Ultime subversion de la série Liqueurs de Parfum : faire macérer
ce mutant comme s’il s’agissait du plus noble produit du terroir français…
Étant donné ma première rencontre avec Alien, j’ai appliqué sa version Liqueur
2013 avec parcimonie – c’était avec des êtres humains que je dînais ce
soir-là, pas la Ripley de Sigourney Weaver. Mais en fait, soumis au traitement « cognac »,
Alien prend du moelleux. L’accord
floral radioactif est en partie absorbé par les notes ambrées boisées, mettant
en relief le petit effet « poussière » qui donne son velouté au
cashmeran. Le bois du fût ajoute des arômes vanillés-amandés, sans verser dans
le gourmand. Le jus a toujours la demi-vie du plutonium sur la peau, mais son
sillage n’est plus de l’ordre de la retombée nucléaire. C’est très beau.
Pour ces éditions limitées de l’hiver 2013, Thierry Mugler a
demandé à Thierry Hernandez, directeur du bar du Plaza Athénée, d’inventer des
recettes de cocktails assorties aux parfums.
Voici celle d’Alien :
- 5 cl de rhum Neisson brun
- 2 cl de Grand Marnier
- 4 cl de jus d’abricot
- 1 cl de jus de passion
- 1 cl de sirop d’orgeat
- 1 goutte de cèdre
- 2 gouttes d’essence de jasmin
- 2 gouttes d’essence de fleur d’oranger
Tchin-tchin, et joyeux Noël !
Image: Costume de Muglerette créé et photographié par Manfred T. Mugler pour son spectacle de cabaret au Comedia à Paris: Mugler Follies
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