jeudi 1 avril 2010

Le Voyage d'Hermès, quintessence d'Ellenitude



Lorsqu’Hermès lui a demandé un parfum évoquant l’idée du voyage en général plutôt qu’une destination en particulier comme sa série des Jardins, Jean-Claude Ellena avoue – et dans le dossier de presse, qui plus est – qu’il s’est senti « paumé, coincé, hésitant et perdu. » Jusqu’à ce qu’il décide d’opter pour l’abstraction : le parfum parlerait du plus beau voyage, « celui qu’on n’a pas encore fait ».

Manifestement, et bien que la campagne publicitaire montre un cheval et une colombe, le moyen de locomotion choisi pour ce déplacement pourrait bien être la téléportation : Voyage d’Hermès est un parfum en pleine dématérialisation, un scintillement dans l’air, sans autres notes annoncées que frais-boisé-musqué…

Puisqu’il s’agit de Jean-Claude Ellena, on se doute bien que cette texture éthérée relève d’un choix stylistique plutôt que d’un budget de misère. Après tout, il travaille souvent les effets d’eau et d’air, en creux, comme pour soustraire le plus possible à ses formules tout en obtenant encore une composition de caractère, ce qui rend son travail tantôt profondément évocateur, tantôt curieusement laconique, presque mutique. Mais c’est bien de style qu’il s’agit, et celui d’Ellena est élégant au sens scientifique du terme : l’effet maximal obtenu par le nombre minimal d’opérations. Ce n’est donc pas d’une iFrag anorexique qu’il s’agit. Cependant, il y a fort à parier que les consommateurs effarouchés par des effluves plus robustes seront de ce Voyage dans l’éther…

Le parfum répond bien à l’intention annoncée : il peut transporter n’importe-où, comme si l’imagination de celui ou celle qui s’en pare était incitée à y projeter sa propre destination. Mais ceux qui connaissent bien l’œuvre de Jean-Claude Ellena éprouveront sans doute une impression fulgurante de déjà-senti. Comme si Voyage d’Hermès était une façon de redonner aux fans du parfumeur une sorte de quintessence d’Ellenitude ; un palimpseste où se lisent des fragments de formules de l’œuvre d’Ellena.

Cette fusion de pamplemousse et de rose translucide ? Eau de Pamplemousse Rose, Rose Ikebana, Un Jardin sur le Nil, Kelly Calèche eau de parfum. Cette note amère ? Peut-être Eau de Gentiane Blanche, avec une petite citation de racine et d’iris. Des effets poivrés/boisés/musqués évoquent Angéliques sous la pluie. Gingembre? Un Jardin Après la Mousson. Cardamome ? Encore la Mousson, avec renvoi sur Déclaration. Thé? Citation subliminale peut-être de l’Eau Parfumée au Thé Vert de Bulgari, jusque dans l’effet de jasmin vert transparent. Le parfum est charrié par une brume de musc – déjà remarquée dans l’Eau de Gentiane Blanche, et où je décèle parfois une très légère teinte de chocolat au lait, facette de certains muscs blancs – portée elle-même par un souffle de bois abstraits (l’iso-E super de Poivre Samarcande) penchant vers le cèdre, ce qui nous ramène en Terre d’Hermès qui s’ouvre sur le pamplemousse…

Jean-Claude Ellena aime à dire qu’il manie les illusions olfactives : dans Voyage d’Hermès, il joue plutôt de l’allusion. Ce parfum est, d’abord et avant tout, un voyage au cœur de l’œuvre d’Ellena, et je ne suis pas la seule à le remarquer (cliquez ici pour Now Smell This, ici pour 1000fragrances, ici pour J’aime le parfum et, pour les non-anglophones, ici pour Ambre Gris…).

Cela dit, ce n’est pas le pire des itinéraires, au contraire. Voyage d’Hermès est chic, léger mais tenace : difficile de ne pas s’y plaire. De plus, ce flacon rechargeable en forme d’étrier est assez beau, et semble assez solide, pour avoir l’air du genre d’objet qu’on lègue à ses héritiers – comme un sac Hermès, par exemple.





Image: Series N°33 White de Robert Ryman

4 commentaires:

  1. D,

    Voilà, je vois que nous nous rejoignons. C'est un beau parfum, bien conçu, de qualité, on peut y trouver un parallèle entre l'abstraction du concept de "voyage" et l'abstraction de la senteur elle-même... mais quand on connaît un peu l'œuvre de J-C Ellena, Voyagedevient vite un jeu de spot-the-reference. Un peu comme un best-of, mais qui perd tout ce qui faisait la personnalité de chacune de ses parties... Et ça, j'ai un peu de mal à y trouver de l'intérêt, personnellement...

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  2. Six, c'est vrai que si je recherchais un parfum dans ce genre, je m'orienterais plutôt vers Angéliques sous la pluie, par exemple.

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  3. Je l'ai trouvé pour ma part très Ellenesque, forcément, c'est-à-dire de très belle facture, transparent, éthéré, mais voilà.... aussi très... ennuyeux. Ce voyage ne me mène nulle part, c'est un voyage abstrait qui ne me transporte pas. Il ne décolle pas, sa linéarité m'agace presque. Il me laisse assez indifférente et je n'ai pas grand chose à en dire, à part cette jolie et surprenante note de poivre rose.
    Ahh si, une chose : je trouve le flacon-étrier escamotable (et rechargeable je crois) très beau, un très bel objet de voyage, très Hermès.

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  4. Lamarr, ce flacon est en effet un superbe objet et, oui, il est rechargeable, ce qui lui donne bien ce petit côté "patrimoine" qui sied si bien à la maison Hermès. J'aime bien cette idée, moi qui ai tant de mal à jeter les flacons...

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