Que fabriquent les parfumeurs lorsqu’on les lâche dans la confiserie – autrement dit, les matières premières les plus nouvelles, les plus chères et les plus belles de leur boîte – sans brief ni restrictions de budget ? Chaque année, IFF donne à un petit groupe de journalistes beauté l’occasion de le découvrir durant ses Speed Smelling, événements uniques en leur genre dans l’industrie… Et à partir du 1er février, les amoureux du parfum pourront eux aussi y mettre le nez, puisqu’une édition limitée de 200 coffrets sera mise en vente pour la somme franchement modique de €125 (pour 11 x 15 ml d’inédits). À Paris, ce sera chez Jovoy ; pour l’international, chez Luckyscent aux USA. Harrod’s devrait suivre.
J’avoue que des quatre séances auxquelles j’ai
assisté jusqu’ici, la plus récente a été ma préférée – je porte avec plaisir la
plupart des compositions, dont plusieurs mériteraient d’être commercialisées
telles quelles. J’ai divisé mes impressions en trois parties. Voici la
première, qui butine parmi les fleurs…
La rose de Dominique
Ropion
Après avoir créé deux ouds sans oud pour les
éditions 2012 et 2013, le maestro a poursuivi son exploration olfactive de la
région avec une rose de Taïf sans rose de Taïf – la rose en question, une
variété de Damascena, étant cultivée
à Taïf près de la Mecque, donc rarissime et franchement peu accessible aux
mécréants. Lors d’une visite à Beyrouth, un vendeur m’en a offert quelques
millilitres – vu le prix, il aurait fallu que j’hypothèque un rein – en me
susurrant « Si vous voulez une chose parfaite dans votre maison »… À €36 000/kg,
cette huile est quatre fois plus onéreuse que ses équivalents turques ou bulgares,
et, selon Dominique Ropion, beaucoup plus puissante. De quoi s’activer les
pipettes pour en créer une reconstitution – laquelle, si elle est fidèle au
modèle, en justifie le prix. À chaque inhalation, ce sont des microcapsules
odorantes qui vous sautent au nez. Plus géranium, plus soufrée, plus boisée que
ses sœurs, cette rose fait flotter ses paillettes de facettes sur un nuage de
cashmeran saupoudré de cannelle, de cumin et de clou de girofle. Je n’ai pas
songé demander au maestro s’il a introduit cet accord dans The Night – version sur-oudée de Portrait of a Lady – mais manifestement, ce dernier contenait déjà
en germe la rose saoudienne…
Le genêt d’Anne
Flipo
Cette année, alors que Dominique Ropion se rejouait le
miracle de la rose, Notre Dame des Fleurs s’est plongée dans le genêt, histoire
d’inspecter la corolle du point de vue de l’abeille. Et, accessoirement, de
défricher d’autres territoires du gourmand, terme récemment remplacé par « addictif »
(on en trouverait un autre, qu’Anne Flipo serait preneuse, nous
signale-t-elle). Pour évoquer une palette complète de voluptés orales, elle
transforme le genêt en fleur animale – c’est son côté foin-cheval --, suintant
le miel de fleur d’oranger jusqu’à l’indécence.
« Le talent c'est
la politesse à l'égard de la matière, il consiste à donner un chant à ce qui
était muet »,
écrivait Jean Genet dans son Journal d’un
voleur.
Le mimosa
de Jean-Christophe Hérault
Son maître Pierre Bourdon recommandait toujours à ses
apprentis de prendre des notes lorsqu’ils découvraient une odeur. De percevoir
l’objet olfactif comme dans un kaléidoscope, en associant chaque facette à un
objet concret, la première impression étant toujours la meilleure…
Jean-Christophe Hérault a récemment remis la main sur le carnet où il avait
inscrit ses premières impressions des mimosas du Massif du Tanneron.
Vert aqueux (absolue de violette feuille), poudré
(concrète d’iris à l’arôme légèrement chocolaté), puis gras cireux (absolue de
rose), miellé (absolue de cire d’abeille), fruité animalisé (absolues de fleur
d’oranger et de jasmin sambac)… Le parfum n’est pas un portrait du mimosa, mais
plutôt une composition à laquelle le mimosa prête sa structure.
« Décomposé » par le prisme de son nez
de jeune parfumeur, auquel le parfumeur désormais chevronné donne les moyens de
sa politique, le mimosa de Jean-Christophe Hérault exprime la quintessence de
son style : une tension entre tendresse et esprit analytique. Le parfum
capte non seulement une impression de mimosa en fin d’hiver, mais aussi un
souvenir : avoir vingt ans au pied de collines tapissées de millions de
petits soleils veloutés, comme autant de promesses de printemps.
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