Le visuel est le prochain défi du niche. Si le
secteur s’est construit en faisant peu ou prou l’impasse sur la question, c’est
presque par défaut, par manque de budget. Mais dans un marché de plus en plus
engorgé, l’identité visuelle deviendra forcément beaucoup plus déterminante.
Plusieurs marques plus anciennes sont en train de relooker leur packaging,
leurs comptoirs, leurs boutiques. Parmi les plus nouvelles, certaines des mieux
bûchées, comme Arquiste et Olfactive studio, se sont attaquées à la question de
la photo d’entrée de jeu, la première en créant des natures mortes de style
flamand, la seconde en faisant de la photo son concept même. Ce n’est d’ailleurs
sans doute pas tout à fait par hasard – même si ce n’est pas exprès – qu’un
visage fantomatique est apparu dans l’image-brief de Flashback, le dernier Olfactive Studio, au moment même où le
mainstream donnait congé aux égéries avec La
Petite Robe Noire. Le niche commence à se hasarder vers la représentation
humaine, qui risquent d’ailleurs de pâtir d’une comparaison avec celles des
pubs de grandes marques, qui peuvent s’offrir les meilleurs photographes et les
plus beaux visages du monde.
On peut esquiver le problème en se dotant d’une
muse, comme État Libre d’Orange pour Like
This : avec Tilda Swinton, le problème de l’image aux deux sens du
terme était résolu, puisque l’actrice offrait à la fois toute sa galerie de
portraits, son aura et sa réputation à son parfum. Ce genre de partenariat, non
seulement avec des stars (ce que les marques mainstream font depuis des
lustres) mais avec des créateurs susceptibles de fournir des images et un
imaginaire ready-made, est en passe
de devenir un trope (voire un tropisme) du niche. Témoin, la collection
inauguré il y a quelques mois par Frédéric Malle avec Dries Van Noten.
À ce jeu-là, nul n’est plus avisé que Ben Gorham,
qui a fondé Byredo en sortant des Beaux-arts de Stockholm. Son Sunday Cologne, d’abord baptisé Fantastic Man, est issu d’un partenariat
avec le magazine de mode hollandais du même nom. M/MINK résulte d’un brief visuel fourni par le duo de graphistes M/M (Michael Amzalag et Mathias Augustyniak). Son tout nouveau 1996 franchit une étape supplémentaire
en se dotant de muses qui sont aussi des photographes, les Hollandais Inez van Lamsweerde and Vinoodh Matadin. Le duo, qui œuvre dans la mode, la pub, le
portrait et la photographie d’art, fait partie de la même nébuleuse créatrice
que M/M, avec lesquels ils ont souvent travaillé, notamment pour Björk. Ils ont
d’ailleurs signé énormément de pubs de parfum, de Chloé à Victor & Rolf en
passant par Narciso Rodriguez, Givenchy ou Armani.
L’innovation, ici, c’est que 1996 se dote d’un visage –
c’est l’un des tous premiers parfums de niche à le faire – lequel, à défaut de
s’afficher dans une campagne, figure directement sur l’étui. « Kirsten,
1996 » fait partie d’une série montrée dans une exposition d’Inez Van
Lamsweerde, « The Widow », qui a tourné dans cinq galeries en 1997.
Il s’agit donc d’une photo d’art, le portrait d’une fillette – signée par les
photographes les plus courus de la planète fashion, et façon futée pour Byredo
de se hisser au niveau visuel des marques de luxe.
Le parfum, d’abord commandé par Inez & Vinoodh
pour offrir à leur entourage, a apparemment suscité un tel buzz que Ben Gorham
a décidé de le commercialiser. Bien qu’inspiré par « Kirsten, 1996 »,
il ne tente pas de traduire en odeurs ce visage enfantin aux lèvres
barbouillées de gloss cassis. Ce sont les goûts, les souvenirs de voyage et la
maison du couple, « pleine de bois chaud et de design pointu », qui
en a orienté le développement.
L’iris est à toutes fins pratiques le signe olfactif
du luxe, avec des connotations de « pointu » (c’est une note
clivante). Dans 1996, il est plutôt
traité à la Dior Homme qu’à la Infusion d’Iris. Ici, la note n’a pas la
texture houppette-de-velours mise en évidence dans le Silver Iris d’Atelier Cologne, également structuré par un axe
iris-ambre-patchouli – d’ailleurs, si Silver
Iris revendique un « ambre blanc », celui de 1996 est « noir, chaud, presque visqueux », dixit le
dossier de presse. Bien vu. Le chocolat noir n’est pas revendiqué, mais il est suscité
par la facette chocolatée de certains types d’extraction de l’iris lorsqu’elles
rencontrent le patchouli. Mais c’est bien à un chocolat noir fourré d’une
giclée de cognac et qui tient bien aux dents qu’on songe. L’autre facette
obscure de l’iris, le cuir – souligné d’une bouffée animale – courtcircuite
cependant le moindre penchant gourmand. 1996
est une friandise pour les grands. Ce qui explique peut-être l’expression d’extase
de la jeune Kirsten. When she’s good, she’s very good, but when she’s
bad she’s better.
Photos: "Kirsten 1996" de l'exposition "The Widow" tirées du site de la galerie Matthew Marks, New York.
Hello Denyse
RépondreSupprimerGreat review. Byredo is one of those brands that i really want to like, but aside from M/Mink, i have found all of their releases to be pretty lacklustre. Even the last release, Bullion, which picked up some great reviews, i found to be a damp squib. This one does sound promising, with Iris and Amber and i am looking forward to trying it.
Chris
Hi Chris. I can't say I've spent an enormous amount of time with Byredo -- I tried M/Mink because of M/M and did find it interestingly over-the-top.
RépondreSupprimerC'est moi où ils ont oublié de préciser "sucre" dans la désorption de Silver Iris chez Atelier Cologne ?? ISM fera tomber sa colère divine...
RépondreSupprimerQuant au 1996, j'ai trouvé ça plutôt joli, malgré quelques facettes un peu "floral sous plastique", mais qui correspond assez aux autres parfums de la marque.
On a vraiment une tendance iris presque iris cuir/daim/peau cette année (avec les iris poire) entre le Skin on Skin, le iris prima, le 1932, celui là... C'est plutôt cool !
J.
*description
RépondreSupprimer(Parce que sinon ça veut rien dire ^^)
Jicky, j'ai l'impression que cette pluie d'iris dure déjà depuis au moins deux trois ans... Avec l'avantage de pouvoir revendiquer la-matière-la-plus-chère-de-la-parfumerie! Tu oublies Iris Nazarena, l'un de mes préférés dans ce registre récemment.
RépondreSupprimerBonjour Denyse,
RépondreSupprimervisuel pour le niche or not?
Un vote à lancer. Pour ma part ce sera non. L'absence de visuel est la principale différence et elle permet de se concentrer sur la senteur elle même et non d'endosser un fantasme, une marque, une image que l'on veut donner de soi. Le parfum y perdrait son sceptre et sa couronne.
Qu'en pensez vous ?
Hélène
Bonjour Hélène. Je me pose la question. Je pense qu'il faudra y venir, mais surtout pas en reprenant à l'identique les codes du mainstream (genre la belle égérie dans une photo poétique/sexy): le niche ne peut qu'y perdre, d'une part en identité, d'autre part en aura, car jamais il ne pourra mobiliser les mêmes budgets... La piste de la photo d'art (Olfactive Studio et maintenant Byredo) me semble pertinente, mais tout le monde ne pourra pas s'y engouffrer.
RépondreSupprimerben non. Et on arrivera très vite à exactement le même type de com. Inevitabeul comme dirait Brad.
RépondreSupprimerHélène
C'est très possible. On en est comme qui dirait au Niche 3.0, et à ce jeu-là, au détriment peut-être de parfums très beaux, ce seront les meilleurs concepts qui surnageront.
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