Les chypres sont souvent perçus comme des parfums corsetés, intellectuels et un rien hautains, aussi structurés qu’un vêtement de haute couture classique ; leurs notes vertes, cuirées ou aromatiques leur confèrent un charme androgyne. Bien que la famille des chypres fruités (de Mitsouko à Diorama en passant par Femme) affiche des courbes un peu plus plantureuses, elle reste distinguée : les courbes sont contenues dans la célèbre guêpière remise à la mode par Marcel Rochas…
Mais au début des années 1970, les descendantes de Mitsouko s’étaient un peu dévergondées, en écho à la vague hédoniste et féministe de l’époque. Diorella (1972) en tête, les chypres tombaient la gaine et s’allégeaient.
Comme Cristalle (1974) ou Azzaro (1975), L de Lubin, lancé en 1974, est un chypre post-Diorella de quatrième génération. Mais contrairement à son modèle – Diorella évoque des étés en Normandie ou dans l’arrière-pays provençal – L s’envole directement pour les terrasses de Saint-Tropez et retire sa saharienne Yves Saint Laurent pour s’envelopper d’un paréo Pucci.
« Élixir voluptueux né dans les seventies [qui] accompagnait les égéries Pop sur les dance floors disco », d’après le communiqué de presse, la dernière réédition de Lubin est une beauté déhanchée, teint caramel, seins libres, un peu callipyge avec sa base patchouli-vanille-santal post-hippie. Mais qu’importe ? Elle s’amuse, et son cœur floral jasmin-gardénia-iris-rose éclaboussé de bergamote est de si bonne composition qu’on peut se laisser aller en sa compagnie… 69, l’année érotique, n’est pas encore un lointain souvenir.
Les publicités des années 1970 jouaient d’ailleurs sur l’allusion libertaire-libertine en montrant une parure en soie gisant sur un récamier en velours pastel très David Hamilton. Le slogan, « Tout le monde n’a pas à savoir que vous n’êtes plus tout à fait la même », laissait clairement entendre que sur ce divan, une jeune fille venait de se faire déflorer… Aujourd’hui, la boîte et la publicité reproduisent un motif inspiré de l’un des peintres préférés des jeunes filles, qu’elles soient ou non en fleurs : Gustav Klimt, dont les posters ont orné les chambres de générations d’adolescentes. Sur ce fond, une nymphe aux cheveux roux et au teint pâle.
L de Lubin a été reformulé par l’auteur de la formule d’origine, Lucien Ferrero : je n’ai pas senti l’original, mais d’après le propriétaire de Lubin, Gilles Thévenin, il n’a pas beaucoup bougé – et comme il m’a précisé que Nuit de Longchamp et Gin Fizz avaient été modifiés, je n’ai aucune raison de ne pas le croire. Amoureuse des chypres fruités, je me régale de celui-ci : il n’a peut-être pas le chic de Diorella ou le mystère de Mitsouko (de toute façon inégalé), mais sa nature sensuelle, décontractée et gourmande le rendent aussi facile à porter qu’à aimer.
I’ve had a flacon of vintage Nuit de Longchamp of indeterminate age – could be anything from the 50s to the 70s – for quite a while, but I was never much drawn to it, mostly because the aldehydes and bergamot have turned. So I didn’t have much of a preconceived idea of the fragrance when I stumbled on the Lubin display at the niche corner of the Parisian department store Le Printemps.
It was swoon at first sniff… A chypre, with the unmistakable, canonic trio of materials -- bergamot, labdanum, oakmoss – shoring up a billowing cloud of white florals. A good old fashioned, honest-to-goodness chypre. It felt like coming home.
Launched in 1934 to celebrate the first nocturnal race at the Longchamp hippodrome in Paris (sourced by Scentzilla), Nuit de Longchamp has the supple sensuousness of a 1930s bias-cut white silk-satin gown. It unfolds at the fluid, graceful pace of a classic, with, from the juicy, almost mouth-watering bergamot dipped in creamy ylang-ylang of the top notes to the soapy, chiffon froth of orange blossom and jasmine. The rich balsamic base – of Tolu and Peru balsam -- brings a woody, vanilla-cinnamon note to the blend, whipping the earthiness of the patchouli, vetiver and oak moss into an almost caramel-like smoothness – a hint of golden flesh under pearly ripples of satin. A whiff of something that reads like incense, but that could be the cool medicinal hint of cardamom playing off the smokiness of the balsams, weaves in and out…
According to Lubin’s owner Gilles Thévenin, Nuit de Longchamp’s formula -- whose author remains anonymous --, as found in the archives of the house of Lubin, was somewhat altered by Lucien Ferrero and Henri Bergia of Expressions Parfumées. As far as I can tell from my much-altered vintage bottle, it is still fairly faithful to the original in tone, and certainly no effort has been spared in the year-long reformulation of this classic aldehydic floral chypre.
The overall effect is as utterly ravishing, poised and graceful as 1930s stars Constance Bennett, Myrna Loy or Carole Lombard (just before they break into some goofball comedy caper). In fact, Nuit de Longchamp very much gives off that married, chic and witty vibe that is so delicious to behold in 1930s comedies: it is womanly without being matronly, and just vivacious enough to hint that there is indeed a life, and a thrilling one at that, to be had in formal wear – not so much a night at the races as a racy night…
Image: Carole Lombard in a publicity still for Howard Hawk's Twentieth Century (1934)
Je possède depuis un certain temps un flacon de Nuit de Longchamp vintage d’âge indéterminé – il pourrait dater des années 50 à 70 – mais il ne m’a jamais beaucoup attirée, essentiellement parce que les aldéhydes et la bergamote des notes de tête ont viré. Je n’avais donc pas tellement d’idées préconçues du parfum lorsque je suis tombée sur le testeur dans le rayon Lubin du Printemps.
Dès que je l’ai humé, j’en ai eu les jambes molles… Bergamote, ciste labdanum, mousse de chêne, structurant un nuage ondulant de fleurs blanches : un chypre. Un vrai de vrai. J’ai eu l’impression d’être enfin rentrée chez moi.
Lancé en 1934 pour fêter les premières courses nocturnes de l’Hippodrome de Longchamp, Nuit de Longchamp a la souplesse sensuelle d’un fourreau en satin de soie blanche taillé en biais des années 1930. Il se déploie au rythme fluide et gracieux d’un classique, de la bergamote juteuse à en faire venir l’eau à la bouche fondue dans l’ylang-ylang crémeux jusqu’à la mousseline savonneuse de l’accord fleurs d’oranger-jasmin, en passant par le duo iris-rose. Le fond balsamique – de baumes de Tolu et du Pérou – enrichit ce bouquet floral d’une note boisée et vanillée relevée de cannelle, qui adoucit les notes terreuses du patchouli, du vétiver et de la mousse de chêne d’accents caramélisés – soupçon de chair dorée sous le frôlement du satin blanc. Une volute de quelque chose qui ressemble à de l’encens, mais qui pourrait être la note froide et médicinale de la cardamome mariée à la fumée des baumes, s’insinue entre les accords capiteux…
Le propriétaire des parfums Lubin, Gilles Thévenin, précise que la formule de Nuit de Longchamp, retrouvée dans les archives de la maison – mais hélas anonyme – a été modifiée par Lucien Ferrero et Henri Bergia d’Expressions Parfumées. Pour autant que je puisse en juger d’après mon flacon vintage assez abîmé, l’esprit de cette nouvelle version semble assez fidèle à l’originale : manifestement, la reformulation de ce chypre floral aldéhydée a été réalisée avec goût et soin.
L’ensemble, ravissant, a toute la grâce de stars de l’époque jusque dans leurs scènes de comédies les plus échevelées. D’ailleurs, Nuit de Longchamp parle précisément dans la tessiture des personnages de Constance Bennett, Myrna Loy ou Carole Lombard – jeunes femmes que le mariage n’empêche pas d’être chics, spirituelles et délicieusement séduisantes.Femme-femme mais pas dadame, et juste assez enjoué pour laisser deviner qu’on peut follement s’amuser en tenue de soirée – nuit aux courses ou courses de nuit ?
The house of Lubin has slowly but surely been undergoing a spectacular renaissance, after over two centuries of existence (it was founded in 1798) and a couple of decades in the limbo reserved to zombie brands. In fact, its owner Gilles Thévenin, rescued it just before the German company Mülhens (of 4711 fame) decided to close it down.
Fortunately, Mülhens, itself a 200 year-old company, had preserved Lubin’s two centuries of archives. Gilles Thévenin is thus in possession of most of the venerable French house’s formulas – and there are over 450. But he has no intention, he says, of becoming an “archaeological brand”. Whatever he chooses to re-issue must be “relevant today”: the re-formulations, produced in conformity with current regulations, and with the materials available today, don’t necessarily smell exactly like the originals, but they must, he states, “be created with the same sincerity and the same balance” as their models.
Lubin’s new owner describes himself as “obsessed with fragrance” from his earliest days, back when his mother came back from Paris shopping expeditions to Balenciaga and Courrèges with fresh supplies of Mitsouko. The first girls he followed in the street, he recounts, he followed “because of their perfume”. He dreamed of working for Guerlain: and he did (Jean-Paul Guerlain is still a close friend). It was when he moved on to Rochas that he first started considering taking over the house of Lubin: like Rochas, it belonged to the German Wella group via Mülhens. It took Thévenin several years to acquire what had by then become a zombie brand. He sold everything he owned to buy and re-launch it, and when he did, it was with a coup d’éclat: a brand new fragrance composed by his friend, the supremely talented Olivia Giacobetti, housed in a bottle designed by the legendary Serge Mansau. The spice-laden woody composition inspired by Gilles Thévenin’s reminiscences of traipsing around the China Sea while he was based in Java – Giacobetti, saying “don’t forget the pirates”, playfully added a rum note. Idole created quite a buzz in the fragrance world, not least because with it, Giacobetti seemed to have strayed from her trademark ethereal style in favor of a more robust approach.
So far, of the five fragrances produced since the rebirth of Lubin, three are re-launches (Eau Neuve, Nuit de Longchamp and L), and two new compositions (Idole and Vétiver). Thévenin’s desk is strewn with several atomizers containing mods for current projects: the next in line is the 1955 Gin Fizz, composed by Henri Giboulet (who went on to succeed Henri Alméras at Jean Patou), assisted by Jeannine Mongin, one of the founders of the Versailles Osmothèque, whose advice Thévenin sought out when he decided to re-issue the fragrance. The new Gin Fizz, an aldehydic, hesperidic chypre, will have the clean, Technicolor brightness that inspired Giboulet when he dedicated it to Grace Kelly. “But we’ve undressed it of its retro feel and dressed it up again”, explains Thévenin. It will come out next Spring.
Several other fragrances are under development: an utterly lovely oriental whose name and back-story Thévenin won’t disclose, new variations on the vétiver as well as two new chypres…
For Gilles Thévenin is a man who seems to love nothing more than a good chypre: they are the quintessence of perfume, he says. In fact, his two 2008 releases are both chypres: a floral, the 1934 Nuit de Longchamp, and a fruity, the 1974 L de Lubin. Though partially reformulated, both seem pretty close to the originals: clearly, a lot of work and thought has been put into making them feel authentic.
Which begs the question: is there such a thing as a successful reformulation, and how does one define it? Most perfume lovers find out, sooner or later, that their favorite classic has been tampered with, bastardized, somehow cheapened or unbalanced by some careless tweaking; reformulation has become the dirtiest word in perfumery, a subject of many forum threads and often justified paranoid sniffing…
By now, we all know the reasons for reformulations: cheapening the formula, replacing ingredients that are no longer available or affordable, applying the “safety principle” by conforming to regulations on allergenic or toxic materials, or just plain trying to make to fragrance more appealing to mainstream modern tastes.
In the case of Lubin, the first reason (making the formula cheaper) doesn’t apply: on the contrary, the whole point has been to bring quality back to a brand that had been slowly decaying. Reasons two and three couldn’t be helped: many bases are no longer manufactured and some raw materials (namely musks, citruses and oak moss) are either prohibited or regulated. Another reason for reformulating an old classic may be that because of the extensive use of bases, many ingredients were repeated several times (they were present in several bases): the formula can be comfortably shortened without affecting the scent itself.
However, there have been, by Gilles Thévenin’s own admission, some modifications brought to Nuit de Longchamp (and to the next re-launch, Gin Fizz) to give it a more modern feel. This was a purely marketing decision, though not a callous, uninformed one: Lucien Ferrero of Expressions Parfumées, the author of L de Lubin, worked on the new formula for at least a year, along with Henri Bergia.
In the next installment, we will examine the result…
Depuis 2005, la maison Lubin a entamé une lente mais spectaculaire renaissance, après plus de deux siècles d’existence (elle a été fondée en 1798) et une vingtaine d’années dans les limbes réservées aux marques zombies. D’ailleurs, lorsque son propriétaire actuel, Gilles Thévenin, a réussi à la racheter, elle était promise à une mort certaine : la société allemande qui en était alors propriétaire, Mülhens (qui fabrique la célèbre eau de Cologne 4711) avait tout bonnement décidé de la supprimer.
Heureusement, Mülhens, avec ses deux siècles d’existence, avait du respect, sinon pour la marque, du moins pour ses archives, qu’elle avait préservée. Gilles Thévenin est donc en possession d’une grande partie de formules de la vénérable maison française, qui a lancé plus de 450 senteurs. Mais il n’a aucune intention, déclare-t-il, de faire de Lubin une marque « archéologique ». Ce qu’il choisit de rééditer doit être « pertinent aujourd’hui » : les reformulations, produites en conformité avec les nouvelles réglementations et avec les matériaux disponibles aujourd’hui, n’ont peut-être pas exactement la même odeur que les formules originales, mais elles doivent « être créées avec la même sincérité et le même équilibre » que leurs modèles, affirme-t-il.
Le propriétaire de Lubin, qui vient de fêter ses cinquante ans cette année, se décrit comme un « obsédé du parfum » depuis sa plus tendre enfance : lorsque sa mère montait à Paris pour faire ses emplettes chez Balenciaga et Courrèges, elle ne manquait jamais de passer chez Guerlain, dont elle revenait avec ses flacons de Mitsouko. Les premières filles qu’il a suivies dans la rue, raconte-t-il, « c’est à cause de leur parfum ».
Gilles Thévenin rêvait de travailler chez Guerlain : il y a passé plusieurs années (ses liens d’amitié avec Jean-Paul Guerlain sont toujours aussi solides). C’est lorsqu’il est passé chez Rochas, qui appartenait au groupe allemand Wella, également propriétaire de Mülhens auquel appartenait Lubin, que Gilles Thévenin a conçu le projet de sauver ce fleuron de la parfumerie française. Il a mis plusieurs années à y parvenir, vendant tout son patrimoine pour racheter et relancer Lubin.
Son premier lancement fut un coup d’éclat : une toute nouvelle composition signée par son amie, la prodigieusement talentueuse Olivia Giacobetti, dans un flacon signé par le légendaire sculpteur Serge Mansau. Cette eau de parfum boisée chargée d’épices était inspirée des pérégrinations de Gilles Thévenin en mer de Chine, alors qu’il était basé à Java – « n’oublie pas les pirates », lui dit Giacobetti, qui ajouta un note de tête de rhum pour les évoquer… Idole fit événement lors de sa sortie en 2005, notamment parce que Giacobetti semblait avoir abandonné la transparence de son style pour s’aventurer dans des tonalités olfactives plus sombres et plus saturées.
À ce jour, des cinq parfums lancés depuis la renaissance de Lubin, trois sont des rééditions (Eau Neuve, Nuit de Longchamp et L), et deux de nouvelles compositions reprenant des noms anciens (Idole et Vétiver). Le bureau de Thévenin est jonché de vaporisateurs contenant les essais de projets en cours, dont ceux du prochain lancement, Gin Fizz (1955), composé par Henri Giboulet (qui succéderait par la suite à Henri Alméras chez Jean Patou), assisté de Jeannine Mongin, l’une des fondatrices de l’Osmothèque, qui a conseillé Thévenin. Le nouveau Gin Fizz, un chypre aldéhydé hespéridé, aura la luminosité en Technicolor qui avait inspiré Giboulet lorsqu’il l’avait dédié à Grace Kelly. « Mais nous l’avons déshabillé de son côté rétro et nous l’avons rhabillé », explique Thévenin. Gin Fizz sortira au printemps prochain.
Plusieurs autres compositions sont en cours de développement: un oriental d’une beauté saisissante sur lequel Gilles Thévenin ne souhaite pas encore apporter de précisions, une nouvelle variation sur le vétiver et deux chypres inédits.
Car Thévenin est un amoureux du chypre, l’archétype même du parfum, selon lui. D’ailleurs, ses deux lancements de 2008 sont des chypres : un floral aldéhydé, Nuit de Longchamp (1934) et un fruit, L de Lubin (1974). Bien qu’ils soient en partie reformulés, ils semblent l’un et l’autre très proches des originaux : manifestement, ces reformulations ont été réalisées avec un grand soin.
Ce qui amène à poser les questions suivantes : qu’est-ce qu’une reformulation réussie, et comment la définir ? La plupart des amoureux de parfum ont tôt ou tard constaté qu’un classique adoré avait été modifié, appauvri, déséquilibré par des modifications bâclées ; « reformulation » est devenu un gros mot en parfumerie, et l’objet d’une paranoïa souvent justifiée.
Nous connaissons tous désormais les raisons de ces reformulations : économies de bouts de chandelle (on passe à des matériaux moins onéreux) ; remplacement d’ingrédients devenus inabordables ou introuvables ; application du « principe de précaution » en se conformant aux réglementations de plus en plus strictes sur les matériaux potentiellement allergènes, voire toxiques ; volonté de se conformer aux goûts du marché.
Dans le cas de Lubin, la première raison (économiser sur la formule) ne s’applique pas, puisqu’au contraire, il s’agit de refaire remonter en gamme la maison. Les deuxièmes et troisièmes raisons sont inévitables : plusieurs bases utilisées dans les formules originales ne sont plus fabriquées et certains de matériaux (les muscs, les hespéridés, la mousse de chêne) sont désormais soit interdits, soit réglementés. On peut aussi choisir de simplifier la formule d’un classique lorsque les bases de la formule originale, elles-mêmes de mini-parfums, comportent entre elles des redondances (le même ingrédient entrant dans plusieurs bases) : le raccourcissement de la formule n’affecte pas l’odeur.
Toutefois, Gilles Thévenin est le premier à avouer que certaines modifications apportées à Nuit de Longchamp (et au prochain lancement, Gin Fizz) l’ont été pour moderniser le parfum. Il s’agit donc d’une décision de marketing, bien qu’elle n’ait pas été prise à la légère, ni appliquée à tort et à travers. Lucien Ferrero d’Expressions Parfumées, auteur du L de Lubin, a travaillé de longs mois sur la formule, avec son collègue Henri Bergia.
Dans le prochain épisode, nous examinerons les résultats...
« De cette silhouette [celle de Mae West] surgit aussi celle d’un flacon de parfum en forme de femme, ce célèbre flacon de parfum Schiaparelli qui devint pratiquement la signature de la maison. Eleonor Fini le modela pour moi et le parfum mit plus d’un an à être prêt. Il me restait à lui trouver un nom et à choisir la couleur dans laquelle il devrait être présenté. Le nom devait commencer par un “S”, cela étant l’une de mes superstitions.
Trouver le nom d’un parfum est un problème très difficile car chaque mot du dictionnaire semble avoir été déposé. La couleur m’apparut en un éclair. Lumineuse, impossible, impudente, vivante, comme toute la lumière et les oiseaux et les poissons du monde mis ensemble, une couleur de Chine et du Pérou mais pas de l’Occident – une couleur choquante, pure et non diluée. Je baptisai donc le parfum “Shocking” ».
Il l’était. Lorsqu’Elsa Schiaparelli lança son premier parfum en 1937, la mode venait de se détourner des lignes sinueuses aux bustes fins des années 1930 pour adopter une silhouette plus épaulée, à la taille sanglée. « Cette artiste italienne qui fait des robes », comme la surnommait ironiquement Gabrielle Chanel, avait introduit le surréalisme en haute couture, en collaborant avec Salvador Dali.
Le rose shocking (que certains appelaient, dit la couturière, un « rose nègre ») de l’emballage du nouveau parfum exprimait l’indécente intensité du désir chanté par ses amis surréalistes. Le parfum lui-même, composé par les laboratoires Roure sous la direction de Jean Carles (qui cependant ne l’a pas signé) était aussi ouvertement indécent que le rose éponyme. D’après l’expert en flacon de parfums Jean-Marie Martin-Hattemberg (cité par Richard Stamelman dans son Perfume: Joy, Obsession, Scandal, Sin), il s’agirait du « premier parfum sexuel ».
Il l’est.
Imaginez une Parisienne ravissante qui vient de passer la nuit dans les bras de son amant. Il est trop tard pour qu’elle rentre chez elle se changer, trop tard même pour qu’elle prenne une douche. Elle s’éclabousse hâtivement d’une eau de toilette à la rose et au muguet ; elle en asperge même sa petite culotte en soie.
Quand elle rentre enfin chez elle ce soir-là et retire son slip… C’est l’odeur de Shocking.
Car, oui, Shocking sent le gousset, ce petit triangle d’étoffe cousu à l’entrejambe… Cette combinaison d’ambre gris, de miel, de civette, de musc et de santal est sans doute l’évocation la plus juste du bouquet féminin jamais composée en parfumerie classique, à peine voilée de la feuille de vigne d’un cœur florale de rose, de gardénia et de muguet. Dans sa version vintage, Shocking est d’une ténacité époustouflante – il déploie encore ses charmes après un mois sur une touche. À la chaleur de la peau, ses effluves animaux se dégagent de la goutte la plus infime. On peut à peine imaginer les remugles s’élevant des salons de Schiaparelli, place Vendôme, après le lancement de Shocking : dans ses mémoires, intitulés Shocking Life, la couturière raconte que le peintre et décorateur de théâtre Christian Bérard, dit Bébé, « mettait du parfum sur sa barbe jusqu’à ce qu’il s’écoule sur sa chemise déchirée et sur le petit chien qu’il portait dans ses bras », et que « Marie-Louise Bousquet, la spirituelle hôtesse de l’un des derniers salons parisiens, relevait ses jupes pour en tremper ses jupons. »
Relancé dans les années 1970 dans son flacon en forme de buste couture, Shocking n’était plus depuis longtemps que l’ombre de lui-même. Le « professeur de parfum » Roja Dove, a récemment fait restaurer ce classique (ainsi qu’un autre jus de Schiap, le célèbre Zut), qu’il propose à la vente dans une édition limitée et numéroté en cristal Baccarat, dans sa boutique de Haute Parfumerie, au dernier étage du grand magasin londonien Harrods. Je n’ai pas senti cette précieuse réédition, mais je tiens comme à la prunelle de mes yeux aux deux flacons d’extrait vintage que j’ai trouvés sur eBay (les bouteilles rectangulaires restent encore d’un prix accessible, contrairement aux présentations en forme de buste). Certains soirs, je ne saurais me contenter d’autre chose que de Shocking – quant aux accords que je choisis d’y ajouter, c’est mon affaire…
I am a writer and translator based in Ottawa, as well as the perfume editor for Citizen K and a writer for NEZ, the olfactive magazine. My book The Perfume Lover, A Personal History of Scent is published by Harper Collins (UK), St. Martin's Press (USA) and Penguin (Canada). The perfume linked to the book,Séville à l'aube, was composed by Bertrand Duchaufour for L'Artisan Parfumeur.
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