dimanche 10 octobre 2010

Iris Ukiyoé de Jean-Claude Ellena pour Hermès : Fleur humide




Jean-Claude Ellena compare ses compositions à des haïkus. Il a aussi avoué à l’occasion qu’il rêverait de rendre en parfum l’odeur de l’eau. Il est également un fervent admirateur des estampes japonaises, et particulièrement des maîtres de l’Ukiyo-é, Hiroshige et Hokusai (dont vous avez forcément vu au moins l’une des œuvres, celle qui représente des vagues…). Que “Ukiyo-é” signifie “images du monde flottant” (qu’on traduit parfois par “éphémère”) s’accorde à l’attirance de Jean-Claude Ellena pour les notes aqueuses (et non aquatiques); que ces images soient souvent celles de paysages ou de jardins en font des thèmes tous trouvés pour un parfumeur, et tout particulièrement pour Jean-Claude Ellena dont le style fait écho à leur stylisation poétique. Ce n’était donc qu’une question de temps avant qu’un parfum d’inspiration japonaise s’ajoute à la collection : c’est fait avec Iris Ukiyoé, 9ème de la série.* (voir ci-dessous).

Jean-Claude Ellena avait déjà travaillé l’iris dans Bois d’Iris (The Different Company) et Paprika Brasil ainsi que dans ce que je considère comme un essai sur les accords floraux aqueux bien qu’il ait été conçu comme un cuir, Kelly Calèche. Mais Iris Ukiyoé ne joue pas sur la note iris rhizome : c’est un travail sur la fleur, dont les différentes variétés offrent une palette étonnante de fragrances. Florales : rose, fleur d’oranger, muguet, lilas, voire tiaré… Fruitées : pêche, prune, mandarine, citron. Gourmandes : vanille, chocolat, anis… Jean-Claude Ellena confie qu’il a souhaité évoquer leur dénominateur commun :
« Effets presque froids de la rose, délicate volupté de la fleur d’oranger, humidité végétale des pétales ponctuée par un zeste de mandarine… Pour exprimer cette ambiguïté florale entre présence et fragilité, j’ai travaillé par petites touches impressionnistes. »

Les notes de tête hespéridées – en plus de la mandarine, on devine de la bergamote – donnent à la première envolée d’Iris Ukiyoé des effets scintillants et poivrés, comme si Jean-Claude Ellena avait prélevé une mince pellicule du Parfum de Thérèse composé par Edmond Roudnitska, qui fut son mentor, ou bien de son propre Angéliques sous la Pluie. Kelly Calèche, en particulier dans la version eau de parfum où la note pamplemousse est la plus prononcée, jouait sur des effets similaires : le pétillement du citrus évoque la surface d’un étang criblée d’une bruine aux gouttes fines comme des épingles.
Iris Ukiyoé suscite de façon saisissante, presque tactile, la froideur soyeuse des pétales d’iris – non pas ces petites fleurs dressées sur leurs ergots qu’on vend chez les fleuristes, mais les grands iris héraldiques qui poussent sur les berges, dont la chair cuivrée, abricot ou violette saupoudrée de cristal pulvérisé semble ployer sous le poids de l’eau dont elle est gorgée.
Cet effet de moiteur est suscité par un matériau de type muguet – bien avant les notes « aquatiques », le muguet servait à rendre une fraîcheur végétale – qui tend vers les facettes fraiches et vertes de certains lys, sensation renforcée par une note vanille également fraiche et verte comme celle de Vanille Galante. Mais ici, tout se passe comme si Jean-Claude Ellena avait fait pivoter cette vanille sur son axe, de la zone tropicale à celle qui va de la rose au vert en passant par le muguet dans la carte olfactive. Il m’arrive d’y percevoir l’odeur du concombre qu’on pèle ; parfois, c’est un effet lacté proche de celui d’Eau Claire des Merveilles qui ressort. J'y sens même parfois la trace de chocolat qu’on retrouve dans certains iris.
Ces accords floraux frais sont sucrés et très diffusifs malgré leur délicatesse : relayés par une base boisée fine, Iris Ukioyé prend de l’ampleur au fil de son développement. Il est aussi d’une grande ténacité – plusieurs jours sur étoffe.
Iris Ukiyoé interprète son thème à plusieurs niveaux, en parcourant les diverses teintes d’aquarelle des parfums d’iris d’une façon qui suscite l’idée même d’irisation. Est-ce une fleur d’oranger, une rose, un muguet, de la vanille… ou une chimère ?


* Ajouté le 12 octobre: En écrivant ce texte, j'ai oublié qu'il existait déjà une senteur "japonaise" dans les Hermessence, Rose Ikebana, inspirée par l'art japonais de l'arrangement floral. On devrait donc plutôt dire que ce n'était qu'une question de temps avant qu'un parfum modelé sur les images du monde flottant apparaisse dans la collection... Autant pour moi !


Illustration:  The White Iris (Tina Modotti) d'Edward Weston (1921). L'estampe japonaise aurait été un choix trop évident...


4 commentaires:

  1. Merci pour cette belle évocation. L'iris n'est pas normalement une de mes notes fétiches (encore que j'ai un faible pour l'Hiris d'Hermès), mais ma curiosité est piquée. Et il y a le nom... Pour moi, le parfum du Japon est incarné par une des eaux de Iunx (je ne suis plus tout à fait sûr de son nom : peut-être l'eau de Sento). Bref, encore un parfum à tester.
    Henri

    RépondreSupprimer
  2. Henri, ceci n'est pas un iris rhizome, donc rien dans le parfum n'évoque des notes violette, poudre, carotte, métallique, cuir...
    Plutôt qu'une évocation du Japon lui-même, comme l'Eau de Sento qui stylise l'idée de bains japonais, il s'agit ici d'une *manière* japonaise de représenter la fleur: une affinité de style et non un carnet de voyage olfactif.

    RépondreSupprimer
  3. Hummmmm... Ca donne envie ! J'ai des envies de femme enceinte en ce moment autour de l'iris ! C'est incroyable, je me dope tous les matins à l'iris pour aller en cours (merci Monsieur Lutens, en passant).

    Puis j'avoue avoir eu une frustration dans mon enfance : l'odeur des iris du jardin de mon père. Où était - elle ? J'arrivai qu'à saisir une subtile note verte et veloutée.

    La vision de l'iris aquatique et équilibré par Ellena, moi ça m'intrigue énormément !!

    Vive l'odorat !

    Jicky

    RépondreSupprimer
  4. Jocly, sans doute certaines variétés d'iris ne sont-elles pas très odorantes, mais plusieurs empruntent au reste du règne végétal toute une palette... En tous cas, comme je l'écrivais ci-dessus, il ne s'agit pas du tout ici de la note iris!

    RépondreSupprimer