vendredi 29 octobre 2010

Mon Top 10 des Parfums de l'automne 2010



Je triche.
Non, en fait, si je trichais ce serait pour gagner...
Quand on teste tant de nouvelles choses que lorsqu’on s’offre une journée de repos, on n’a aucune idée de ce que l’on veut porter rien que pour soi, on ne se parfume pas ou l’on retourne aux tests. D'ailleurs, aussi longtemps qu’on n’a pas publié son avis, on peut continuer à en profiter pour le plaisir: quand les pensées se seront traduites par des mots, on se sentira forcée de passer au prochain flacon. Alors parfois, on se tait aussi longtemps qu’on peut.

C’est comme si l'on faisait perpétuellement de nouvelles rencontres qui feraient perdre de vue ses anciennes amours. Et quand on a perdu de vue un parfum que l’on a porté assez régulièrement pendant un temps, ne serait-ce que pour l’évaluer, il s’associe à cette période donnée et, partant, divorce du temps présent. 

Andy Warhol portait un parfum pendant un mois, je crois, avant de l’étiqueter et de le ranger: il le ressortait lorsqu’il voulait se rappeler ce mois en particulier, mais ne reportait plus jamais ce parfum. Je ne suis pas aussi méthodique : mes memoires parfumées, depuis quelques années, sont parfois incohérentes, liées comme par hasard à certains moments de ma vie. D’où le fait que la sélection ci-dessous, faite de parfums réellement portés cet automne, ne propose que des produits très récents à deux exceptions près – trois ne sont même pas encore sortis.

Lesquels des souvenirs associés sont authentiques, lesquels sont inventés? Je vous l’ai dit, je triche. Mais il n'y a que mes parfums que je trompe, alors que pourtant je les aime… 
Que voulez-vous? Je suis une Casanova olfactive.


 Midnight in Paris de Van Cleef and Arpels
Quoi: Le lancement grand public le plus chic de la saison. Olivier Polge et Domitille Bertier ont détourné la note thé noir et styrax de Bulgari Black pour la plonger dans les baumes afin de dompter sa hargne, et l’ont greffée sur la base boisée de Dior Homme. Quand un remix est aussi impeccable, il devient un parfum à part entière.
Quand: En traversant la Seine dans la bruine au douzième coup de l’horloge, au moment où la tour Eiffel met son manteau en strass pour aller au Palace.

Minuit Noir de Lolita Lempicka
Quoi : L’édition limitée de la saison reprend le succès du Caprice Réglisse de 2007. D’après Annick Menardo, Minuit Noir, “c’est l’essence du truc”: plus de jasmin, plus d’iris et surtout, plus de réglisse, une note quintessentiellement Menardo par ses aspects brûlés. “Du Zan en barre”, selon son auteur.
Quand: Dans un état de colère si sombre qu’elle brûle la bouche, si consistante qu’elle me nourrit. Le bonbon au réglisse de la Fée Trash est une potion régénérante.

Quoi : Le patchouli fait virer le cacao à la bête. Après le frôlement, la morsure.
Quand : Au lieu d’un dessert. Il n’y a qu’à dézipper la jupe en cuir chocolat.

Quoi : La réponse du 21ème siècle à l’Eau Sauvage. L’hybride hespéridé-fougère-chypre-cuir de Mathilde Laurent franchit d’un bond la barrière entre les sexes.
Quand : En marchant d’un pas vif entre la station Miromesnil et le parc Monceau pour un rendez-vous par un matin d’automne frisquet. Ces toutes dernières minutes avant le spectacle appartiennent à mon corps en mouvement, à ma vélocité, à l’air qui me fouette les cheveux.

Dzing! de L’Artisan Parfumeur
Quoi : Une bouffée de crottin, un cuir rêche, du carton mouillé, un musc félin, c’est le parfum comme narration, même lorsqu’on ne connaît pas l’histoire mise en odeurs par Olivia Giacobetti.
Quand : Monsieur hume d’un air méfiant. “Ce parfum que tu portes… je ne sais pas. Il a quelque chose d’antiseptique.” Je l’attire vers moi pour qu’il sente mon cou. Mon sillage: crésolé, donc évocateur pour lui de labos et d’hôpitaux. Ma peau: musc et foin. “Tu ne devrais jamais porter ceci quand tu es de l’autre côté de la table”, me dit Monsieur. “Seulement quand tu es tout près.”

Quoi : Si les amoureux du parfum prouvent leur courage par l’intensité des notes animals qu’ils supportent, ceci pourrait les mettre à rude épreuve: cumin humain, civette bestiale, cuir fétichic. Je l’ai senti dans le sillage de deux garcons. Ça marque le territoire.
Quand : L’artiste Jean-Luc Verna, peau brodée de tatouages, cloutée de piercings, chante “Trust in Me” du Livre de la Jungle. Il retire sa chemise en néoprène. Une bouffée de sueur fraîche teintée des relents caoutchoutés du néoprène, portée par une vague d’hormones mâles, alors que sa voix de basse vibre en moi jusqu’à la pointe de mes talons aiguille zèbre.

Les Ailes du Désir de Frapin
Quoi : Une gorgée brûlante de cognac avant de plonger directement dans le fût – ce boisé cuiré détrempé d’alcool dégage des parfums de fleurs épicées, ylang et oeillet. Le premier Bertrand Duchaufour pour Frapin sortira en novembre. J’en reparlerai le moment venu.
Quand : Le thermomètre vient de plonger sous zéro dans la petite maison d’amis du jardin dans le pays de Colette, en Puisaye, mais il y a une couette, du rhum, et au milieu de la nuit sa main se tendra vers moi, tendre et impersonnelle, dans son sommeil.

Quoi : Cuir de Russie, prune et violette frottés d’ambre ciré.
Quand : Je l’ai porté pour Lui, mais Il n’a rien remarqué. J’étais venue voir le Mage, j’avais préparé mes questions, mais il m’a prise de vitesse par les siennes, et puis nous avons oublié les questions, avec le sentiment que nous nous connaissions depuis toujours. Peut importe que ça ait été vrai ou pas. Je l’ai cru, assez pour en jouir.

Quoi : L’iris? C’est du vrai. Le loukoum à la pistache et à la rose? Une illusion olfactive portée par un gant de cuir. L’équilibre parfait de l’acide et du sucré, du rêche et du doux, du yin et du yang.
Quoi : Le chef pâtissier, qui est le neveu de la mariée bien qu’il soit plus âgé qu’elle, se penche vers moi, mais il mate la fille d’en face, qui degage le puissant sillage ambré du nouveau Mitziah de Dior. Heureusement. Le pâtissier par-dessus le loukoum, ça m’aurait semblé superfétatoire.

Habanita de Molinard
Quoi : Un flacon d’extrait de 1948, âge attesté par la page financière du journal Le Monde enroulée dans la boîte. Muscs nitrés et musc ambrette donnent à l’accord vétiver, vanille et coumarine une texture de poil de lionne, sous laquelle la base tabac, cuir (isobutyl quinoléine) et mousse de chêne roule ses muscles. Voilà ce que les garçonnes, les vraies, préféraient à Shalimar.
Quand : Sortie en fourrure, la première de la saison, pour réchauffer une robe-chemise en velours grenat. Appuyée contre le mur devant la boîte à fumer avec les garçons, un peu ivre. À qui appartiennent les doigts qui courent dans les poils de mon col? "Je m’en fous pas mal", comme dirait l'autre môme.



Pour d'autres top 10 (en anglais), cliquez sur...

Image de Deborah Turbeville

14 commentaires:

  1. J'ai ressenti récemment Habanita dans une petite parfumerie et je crois que je l'apprécie bien plus que je ne le faisais il y a 20 ans...
    As-tu comparé ton extrait 1948 à l'EDT que tu possèdes (il est vrai elle aussi vintage 80's) ?

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  2. Thierry, oui, j'ai comparé mes deux versions. Evidemment celle de 1948 est plus concentrée et plus riche en muscs interdits... Mais l'edt 80s est magnifique. Une note tabac incroyable.

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  3. Superbe top 10. J'aime aussi beaucoup la première partie de votre texte. Sans doute un peu parce que cela met des mots sur mon addiction aux parfums. Je serais une Casanova [au petit pied] aussi... A trop embrasser, mal étreint. On aime tout, on n'aime rien. Un amour chasse l'autre et, pour moi, même les souvenirs olfactifs s'effacent.
    Si je devais n'emporter qu'un flacon dans une île déserte, lequel ? Malheureusement si je devais choisir face à ce dilemme entre tous mes amours passés et présents et quelques nouveautés inconnues, c'est vers une de celles-ci que je pencherais. C'est dire ma bêtise...
    alizarine.

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  4. Quelle belle liste! Tu sais comment brosser tes lecteurs dans le sens du poil, je crois que tu vas provoquer la jalousie de plus d'une, avec ces petites histoires: Uella pour ta rencontre avec le grand S qui nous fais tous fantasmer, Soph' pour ton flacon de Habanita vintage, moi pour... je vais pas commencer la liste trop longue de tout ce qui me fait rêver dans ce que tu as écrit (j'ai sûrement trop d'imagination) mais plutôt me limiter à ce "minuit à Paris" (est-ce que ça ne sonne pas dix millions de fois mieux en français? Quelle idée ce nom qui en plus évoque le flanker de poison?) que j'ai hâte de découvrir depuis des mois que je vous entend tous chanter ses louanges! Bonne nouvelle pour le maistream, et surtout pour cette marque qui m'a trop déçue avec Féerie!

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  5. Alizarine, en tous cas, l'infidélité olfactive n'est risquée que pour le compte bancaire, c'est déjà ça!

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  6. Clochette, le but était de faire un peu rêver, pas de réveiller la jalousie! Midnight in Paris - qui tire son nom d'une collection VC&A -- est en effet excellent et mon prochain passage dans un aéroport pourrait bien se solder par l'achat d'un flacon.

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  7. Bonsoir Denyse, un idée sur le sillage de VCA ?....J'attendais avec impatience le Portrait of Lady (pas dans le top 10 alors ?) pour son sillage qui semble exceptionnel, mais là, ma curiosité est (à nouveau piquée). je suppose qu'ils sont très différents, de toutes façons, surtout sur le prix...
    Concernant Habanita, je ne le reconnais plus...mais je n'ai pas encore déterminé pourquoi.
    Enfin, pour vous tenir au courant de ma modeste aventure avec la tubéreuse, expérience pas concluante avec Carnal Flower (après Tubéreuse Criminelle et Vamp à NY - ne parlons même pas de Noix de Tubéreuse). J'attends donc Nuit de Tubéreuse (mais l'Artisan a fermé à Nice). Plus qu'une essai, donc, et s'il est négatif, j'en déduirai que la tubéreuse ne se livre qu'à l'élite ;)
    Lala

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  8. Lala, le sillage de Midnight in Paris est en fin de compte assez immense, mine de rien. Mais pas du tout entêtant, très fin.
    En effet, absolument rien à voir avec Portrait of a Lady qui est d'une force rare. Pourquoi ne figure-t-il pas au top 10 de la saison? Parce qu'en réalité, bien que je puisse en apprécier la beauté, je ne porte pas de parfums à la rose. Ça n'est pas mon truc, tout bêtement.
    Quant à la tubéreuse... Nuit de Tubéreuse déplait souvent aux amateurs de la note qui ne l'y reconnaissent pas, donc qui sait?

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  9. Oui, mais ce que je voudrais, c'est pouvoir apprécier LA tubéreuse...
    J'ai testé Midnight in Paris, sur le moment, il m'a déplu, puis là, quatre heures après, je le trouve plus subtil. Mais, bien que ce soit très chic de porter des masculins, je ne m'y fais pas, encore que j'aimais beaucoup Bulgari Black. C'est peut-être le fait qu'il hésite entre deux familles...je vais attendre patiemment Portrait of a Lady, la rose ne me rebute pas forcément. Je n'avais pas compris cependant qu'elle était si présente, associée, entre autres, à la cannelle. Cela me fait penser à "Jasmin de nuit", un de ceux que je préfère (non: sans doute celui que je préfère, bien au-delà d'"A la nuit"), où on retrouve la cannelle également. D'une manière plus générale, il est parfois amusant de constater que les chroniques-parfum suscitent des fantasmes, par le pouvoir de l'évocation: on s'imagine un univers, on le sent - réellement - comme on se représente réellement un paysage quand on lit un livre. Et finalement, on est souvent confronté à une autre réalité quand on le découvre au sens matériel. Mais l'odorat lui-même n'est que perception. Où est la réalité ? Y en a-t-il une seulement ?
    Lala

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  10. Lala, questions métaphysiques que celles-là! Evidemment, écrire "rose" ne peut que susciter la représentation que le lecteur a de la rose, et il y en a plusieurs. Lorsque c'est de toute une série de notes ou d'accords qu'il s'agit, forcément ils seront assemblés dans l'imagination différemment selon l'expérience de chacun. La rose bulgare de Portrait of a Lady et celle de Bosphore ne sont pas traitées de la même façon, elles racontent des histoires très différentes, par exemple.

    C'est d'ailleurs tout le travail des parfumeurs entre eux, avec les directeurs artistiques et autres chefs de projets, que de trouver un langage commun.

    Mais inversement, sentir un parfum en même temps qu'on en fait la lecture -- qu'il s'agisse d'un texte ou d'un dialogue -- fait souvent surgir comme par magie les notes ou accords qu'on ne percevait pas l'instant d'avant. Ecrire sur le parfum, c'est essayer de pointer du doigt ces effets avec autant de précision que possible -- il y a bien une réalité des perceptions, mais ce sont les associations qui varient, et c'est pourquoi, en quelque sorte, tout parfum et un parfum sur mesure...

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  11. Je m'étais préparé à un automne tranquille, j'avais ressorti les "vieux" amours Féminité du bois et L'Air du désert Marocain, la rentrée ne m'avait pas couté trop chère: je n'ai pas succombé au Dandy et j'attends aussi un prochain passage en duty free pour que Midnight in Paris rejoigne son grand frère Black. De temps en temps aussi et un peu honteusement je me parfume en cachette dans les Sephonnaud rayon minette avec Minuit Noir.. pour un peu j'en glousserai presque avec ce jus de réglisse.
    Mais voilà, bam, crochet du droit, uppercut au plexus: Leather Oud. Ah la la. Il y a des parfums qui vous vont comme un gant (de cuir) celui là est de ceux là pour moi, nous faisons corps et il me rends... déraisonnable.

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  12. Anatole, je vois qu'on est raccord! Je n'ai senti le Leather Oud qu'hier (trop de boulot avec le livre et le cours de Londres pour trainer dans les magasins) et en effet il est très beau. C'est sans doute mon préféré de la collection. Mitzah est excellent mais au bout d'un moment, comme tous les ambres, il me porte sur l'estomac - ce qui n'engage que moi et mes goûts personnels...
    Cependant, cette collection m'énerve à plus d'un titre, car l'idée en est piquée directement aux Exclusifs de Chanel, depuis les noms de parfums inspirés de la bio de Dior jusqu'aux flacons avec leurs bouchons magnétiques. Sans compter les "passages obligés", Vétiver, eau de Cologne...

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  13. Magnifique parcours automnal, poétique et onirique... (je me ferais bien petite souris pour distinguer l'allusion de la fable ;))

    Ce que tu dis de Warhol m'intrigue. Je comprends tout à fait le concept, et il y a beaucoup trop de parfums que j'ai jadis adorés mais qui ont été marqués au fer rouge du moment, et les reporter aujourd'hui serait impossible, aussi anachronique que d'essayer de remettre cette jupette rose qu'on portait avec ravissement à 8 ans...

    Quelque part, ces essais frénétiques empêchent une trop longue association, et permettent de reporter le parfum plus tard, pratiquement vierge de connotations. C'est pas plus mal.

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  14. Sixtine, Warhol était totalement "no love", alors renoncer à jamais à porter un beau parfum ne lui faisait apparemment pas peur...
    Cela dit, même les parfums qu'on porte brièvement peuvent nous marquer fortement: il suffit qu'ils soient, plus ou moins par hasard, associés à une émotion vive, une ambiance... C'est l'affaire d'un instant!

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