vendredi 1 mai 2009

Ce qui cloche au printemps


Un gros bouquet de muguet trône sur ma cheminée depuis hier, mais lorsque je me suis assise ce matin devant mon ordinateur avec mon premier café, j’avais oublié sa présence, et j’ai passé deux minutes à chercher le tube d’échantillon qui, en se renversant, avait répandu son odeur dans la pièce. La plupart des muguets vendus dans la rue le 1er mai livrent leur parfum si chichement qu’on doit pratiquement s’introduire une clochette dans la narine pour le déceler, mais visiblement, ce bouquet-là est de qualité : de près, ce sont les facettes roses et vertes du parfum qu’on perçoit ; l’odeur savonneuse/fleurs d’oranger/indolée ne se déploie qu’à distance.

Le muguet est une fleur particulièrement problématique en parfumerie. Premièrement, comme tout un chacun le sait aujourd’hui, parce qu’il ne cède pas son essence, qui doit donc être reconstituée. Deuxièmement, parce que la reconstitution en question a été réalisée, une fois pour toutes[1], par Edmond Roudnitska dans Diorissimo, dans une « arabesque autour du muguet » plutôt qu’une représentation littérale. Troisièmement, parce que les matériaux aromatiques utilisés pour évoquer le muguet ont été tellement utilisés en parfumerie fonctionnelle (notamment dans ce petit chef d’œuvre qu’est Ajax Fêtes des Fleurs/Fleurs blanches) que l’odeur du muguet synthétique évoque aussitôt, par association, la bombe perchée sur le trône en porcelaine.

Cependant, en l’honneur du 1er Mai, j’ai tiré quelques muguets de ma bibliothèque de parfums :

Le Muguet de Guerlain, déniché en atomiseur d’usine dans une brocante (c’est donc bien celui qui est vendu une fois par année le 1er mai, mais pas celui de cette année) est une représentation assez littérale qui penche dangereusement vers le parfum d’ambiance : propre, sucré, et dépourvu d’indoles. Joli, mais bof.

Le Début des Parfums DelRae est forcément plus complexe, ne serait-ce que parce que son auteur, Michel Roudnitska, a dû se trouver à la fois encombré et inspiré par le chef d’œuvre de son père. Mais comme dans toutes ses compositions pour DelRae, Début porte la patte de Michel : un style saturé, de haute intensité, assez éloigné de l’esthétique de plus en plus dépouillé de son père. Début exhale une odeur verte, sucrée, un peu fruitée de sève durant l’essentiel de son parcours : en ouverture, ce vert est presque fluorescent. La fleur de tilleul, avec ses notes vertes/fleurs d’oranger, y joue un rôle aussi central que le muguet (mais personne n’a encore capté la sensation enivrante qu’on éprouve à parcourir une avenue plantée de tilleuls en fleur). Le fond de musc et de santal renforce la teinte animale du bouquet et lui donne plus de mâche que la plupart des parfums au muguet.

Avec un nom pareil, Un Cœur en Mai de Patricia de Nicolaï pour les Parfums MDCI devait forcément être un hommage à la fleur de mai par excellence. Son accord de pivoine-rose-muguet largement rafraîchi d’hédione évoque en effet le côté savonneux de mon bouquet. Le parfum a tout le charme d’une savonnette à l’ancienne d’excellente qualité, ce qui étonne un peu de la part de Patricia de Nicolaï qui, même si elle travaille dans un registre de parfumerie assez classique, déborde en général vers des accords plus enjoués (Luca Turin, un fan de la première heure, le fait d’ailleurs remarquer dans la dernière newsletter de son Guide). Le Weekend à Deauville, nouvelle édition limitée rose-mimosa-muguet des Parfums de Nicolaï, dégage d’ailleurs la même impression un peu désuète. Un peu plus vert et mousseux qu’Un Cœur en Mai, il ferait sans doute un merveilleux parfum d’ambiance, mais il me semble manquer de l’inspiration qui fait du Temps d’une Fête, par exemple, un petit chef d’œuvre d’ode au printemps.

En fin de compte, je pense célébrer la fin de ce 1er mai (un pique-nique sous la tour Eiffel donné en l’honneur de l’exposition La Force de l’Art au Grand Palais) en m’arrosant de tubéreuse… Malgré les bouffées animales découvertes au fond des clochettes blanches par le grand Edmond, le muguet est un parfum un peu trop bien élevé pour moi.


Image: Sandro Boticelli, Allégorie du Printemps, détail.


[1] Encore que : la version vendue actuellement semble souffrir d’abord de la radinerie de LVMH, ensuite des restrictions sur les matériaux allergènes, notamment l’hydroxycitronellal qui représentait une part très importante de sa formule, de sorte que le Diorissimo d’aujourd’hui n’est plus qu’une photocopie de l’ancien. Lequel, hélas, se conserve assez mal : toutes mes versions vintage sont diversement altérées dans leurs notes de tête.

9 commentaires:

  1. Il ne reste donc plus aux autorités politiques, morales (euh non c'est une mauvaise idée) ou artistiques qu'à inventer un jour dont l'emblème serait la tubéreuse...
    A vous les Fracas, Tubéreuse Criminelle et autres Carnal Flower !!!

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  2. Thierry, je proposerais bien le 24 juin, nuit de la saint Jean... mais c'est la fête nationale du Québec et le lys conviendrait mieux. Ou alors le 21 juin, solstice d'été? La fleur la plus nocturne pour la nuit la plus courte... Dieu sait à quoi ressembleraient les célébrations (ou plutôt, laissons Dieu en dehors de tout ça -- Aphrodite conviendrait mieux!).

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  3. J'ai finalement voulu sentir le nouveau Diorissimo hier mais très brièvement car chaque fois que je mettais mon nez sur le papier, j'étais prise de quintes de toux irrépressibles (psychologiques?) alors que je n'ai jamais eu aucun problème avec l'ancien Diorissimo, comme quoi....

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  4. Senga, j'espère tout de même que c'est psychologique - pas la peine d'apporter de l'eau au moulin des anti-parfums! En ce moment, j'ai souvent d'horribles quintes après avoir aspiré les petites mousses lancées par les arbres: j'imagine que quand on aspire pour sentir un parfum, on peut en inhaler,

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  5. Oui oui c'est sans doute psychologique et je n'ai pas attendu avant de mettre mon nez sur le papier. Je n'ai jamais eu de problème avec les parfums ( je vaporise allègrement tous les jours) mais j'en parlai pour montrer la relativité de tout ça: l'ancien Diorissimo considéré comme allergisant, pas de problème en tout cas pour moi, on le reformule pour le rendre soit disant moins allergisant et surtout tellement moins délicat ...La psychlogie pointe son nez, c'est là que je tousse!

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  6. Senga, ah la la, qu'est-ce que je ne donnerais pas pour sentir Diorissimo dans sa formule originale, mais neuf! (on peut toujours rêver)...

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  7. Ben moi j'en pleure! ma grand-mère, morte quand j'avais 8 ans, le portait, j'ai hérité de son dernier flacon que je respire régulièrement depuis 20 ans, le parfum s'est probablement détérioré, la couleur est d'un miel roux (mauvais signe?). Mon souvenir s'est-il forgé au fur-et-à-mesure de l'évolution de ce flacon? Resentir un original-neuf ferait-il revivre le souvenir? Est-ce l'odeur mêlée à sa peau à elle que je recherche? Impossible de savoir! Voilà pour la petite anecdote...
    Est-ce possible de sentir les vintage intacts/neufs à l'Osmothèque?
    Muguette -tout le monde aura compris mon pseudo =)

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  8. Muguette, c'est comme si l'odeur de ce flacon s'altérait avec le souvenir, non? C'est poignant... Diorissimo fait partie de ces parfums qui s'altèrent, même si le coeur et le fond peuvent durer assez longtemps.
    Une personne que je ne peux pas nommer, qui ne fait pas partie de l'Osmothèque mais qui est très réputée dans le domaine des parfums m'a affirmé que les parfums toujours en fabrication voyaient leurs formules substituées à l'Osmothèque par les marques lorsqu'elles étaient changées. D'autres témoignages semblent le corroborer. Donc, je ne sais pas si on peut encore sentir le vrai Diorissimo dans sa fraîcheur...

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  9. Oui, c'est exactement ça...bizarrement, j'ai l'impression (peut-être fausse) que mon vintage est altéré dans ses notes de coeur...Quant à la disparition des formules originales, c'est un scandale, un assassinat pur et simple du patrimoine. Ce qui rend le reste intolérable et tout retour en arrière impossible, quelle tristesse...
    Muguette

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