dimanche 16 décembre 2012

Le cerveau des parfumeurs se modifie en fonction de leur expérience



Communiqué de presse du CNRS, 14 décembre 2012 
Les aires cérébrales associées à l'olfaction sont plus développées chez les parfumeurs professionnels que chez le « commun des mortels ». En outre, plus ces experts ont une longue carrière derrière eux, plus grande est la quantité de matière grise dans leurs aires olfactives. Ce nouvel exemple de l'étonnante plasticité cérébrale dont est doté l'être humain vient d'être révélé par des chercheurs du CNRS et de l'Inserm de l'équipe Codage et mémoire olfactive du Centre de recherche en neurosciences de Lyon (CNRS/Inserm/Université Claude Bernard Lyon 1/Université Jean Monnet Saint-Etienne). Ces résultats, obtenus grâce à des IRM anatomiques réalisées sur des parfumeurs professionnels, des étudiants en parfumerie et des sujets témoins montrent que l'entraînement permet d'inverser la diminution du volume de matière grise des aires olfactives liée à l'âge et observée dans la population générale. Ces travaux ont été publiés dans la revue NeuroImage du 12 décembre 2012. 

Lors de travaux précédents, les mêmes chercheurs avaient démontré que, grâce à l'entraînement, les parfumeurs acquièrent la capacité d'imaginer mentalement une odeur au point de la « sentir » dans leur nez alors qu'elle est physiquement absente, une faculté qui est hors de portée du « commun des mortels ». Les scientifiques avaient aussi observé que plus l'expertise des parfumeurs était grande, plus l'activité dans les régions olfactives et mnésiques diminuait. Ce résultat, paradoxal à première vue, s'explique par le fait que la communication neuronale est, chez ces experts, plus efficace, rapide et spécifique.

Suite à ces travaux, les chercheurs se sont demandé si l'entraînement intensif des parfumeurs se traduisait aussi par une augmentation du volume de matière grise dans les zones cérébrales liées à l'olfaction. Pour répondre à cette question, ils ont fait passer une IRM à 14 experts parfumeurs réputés, parmi lesquels Jean-Claude Ellena et Daniel André. Le même examen a été réalisé sur 13 étudiants de l'Institut Supérieur International de la Parfumerie, de la Cosmétique et de l'Aromatique de Versailles, et 21 sujets dits « naïfs », n'ayant aucune expertise olfactive particulière.

L'IRM a montré que le volume de matière grise du cortex olfactif primaire et d'une région orbitofrontale qui avoisine le sillon olfactif est plus grand chez les parfumeurs que chez les volontaires naïfs. Ce développement cérébral pourrait être dû à une augmentation du nombre des arborisations dendritiques (1), voire à une augmentation du nombre de neurones, mais cela n'est pas encore démontré. .

Ces travaux montrent aussi que le volume de matière grise est directement corrélé avec l'expérience des parfumeurs. Plus ils sont entraînés, plus le volume de ces aires olfactives est grand. En revanche, les chercheurs ont observé que, chez les sujets naïfs, ces aires cérébrales se réduisent notablement avec l'âge, phénomène continu et général lorsqu'aucun entraînement n'est réalisé. Ainsi, cela indique que les modifications cérébrales observées chez les parfumeurs seraient le fruit de l'entraînement, et non de particularités innées.

Ces résultats rappellent les modifications structurales observées chez d'autres types d'experts comme les musiciens, les sportifs, les personnes multilingues, les mathématiciens, ou les chauffeurs de taxi. Tous ces spécialistes réorganisent et surdéveloppent des aires cérébrales spécifiques à leur expertise. L'extraordinaire capacité du cerveau à s'adapter à la demande environnementale et à se réorganiser avec l'expérience semble être sans limite.
Des images anatomiques de cerveaux de parfumeurs novices et professionnels ainsi que ceux de sujets témoins appariés en âge ont été acquises à l'aide d'un scanner IRMf. 
© JP Royet


Les parfumeurs novices et professionnels présentent un volume de matière grise des cortex olfactif primaire et orbital médian (en jaune) plus importants que chez les sujets témoins. Plus les parfumeurs professionnels ont de l'expérience, plus le volume de matière grise dans le cortex orbital médian est élevé (en vert). Inversement, plus les sujets témoins sont âgés, plus ce volume diminue (en bleu).
 
© JP Royet

Notes
(1) Prolongements du corps cellulaire des neurones au bout desquels se trouvent les synapses qui permettent la communication entre deux neurones.
Références
Perfumers' expertise induces structural reorganization in olfactory brain regions. Chantal Delon-Martin, Jane Plailly, Pierre Fonlupt, Alexandra Veyrac et Jean-Pierre Royet. NeuroImage, 12 décembre 2012.

Illustration par l'artiste Alex Konahin.

4 commentaires:

  1. Un peu de science, quelle belle surprise (enfin, pour moi: je suis chercheuse). On n'a pas encore fini de découvrir l'étendue de la plasticité neuronale et de ses facultés d'adaptation à l'environnement, c'est passionnant!

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  2. Jack, quand j'ai reçu ce communiqué d presse je me suis dit que c'était une bonne idée de le publier tel quel... Je ne suis pas une scientifique, mais grâce à mon papa j'ai fait mes dents sur Scientific American et New Scientist et je reste très geek de ce côte-là!

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  3. Oui, très intéressant. Lu ça chez Octavian Coiffan, qui a eu le même réflexe que vous. N'oublions pas, tout de même, que quelle que soit l'activité que vous pratiquez, – et pour autant qu'elle soit répétée pendant longtemps – celle-ci a un effet sensible sur l'état de vos neurones. Musique, activités de tri, de visualisations, monomanies diverses, etc. Mais c'est vrai qu'on ne s'était pas trop penché sur l'olfaction. C'est fait ! :)

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  4. NLR, Octavian publie de façon si prolifique que j'avais loupé ce billet-là. J'avais eu connaissance des études menées sur les chauffeurs de taxi londoniens -- d'ailleurs, à leur retraite, la partie surdeveloppée de leur cerveau reprenait ses proportions normales...

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