vendredi 24 juillet 2009

Private Collection Jasmine White Moss d'Estée Lauder : Chypre Holographique




Les restrictions sur la mousse de chêne, la désaffection du public et le détournement du nom par les services de presse pour étiqueter des jus qui n’ont rien à voir… Les chypres sont pratiquement enterrés.

La plupart des classiques ont subi une liposuccion assortie d’un peeling chimique, comme Mitsouko, ou une castration pure et simple, comme Miss Dior. Les nouveaux membres de la famille affichent des seins siliconés et des lèvres gonflées au collagène comme le formidable Arabian Wood de Tom Ford – particulièrement mal nommé puisqu’il n’a rien d’arabe et pas grand-chose de boisé. Ou alors, des symptômes manifestes de consanguinité, comme le tout aussi délicieux Jubilation 25 d’Amouage, avec son overdose baroque de cumin et de baumes.

Et voici qu’entre en scène le nouveau Private Collection Jasmine White Moss d’Estée Lauder, un chypre vert Seventies aux accents fruités, censé être une formule d’Estée récupérée dans ses archives et, partant, un point d’ancrage de la marque dans son patrimoine. On peut éventuellement y voir une volonté de séduire une tranche démographique plus âgée d’initiées au chypre, sans faire fuir des jeunes femmes prêtes à larguer les floraux fruités. Avec, en prime, un nouveau matériau captif, le « white moss mist » (« brume de mousse blanche ») destiné à remplacer la mousse de chêne et à affranchir les chypres de tout soupçon de prurit.

La première bouffée de Jasmine White Moss suscite une curieuse impression de déjà-senti.

Cristalle ? Présent ! Le premier Private Collection? Présent ! L de Lubin, Acqua di Parma Profumo (pré-reformulation), Azzaro (aussi pré-reformulation), Givenchy III, Diorella ? Présents. Bergamote, galbanum, jasmin ; cette note de fruit un peu blet qu’on retrouve dans les Roudnitska, ainsi que l’omniprésent patchouli pasteurisé qui se substitue désormais à la mousse de chêne… Tout est là.

Comme les deux autres Private Collection – songez aux deux mégères apprivoisées de Tuberose Gardenia – ce néo-rétro chypre a été nettoyé, toiletté, et amputé de tout ce qui pouvait déranger. Totalement américanisé – je ne parle pas là, bien entendu, des Américains eux-mêmes dans leur diversité, mais du concept d'américanité, sain et hygiénique. Et voilà ce qu’est, en fin de compte, Jasmine White Moss : un concept de chypre, conforme aux normes de l’IFRA et adapté aux goûts contemporains ; l’esprit, mais pas la chair. Aussi banalement ravissant qu’une star de comédie romantique – et qu'on ne s'y méprenne pas Jasmine White Moss est vraiment très agréable, bien qu’un peu pâlichon et d'une tenacité médiocre. Disons que ce n’est pas Romy Schneider ou Jacqueline Bisset.

Je pense que ce qui m’ennuie le plus dans Jasmine White Moss, malgré sa joliesse, c’est qu’il n’apporte rien de nouveau au genre : il s’en tient à me rappeler beaucoup de parfums que j’aime et que j’ai perdus.

C’est donc ainsi que le chypre survivra désormais : sous forme d’hologramme. Il faudra s’en contenter.


Private Collection Jasmine White Moss est déjà lancé aux USA, mais aucune date de sortie n'est encore précisée pour la France.


Image: Hologramme de la princesse Leia dans La Guerre des Étoiles.


12 commentaires:

  1. Drôle de concept que cette mousse blanche: du lichen brumeux?

    Je n'ai pas connu les chyprés "d'avant". Je porte bien Vol de Nuit depuis 1999, mais je n'ai pas l'impression que la qualité ait baissé, l'extrait actuel et celui d'alors ne me semblent pas différents, si nuance il y a, elle est subtile. Il est vrai que VDN n'est pas un vrai chypré (pour moi c'est un oriental avant tout, même s'il est souvent catalogué comme chypré).
    Je n'ai succombé à Mitsouko que l'automne dernier, c'est donc récent. Et bien je commence à croire que cette intimité tardive avec ce chef-d'oeuvre a finalement du bon: je le porte avec un immense plaisir, en eau de parfum mais surtout en extrait. Même après botox et peeling, le jus actuel est à des années lumières de n'importe quelle nouvelle sortie sur le marché. Sa beauté reste saisissante!

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  2. Bénédicte, tu as de la chance... J'ai ressenti encore l'autre jour le nouveau Mitsouko dans l'extrait et je ne crois pas pouvoir m'y faire, à mon grand regret.

    Quant à la mousse blanche, je crois tout simplement qu'il s'agit d'un nouveau matériau -- soit de synthèse, soit de la mousse d'arbre passée à l'eau de Javel (façon de parler, évidemment) pour la débarrasser de ses vilains allergènes. Disons que c'est mieux que rien...

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  3. Pour les Guerlain j'ai remarqué qu'il y a un truc qui change tout et leur redonne une profondeur incroyable: l'oxydation. Les extraits et eaux de parfum (reformulés) neufs ou fraîchement entamés me semblent tout plats, sans profondeur ni relief. Je les entame et les oublie quelques semaines (quelques mois, c'est mieux) et je constate qu'il bougent de façon très heureuse. J'ai d'abord fait le test avec Shalimar. Le plus drôle, c'est que ce sont souvent les fonds de vapo ou de flacon qui sont les meilleurs (on peut d'ailleurs le constater en comparant flacon neuf/flacon entamé). Je ne sais pas à quoi cela peut-être dû (micro-oxydation?) -j'aimerais d'ailleurs bien comprendre le processus- mais une déçue du Shalimar reformulé avec qui j'en avais discuté a renoué ainsi avec la version actuelle: chambrer, et ensuite le laisser bouger quelques mois. C'est le propre des extraits des classiques Guerlain de très bien vieillir et d'être plus beaux avec l'âge, j'ai l'impression (avec d'autres jus ça ne marche pas).

    Tiens, puisqu'on est dans le chypré, quid de la version reformulée de Jolie Madame Balmain? J'ai lu récemment sur Now Smell This que le drydown était similaire, même si la version vintage a une évolution plus riche, mais je ne sais pas quoi en penser. Il m'intrigue je dois dire et vu ce qu'a commis Balmain récemment (Jolie Môme et cie) j'ai très peur quand même...

    Pour les reformulations Dior en tous cas, elles font particulièrement mal au coeur. J'avais pu comparer Miss Dior mais aussi Diorella version fin 80's et version actuelle: les actuels sentent la maison de retraite étriquée... Je comprends la déception des fidèles! Comment séduire une nouvelle clientèle avec des jus aussi raides? Rien à voir avec les originaux!

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  4. Bénédicte, c'est un fait: un flacon neuf n'aura jamais la même odeur qu'un flacon entamé, même si la formule est rigoureusement la même, et j'ai souvent entendu des commentaires sur d'éventuelles reformulations alors qu'il ne s'agissait que d'une différence entre un lot fraîchement produit et un flacon un peu oxydé. Je me souviens même en avoir discuté avec Gilles Thévenin, ex-Guerlain, aujourd'hui Lubin, qui me disait préférer les jus légèrement oxydés.

    Quant à Jolie Madame, je n'ai pas senti l'actuel: j'ai acheté le flacon "moderne" il y a quatre ans, qui me semblait très bien... jusqu'à ce que je sente le vintage. Mais je pense qu'il est portable.

    Dior, c'est une autre histoire. Michel Roudnitska me jure que les formules ont été très peu ajustées, mais mon nez me dit autre chose. Il me semble que Diorella n'est pas extraordinairement différent, juste un peu "amaigri". Mais il est toujours difficile de comparer un vieux flacon avec un flacon neuf, sauf quand on a vraiment l'odeur en mémoire pour avoir beaucoup porté le parfum.

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  5. Chez Dior il y "aurait" un souci, c'est qu'on "aurait" réduit la durée de macération afin de produire plus et plus vite. Du coup cela affecte le jus qui n'est plus vraiment au top.Et là, c'est un autre problème que celui de la reformulation...
    Le champagne "connaîtrait" des soucis de production pour les mêmes motifs. :-(

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  6. Me contenter d'hologramme(s) , franchement, j'ai du mal à m'y résoudre...
    Penses-tu que mon Mitsouko soit "l'ancien" ou la nouvelle formule ?
    Quoiqu'il en soit, à défaut d'avoir encore accès à des parfums "touffus" je vais dans le sens de Bénédicte : Vive la micro-oxydation !

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  7. Thierry, s'il a 05 au début de son code, c'est sans doute le pré.

    Côté anglophone, une amie me jure que le parfum JWM est divin... On l'attend!

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  8. Hum, ca me rappelle le commentaire de Luca Turin sur la reformulation de Caleche: apres un lifting/ bronzage/ amincissement severe, il a ete tellement lamine du traitement que j'ai envie de dire, "Passez-le moi sous la porte." C'est en effet l'etat deplorable dans lequel beaucoup des classiques du genre se trouvent.

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  9. Tara, en effet, c'est souvent mon impression aussi. On pourrait aussi parler d'un ravalement de façade un peu trop zélé. Mais pour les monuments historiques et les oeuvres d'art, la philosophie aujourd'hui, c'est la restauration *réversible*. Je ne pense pas qu'on puisse l'espérer en parfumerie...

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  10. Je sais juste que JWM sera en exclusivité au Bon Marché dès novembre. Je reste fidèle au TG.
    Bien à toi

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  11. Merci pour l'info Rebecca. J'attends de sentir la version parfum qui est, paraît-il, plus riche.
    Ça m'étonnerait que JWM te séduise car c'est un chypre!

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