dimanche 23 novembre 2008

Lubin, an 3



Depuis 2005, la maison Lubin a entamé une lente mais spectaculaire renaissance, après plus de deux siècles d’existence (elle a été fondée en 1798) et une vingtaine d’années dans les limbes réservées aux marques zombies. D’ailleurs, lorsque son propriétaire actuel, Gilles Thévenin, a réussi à la racheter, elle était promise à une mort certaine : la société allemande qui en était alors propriétaire, Mülhens (qui fabrique la célèbre eau de Cologne 4711) avait tout bonnement décidé de la supprimer.
Heureusement, Mülhens, avec ses deux siècles d’existence, avait du respect, sinon pour la marque, du moins pour ses archives, qu’elle avait préservée. Gilles Thévenin est donc en possession d’une grande partie de formules de la vénérable maison française, qui a lancé plus de 450 senteurs. Mais il n’a aucune intention, déclare-t-il, de faire de Lubin une marque « archéologique ». Ce qu’il choisit de rééditer doit être « pertinent aujourd’hui » : les reformulations, produites en conformité avec les nouvelles réglementations et avec les matériaux disponibles aujourd’hui, n’ont peut-être pas exactement la même odeur que les formules originales, mais elles doivent « être créées avec la même sincérité et le même équilibre » que leurs modèles, affirme-t-il.
Le propriétaire de Lubin, qui vient de fêter ses cinquante ans cette année, se décrit comme un « obsédé du parfum » depuis sa plus tendre enfance : lorsque sa mère montait à Paris pour faire ses emplettes chez Balenciaga et Courrèges, elle ne manquait jamais de passer chez Guerlain, dont elle revenait avec ses flacons de Mitsouko. Les premières filles qu’il a suivies dans la rue, raconte-t-il, « c’est à cause de leur parfum ».
Gilles Thévenin rêvait de travailler chez Guerlain : il y a passé plusieurs années (ses liens d’amitié avec Jean-Paul Guerlain sont toujours aussi solides). C’est lorsqu’il est passé chez Rochas, qui appartenait au groupe allemand Wella, également propriétaire de Mülhens auquel appartenait Lubin, que Gilles Thévenin a conçu le projet de sauver ce fleuron de la parfumerie française. Il a mis plusieurs années à y parvenir, vendant tout son patrimoine pour racheter et relancer Lubin.
Son premier lancement fut un coup d’éclat : une toute nouvelle composition signée par son amie, la prodigieusement talentueuse Olivia Giacobetti, dans un flacon signé par le légendaire sculpteur Serge Mansau. Cette eau de parfum boisée chargée d’épices était inspirée des pérégrinations de Gilles Thévenin en mer de Chine, alors qu’il était basé à Java – « n’oublie pas les pirates », lui dit Giacobetti, qui ajouta un note de tête de rhum pour les évoquer… Idole fit événement lors de sa sortie en 2005, notamment parce que Giacobetti semblait avoir abandonné la transparence de son style pour s’aventurer dans des tonalités olfactives plus sombres et plus saturées.
À ce jour, des cinq parfums lancés depuis la renaissance de Lubin, trois sont des rééditions (Eau Neuve, Nuit de Longchamp et L), et deux de nouvelles compositions reprenant des noms anciens (Idole et Vétiver). Le bureau de Thévenin est jonché de vaporisateurs contenant les essais de projets en cours, dont ceux du prochain lancement, Gin Fizz (1955), composé par Henri Giboulet (qui succéderait par la suite à Henri Alméras chez Jean Patou), assisté de Jeannine Mongin, l’une des fondatrices de l’Osmothèque, qui a conseillé Thévenin. Le nouveau Gin Fizz, un chypre aldéhydé hespéridé, aura la luminosité en Technicolor qui avait inspiré Giboulet lorsqu’il l’avait dédié à Grace Kelly. « Mais nous l’avons déshabillé de son côté rétro et nous l’avons rhabillé », explique Thévenin. Gin Fizz sortira au printemps prochain.
Plusieurs autres compositions sont en cours de développement: un oriental d’une beauté saisissante sur lequel Gilles Thévenin ne souhaite pas encore apporter de précisions, une nouvelle variation sur le vétiver et deux chypres inédits.
Car Thévenin est un amoureux du chypre, l’archétype même du parfum, selon lui. D’ailleurs, ses deux lancements de 2008 sont des chypres : un floral aldéhydé, Nuit de Longchamp (1934) et un fruit, L de Lubin (1974). Bien qu’ils soient en partie reformulés, ils semblent l’un et l’autre très proches des originaux : manifestement, ces reformulations ont été réalisées avec un grand soin.
Ce qui amène à poser les questions suivantes : qu’est-ce qu’une reformulation réussie, et comment la définir ? La plupart des amoureux de parfum ont tôt ou tard constaté qu’un classique adoré avait été modifié, appauvri, déséquilibré par des modifications bâclées ; « reformulation » est devenu un gros mot en parfumerie, et l’objet d’une paranoïa souvent justifiée.
Nous connaissons tous désormais les raisons de ces reformulations : économies de bouts de chandelle (on passe à des matériaux moins onéreux) ; remplacement d’ingrédients devenus inabordables ou introuvables ; application du « principe de précaution » en se conformant aux réglementations de plus en plus strictes sur les matériaux potentiellement allergènes, voire toxiques ; volonté de se conformer aux goûts du marché.
Dans le cas de Lubin, la première raison (économiser sur la formule) ne s’applique pas, puisqu’au contraire, il s’agit de refaire remonter en gamme la maison. Les deuxièmes et troisièmes raisons sont inévitables : plusieurs bases utilisées dans les formules originales ne sont plus fabriquées et certains de matériaux (les muscs, les hespéridés, la mousse de chêne) sont désormais soit interdits, soit réglementés. On peut aussi choisir de simplifier la formule d’un classique lorsque les bases de la formule originale, elles-mêmes de mini-parfums, comportent entre elles des redondances (le même ingrédient entrant dans plusieurs bases) : le raccourcissement de la formule n’affecte pas l’odeur.
Toutefois, Gilles Thévenin est le premier à avouer que certaines modifications apportées à Nuit de Longchamp (et au prochain lancement, Gin Fizz) l’ont été pour moderniser le parfum. Il s’agit donc d’une décision de marketing, bien qu’elle n’ait pas été prise à la légère, ni appliquée à tort et à travers. Lucien Ferrero d’Expressions Parfumées, auteur du L de Lubin, a travaillé de longs mois sur la formule, avec son collègue Henri Bergia.
Dans le prochain épisode, nous examinerons les résultats...

À suivre mercredi : Nuit de Longchamp


Image: Publicité Lubin, 1953, chez Okadi.

7 commentaires:

  1. « pertinent aujourd’hui » : les reformulations, produites en conformité avec les nouvelles réglementations et avec les matériaux disponibles aujourd’hui, n’ont peut-être pas exactement la même odeur que les formules originales, mais elles doivent « être créées avec la même sincérité et le même équilibre » que leurs modèles...

    alors moi apres avoir lu ce petit discours mielleux, desolee mais j 'ai pas eu le courage de continuer et puis Idole j 'ai pas trouver ca convaincant du tout. si j 'etais parfumeuse avec un esprit d 'integrite sans bullshit, j 'irais a Oman avec ma societe de parfums ou je pourrais me passer des reglementations debiles europeennes sur les allergenes et meme utiliser du musc naturel. et puis ca veut dire quoi "pertinent aujourd’hui"? les reformulations de classiques sont pour la plupart desastreuses, bien souvent des parfums intemporels deviennent vieillots, exemple Magie Noire, l 'edt vintage est superbe et tres sexy, j 'ai eu des compliments recemment, la nouvelle version c 'est le jour et la nuit, alors moi le coup "aujourd 'hui c 'est different" j 'en ai rien a battre, malheureusement je fais partie de ces perfume lovers condamnes a chasser les vintages sur ebay.

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  2. Et je fais comment, moi, Câline, pour acheter ces parfums d'Oman? ;-)
    Comme tu le sais, j'ai moi aussi une collection conséquence de vintage.
    Et comme toi, j'aimerais que les formules d'origine soient préservées.
    Mais manifestement, ne serait-ce que pour des raisons de disponibilité de matériaux, ce n'est plus possible.

    D'où la question: une formule retravaillée et rééquilibrée en fonction de ce qui est possible aujourd'hui, avec de belles matières -- et non pas un massacre, comme c'est le cas pour tant de classiques -- n'est-elle pas préférable à rien du tout?

    Peut-être que oui, peut-être que non... la réponse n'est pas forcément toujours aussi tranchée.

    Je porte actuellement la nouvelle version de Nuit de Longchamp, que j'avoue préférer à l'ancienne, il est vrai un peu abîmée par le temps (le flacon était sans boîte).

    Peut-être faut-il considérer une telle réédition comme un nouveau parfum inspiré de l'ancien, tout simplement...

    Quant à Idole, je l'ai reporté récemment et je trouve qu'il tient bien le choc du post-buzz de 2005. Là, c'est purement une affaire de goût, je crois.

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  3. carmencanada, ce que je voulais c 'est que les parfumeurs plutot que de respecter sans broncher les reglementations europeennes auraient plutot interet a quitter Paris pour d 'autres destinations sans reglementation surtout aujourd 'hui ou les consommateurs peuvent tout acheter et meme tester sur internet. Si j 'etais parfumeuse jamais je n 'accepterais de me soumettre a ces reglementations europennees. Le fameux "made in France" en matiere de parfums ca ne veut plus rien dire, alors a quoi bon? D 'ailleurs je ne comprends pas pourquoi Lutens ne deplace pas ses Salons Shiseido a Marrackech, il y vit deja, au moins il aurait pas besoin de reformuler ses propres parfums qu 'ont a peine dix ou quinze ans d 'existence pour les plus anciens.
    Apres tout ca s 'est deja fait en parfumerie, jusqu 'a la fin des annees 60 les parfumeurs francais choisissaient de produire les parfums directement aux Etats-Unis en important seulement les matieres premieres plutot que de payer des droits de douane exhorbitants. Pour le marche americain ces parfums etaient vendus made in USA (with imported essential oils).

    J 'irais tout de meme tester Nuit de Longchamp a Aedes.

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  4. Câline, c'est en effet une possibilité que certains parfumeurs envisageront peut-être... La Marrakech connexion, pourquoi pas? Mais malheureusement, même des parfums encore plus récents que ceux de Lutens tombent sous le coup des réglementations.

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  5. Ou simplement la vente online. Tu sais aux Etats-Unis il n 'y a aucunes reglementations sur les ventes informercials ou internet. Quant a l Europe elle s 'occupe davantage des allergenes en parfumerie mais l 'industrie du tabac n 'est toujours pas reglementee a ce niveau, les formules sont plus que jamais secretes mais eux ils ont les moyens de combattre toute tentatives de restrictions de ce genre et puis les parfumeurs c 'est pas vraiment du style lobbystes ou a l 'inverse activistes. On leur demande de supprimer des listes entieres d 'allergenes, ils le font voila.
    Ton article me rend tout de meme bien curieuse de decouvrir ces reorchestrations de Lubin. Par contre c 'est vrai que je m 'interroge sur un an de travail, alors bien sur j 'apprecie l 'effort de ces parfumeurs mais peut-on vraiment se passer ne serait-ce de santal de Mysore dans un grand parfum? Je m 'interroge.

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  6. Câline, effectivement, la façon dont la profession est structurée ne permet pas, en effet, aux parfumeurs de riposter. Une industrie (comme le tabac, mais aussi l'agroalimentaire avec les OGM, le pharmaceutique) peut défendre ses intérêts et ses profits. L'intégrité artistique ne forme pas de lobbies.

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  7. Je suis d'accord avec vous deux et puriste moi aussi. Mais il faut rendre hommage à tous ces "nouveaux" LUBIN qui sont des merveilles et dire merci à celui qui a eu la volonté de racheter la marque.
    L est très proche de mes souvenirs d'ado et tous les trois sont à tomber

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