Au Plaza Athénée, il faut franchir un nuage poudré de parfum d’ambiance pour accéder au restaurant d’Alain Ducasse. Heureusement, l’odeur n’a pas filtré dans la salle aux moulures rococo. Car c’est ici qu’IFF organise l’un des événements les plus intéressants du calendrier parfumé : sa séance annuelle de Speed-smelling. Une heure pour découvrir dix exercices olfactifs, sans contraintes de style ou de budget, souvent inspirés par les magnifiques matières premières du Laboratoire Monique Rémy (LMR), la branche produits naturels d’IFF.
Une liberté créative et verbale que ces dix parfumeurs peuvent rarement se permettre dans le cadre des lancements mainstream qui constituent la majorité de leur production. Et donc, une occasion rare de discuter, fût-ce brièvement, de leurs envies et de leurs pistes de recherche.
En tandem avec la journaliste Sabine Chabbert, auteur de
La Cuisine des Nez, donc compagne idéale pour ce genre de mise en bouche, je me laisse guider par Judith Gross, directrice du marketing produits naturels et R&D d’IFF, vers mon premier rendez-vous.
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Juliette Karagueuzoglou |
Un an après son entrée chez IFF en 2007,
Juliette Karagueuzoglou signait déjà en solo Costume National 21, un beau boisé-épicé. L’accord jasmin-panna cotta qu’elle a présenté au Speed-smelling de l’an dernier a trouvé preneur chez Ferragamo (pour Signorina, qui sortira en février). Cette année, avec
Incarnation, elle propose une relecture de L’Air du Temps que portait sa grand-mère, qu’elle a modernisé en troquant les aldéhydes classiques contre un aldéhyde mandarine mieux adapté aux sensibilités actuelles. IFRA oblige, l’œillet a perdu une bonne part de ses eugénols, ce qui tire l’accord floral vers un lys-tiaré. L’effet tout en rondeur, doux et poudré-benjoin, avec des facettes amande, rappelle la sensation (mais pas l’odeur) douillette et « musique d’ambiance » d’un Kenzo Flower.
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Céline Barel |
Le jeu des chaises musicales olfactives nous dépose ensuite chez
Céline Barel, fashionista éprise de vintage, de l’esthétique kitsch-trash du photographe David Lachapelle et des monstres de sillage 80s comme Obsession et Giorgio Beverly Hills.
Cela dit, c’est plutôt du côté de l’art d’avant-garde que penche son
Smoke and Mirrors (expression anglaise qui signifie « effets d’illusionniste »), conçu pour l’installation de l’artiste argentin Santiago Taccetti (pour la voir,
cliquez ici) lors d’une résidence d’été au Watermill Center du directeur artistique Bob Wilson, qui accueille chaque année plusieurs dizaines d’artistes. Thème 2011 : « Voluptuous Panic », inspiré par la République de Weimar. Taccetti a demandé à Céline « comment, en rajoutant une dimension olfactive, on peut truquer le spatio-temporel » (ce qui doit changer des briefs L’Oréal).
« Je me suis demandé ce que sentirait le vide », explique Céline. Résultat : une odeur polaire d’aldéhydes et d’oxydes, sur une base brûlante de « bois qui pique », l’Amber Xtreme. En effet, on peut s’imaginer qu’une immersion dans un brouillard ainsi parfumé pourrait non seulement induire des effets de distorsion spatio-temporelle, mais une certaine panique. Ça crisse, ça claque, ça glace… Un exercice formidablement culotté d’art olfactif.
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Véronique Nyberg |
Chez
Véronique Nyberg (My Queen, Jimmy Choo, Costume National Homme) moins de panique et plus de volupté, mais la même volonté de transversalité. Véronique puise souvent son inspiration chez les aromaticiens, mais pour son
Yamazaki Idyll, c’est avec des mixologues qu’elle a collaboré pour la confection d’un cocktail (d’ailleurs proposé au bar du Plaza) qui est également un parfum. Dans le shaker : un whisky japonais haut de gamme, du jus de citron et du Galliano, liqueur italienne aux accents anisés-vanillés. On y plonge une boule contenant la magnifique vanille CO2 produite par LMR, de la concrète d’iris et une absolue de fleur d’oranger… La vanille absorbe la saveur whisky ; l’iris n’est pas perceptible en tant que tel, mais selon Véronique il apporte de la sensualité. C’est aussi exquis en bouche qu’au nez – à condition de ne pas se tromper de flacon.
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Anne Flipo |
Anne Flipo, membre de la dream-team de L’Artisan Parfumeur où elle s’est particulièrement spécialisée dans les soliflores (de La Chasse aux Papillons à la Fleur de Narcisse), a orné sa table de mousse et de lichen, qui servent d’écrin aux délicats bijoux de la jeune joaillière Marie Simphal. Encore un exercice d’inspirations croisées, donc, pour une évocation du
Melancholia de Lars von Trier et de la Côté d’Opale, avec ses dunes et ses pinèdes… La fougère au féminin sertit son accord trèfle de deux matériaux LMR, l’immortelle et le genêt aux accents chauds et animaux de miel, de tabac et de foin. L’immortelle, toute en finesse, dégage des facettes noisette grillée.
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Olivier Polge |
L’Animal d’Olivier Polge (Dior Homme, Midnight in Paris, Balenciaga Paris) ne m’étonne qu’à moitié : dès notre première conversation, nous avions discuté des matières premières d’origine animale, en déplorant le refus des marques de les employer (alors que le castoréum est disponible, puisque le Canada est contraint de réduire ses populations de castors dans certaines zones où, par manque de prédateurs et restriction de l’habitat, leur nombre est trop important). C’est donc autour du castoréum qu’Olivier a travaillé en enrobant ses facettes cuir, olive noire et encre de santal naturel, styrax et baumes de Tolu et du Pérou. Le castoréum agit un peu comme la mousse, explique-t-il : « il donne une patine », un effet « vêtements usés » irremplaçable. En sentant Animal, on se rend à l’évidence : difficile d’imaginer un beau cuir bien sombre sans castoréum.
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Et pour un article sur la séance Speed-smelling à New-York, faites un saut sur
Basenotes.
Photos de William Beaucardet.
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