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De Profundis convoque tant de références culturelles et religieuses qu’aucun parfum ne pourrait, en vérité, s’y mesurer complètement : d’où, peut-être, le côté passionné des réactions qu’il a pu susciter, et les spéculations sur les intentions de Serge Lutens… Qui n’est pas tout à fait prêt à remiser ses flacons, en tous cas, pas avant d’avoir une fois de plus semé l’émoi parmi ses fans avec une deuxième Eau, qui sera présentée la semaine prochaine à la presse. Je ne reviendrai donc pas sur tout ce qui se niche dans ce nom : le temps de l’expliquer, puis d’admirer le sublime éclat ultraviolet du jus, je n’aurais plus la force d’en venir à l’odeur.
Mes premières sorties en De Profundis ont tout de même suscité de curieuses réactions, dont celle d’un ami parfumeur qui, au bout d’une heure passée à respirer subrepticement mon sillage dans un café, a fini par me dire : « Tu portes quoi ? Il y a quelque chose là-dedans qui me met très mal à l’aise… »
« Le chrysanthème est teinté d'amertume. J'ai ajouté, comme on l'évoque parfois, ce goût noisette sur un superbe encens. Si "De profundis" provoque l'inquiétude, j'en suis ravi ! C'eut été dommage quand même de laisser cette fleur dépérir au cimetière ! », m’a répondu Serge Lutens lorsque je lui ai fait part de ce malaise…
Y aurait-il réellement une aura funèbre émanant de ce chrysanthème – une odeur douceâtre de putréfaction ? J’ai la chance de ne pas pouvoir le savoir. Mais ma première impression a bien été celle d’avoir été frôlée par un fantôme – un parfum est toujours, forcément, hanté par ses prédécesseurs…
Un instant, quelque chose dans la tension entre la verdeur légèrement amère de sève fraîche et des effets laiteux, noisette, m’a fait songer au Calamus de Series 1 : Leaves de Comme des Garçons. Mais non… Puis j’ai songé à Dune.[i]
L’oriental vert est une aporie olfactive. Mais le classique trop souvent négligé de Jean-Louis Sieuzac pour Dior et le plus récent « exclusif » du Palais-Royal appartiennent tous deux à cette famille impossible. L’amertume herbacée de Dune est cependant plus prononcée, tout comme le baumé tabacé de son fond. Alors que le Dior passe d’un extrême à l’autre en se développant aussi imperceptiblement qu’une dune se mouvant sans vent, De Profundis est plus baroque, avec son encens sec qui râpe la chair blanche et verte de son bouquet floral abstrait, un peu muguet, un peu magnolia, un peu œillet (une pincée de poivre aurait-elle soufflé de la balance voisine où l’on pesait Vitriol d’œillet ?).
Un relent un peu animal-végétal de camomille et une bonne dose d’indole – et voilà le mort – lestent cette note florale. Avec, pudiquement glissée sous l’effet noisette, une discrète bouffée de ce qu’on pourrait appeler, par bienséance, la fleur de châtaigner ou plutôt, une odeur à laquelle on la compare souvent… Après tout, le communiqué de presse fait bien allusion à certains débordements (« ...le corbillard par la bière débordé, emmène enfants de chœur, curé, croque-mort, Suisse et fossoyeurs, se perdre en vice joyeux dans une fête... »). Voilà donc, jouxtant les indoles dégagés par les fleurs et les corps dans la mort, un peu d’élixir de vie. Ou alors, c’est que j’ai trop lu le marquis de Sade.
Illustration : Le peintre Clovis Trouille (1889-1975), admiré par les Surréalistes, imagine ses obsèques…
[i] En relisant l’avis d’Octavian Coifan après avoir rédigé ceci, je constate qu’il fait lui aussi ce parallèle, ce qui ne m’avait pas frappée à la première lecture de son billet.
J'ai la touche imprégnée d'un pèlerinage passé au palais royal.
RépondreSupprimerJe ne fais que penser à diorissimo. Ce vert qui se teinte de rose, de muguet, et de lys. Bien sûr il y a d'autres fleurs. Un effet "neige" avec ce fond doux, comme diorissimo.
Et puis une part de l'ADN de vitriol d'oeillet : du piment (piment brulant de l'artisan parfumeur!), et un accord oeillet (avec un petit côté antique photo sépia).
Et j'aime vitriol d'oeillet aussi, beaucoup. (comme un dandy, il est élégant, impeccable, plein de personnalité, et ses remarques acerbes ne sont pas dénuées de grâce)
Bon, les touches de chez lutens magnifient presque les parfums, le papier rajoute comme une rondeur sucrée.
Mais la qualité est vraiment là (si je compare à un diorissimo actuel, ou à n'importe quoi d'actuel), et je me dis que c'est un bon achat.
J'ai lu des commentaires déçus à propos de "de profundis", mais les parfums fleuris sont sous-évalués par les amoureux de Lutens. Sarrasins, qui est pourtant un parfum puissant, d'osmanthus péchu mélé à un jasmin sambac de très bon aloi, avait été critiqué comme faible et monocorde. C'est dur de voir des amateurs éclairés être d'emblée déçu quand Lutens ne refait pas sa combinaison de bois et d'épices.
Julien, c'est vrai, De Profundis a un charme à la fois frais et insidieux, presque faisandé... Quant aux commentaires déçus, ils seront forcément au rendez-vous quoi que fasse Serge Lutens. C'est le sort des démiurges prolifiques! Qui sont d'ailleurs tout à fait capables de réponses aussi acerbes qu'élégantes.
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