jeudi 26 mars 2009

Non, Jean-Claude Ellena n'est pas un Minimaliste (et il le dit)



Less is more.

L’axiome fondateur des Minimalistes est tellement passe-partout qu’on peut pratiquement l’appliquer à toute création artistique reposant sur la simplicité formelle et l’économie de moyens. On ne s’en prive d’ailleurs pas : qu’il s’agisse de décoration, de design ou de mode, l’adjectif « minimaliste » est souvent dispensé à tort et à travers. Et notamment, en parfumerie, à Jean-Claude Ellena.

Formules courtes, palette délibérément réduite, parfums éminemment lisibles : le parfumeur d’Hermès semble rechercher, dans ses compositions, le geste le plus simple possible – ce qu’en science on appelle une solution élégante. Ce dépouillement et cette limpidité de style lui ont valu l’amalgame un peu expéditif auquel j’ai moi-même eu recours dans un article paru en septembre dernier dans le magazine d’art Particules (reproduit sur ce blog: 1ère partie et 2ème partie).

Or Jean-Claude Ellena récuse l’épithète de minimaliste. Voici ce qu’il m’écrit en réaction à mon article, dans une communication personnelle dont il m’a aimablement autorisée à reproduire des extraits :

« Je ne me sens pas minimaliste dans mon écriture olfactive. Le Que Sais-Je sur le parfum donne une définition du minimalisme dans lequel je ne me retrouve pas. Je cherche en fait à concilier le sensible et l’intelligible, en résonance avec la pensée camusienne qui cherchait à réhabiliter le sensible dans un monde ou la raison domine (lire « L’Exil d’Hélène », L’Été, Albert Camus). »

Je n’ai pas lu Camus et c’est un tort (surtout lorsqu’on a un doctorat de littérature) que je m’apprête à réparer. En revanche, j’ai consulté de nouveau le Que Sais-Je rédigé par Jean-Claude Ellena :

« Les Minimalistes jouent l’odeur pour l’odeur, nue de tout sentiment. » (p.79)

Si l’on se fonde sur une définition plus stricte de ce mouvement artistique et non sur celle, plus générale, qu’a acquis le terme au fil des ans, M. Ellena a absolument raison : il n’est pas un Minimaliste, loin s’en faut.

Né dans les années 60, le Minimalisme est une réaction aux débordements subjectifs de l’Expressionisme abstrait et à la figuration du Pop Art, essentiellement dans le domaine des arts plastiques (Donald Judd, Dan Flavin, Frank Stella, Carl Andre), mais aussi de l’architecture (Mies van der Rohe, Buckminster Fuller) et de la musique (Steve Reich, Philip Glass, LaMonte Young, Michael Nyman).

Le site de la Tate Gallery résume très bien les principales caractéristiques du mouvement. Je me permets donc d’en traduire un extrait plutôt que de le paraphraser :

« Nous envisageons habituellement l’art comme la représentation d’un aspect du monde réel (un paysage, une personne, voire une boîte de soupe !), ou comme le reflet d’une expérience -- d’une émotion ou d’une sensation, par exemple. Dans le Minimalisme, il n’y a aucune tentative de représenter une réalité extérieure : l’artiste demande au spectateur de réagir uniquement à ce qui est en face de lui. (…) Comme le disait le peintre minimaliste Frank Stella au sujet de ses tableaux : What you see is what you see. (…) L’art minimal ne se réfère à rien en dehors de sa présence littérale. »

Or, lorsque Jean-Claude Ellena compose Kelly Calèche en s’inspirant de l’odeur délicate de certains cuirs, ou lorsqu’il crée la série des Jardins, il est évident qu’il puise dans son expérience du monde réel :

« Créer, c’est interpréter les odeurs en les changeant en signes, et que ces signes véhiculent du sens ; l’odeur du thé vert devient signe du Japon, la farine signe de peau, la mangue signe de l’Égypte. » (Que Sais-je, p.59)

Cette inspiration est certes transposée, retravaillée, épurée, mais le référent demeure. En cela, la démarche de Jean-Claude Ellena ne saurait être qualifiée de minimaliste, puisqu’elle évoque. Même les Hermessence, dont l’extrême simplicité et les formules courtes sembleraient relever, en effet, du minimalisme, continuent à représenter (le vétiver, la fève tonka, l’ambre, l’osmanthus, etc.)… Ainsi, pour Un Brin de réglisse, explique Jean-Claude Ellena dans le courrier cité ci-dessus :

« Il ne s’agissait pas de vider la lavande de sa substance mais de la révéler. Il faut savoir que lorsqu’on distille de la lavande, la chaleur (120°) et l’eau produisent dans l’huile essentielle des artéfacts, c’est-à-dire des substances qui n’existent pas à l’état naturel dans la lavande. Ayant une connaissance sensible de la lavande, j’ai fait retirer quelques éléments qui n’existent pas ou peu dans l’odeur de lavande. Me permettant ainsi de retrouver l’ODEUR. Ce travail difficile, impossible à réaliser il y a 3 ans, et fort coûteux ne suffisait pas à créer un parfum, d’où cette association audacieuse de réglisse. »

Il ne s’agit donc pas de jouer la matière pour la matière, mais d’en styliser la réalité sensible à travers le jeu des épures et des rapprochements : on ne quitte donc jamais entièrement le domaine de la figuration. Là encore, on ne peut qualifier Jean-Claude Ellena de Minimaliste stricto sensu.

D’où ce long correctif à mon jugement hâtif : je remercie Jean-Claude Ellena d’avoir pris le temps, et la peine, de le rectifier.


À lire aussi :

- Compte-rendus de la conférence de Jean-Claude Ellena à l'IFM le 11 mars 2009, 1ère et 2ème parties; à la Société Française des Parfumeurs le 15 octobre 2008 sur 1000fragrances (en anglais).

- Trois lectures critiques du plus récent Hermessence, Vanille Galante, sur 1000fragrances, auparfum.com et Grain de Musc.


Image: Carl Andre, Alcloud, 2007.

32 commentaires:

  1. J'ai toujours eu la vague sensation dans mes petites interventions de ne pas trouver le mot juste, de manquer de sens de la nuance, de ne pas réussir à me faire comprendre... et en particulier sans savoir pourquoi je me suis souvent dit qu'on utilisait souvent le terme de minimalisme un peu à tort et et à travers...
    Merci de cette mise au point en ce qui concerne JCE et de l'éclairage que vous apportez.
    J'espère néanmoins que les commentateurs (pour tous les posts en général) ne seront pas freinés dans leur élan de peur de commettre un impair tant les mots nous manquent souvent pour laisser nos impressions...

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  2. Les parfums de JCE - du moins ceux que je connais - sont je trouve comme des aquarelles en parfum. Et les aquarelles ne sont pas un aspect minimaliste de la peinture mais une expression différente...
    Il y a aussi une revue de "Vanille Galante" chez Ambre Gris.

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  3. Thierry, c'est justement la difficulté de trouver le mot juste pour parler de parfum qui m'a attirée vers ce type d'écriture... Mais en effet, il peut être un peu intimidant de s'imaginer que le parfumeur en personne viendra vous reprendre sur les termes utilisés! Cela dit, c'était exactement ce dont j'avais envie: initier le dialogue avec les parfumeurs *aussi*. Jean-Claude Ellena est l'un des rares qui ait un discours sur son esthétique. Question de position, de personnalité -- cela ne veut pas dire pour autant que d'autres parfumeurs n'aient pas d'esthétique précise, mais ils ont moins envie, ou la possibilité, d'en parler...
    Enfin, tout cela est passionnant, et j'espère que personne n'hésitera à s'exprimer: c'est en mettant des mots sur nos impressions qu'on affine notre plaisir!

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  4. Senga, Jean-Claude Ellena lui-même compare aussi ses parfums à des aquarelles (de Cézanne, si je me souviens bien).
    Et je ne savais pas qu'Ambre Gris avait recommencé à mettre à jour son blog, c'est une excellente nouvelle!

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  5. Bonjour Carmencanada, je suis vraiment étonné par ton post: le minimalisme expliqué par son véritable essence! Malheuresement et souvent la simplification et l’usage quotidien des termes et des mots vident les concepts de leurs profondes significations.

    Mais surtout je suis ravi pour avoir compris comme il est possible de distinguer un parfumeur par rapport à un artiste. Il est fort évident que pour M. Ellena écrire un parfum veut dire avant tout suivre sa poétique du parfum, ou bien sa figuration du parfum. Maintenant je peux encore mieux, si possible, apprécier son art! Je te remercie pour ça!

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  6. Antonio, si M. Ellena lui-même ne m'avait pas signalé qu'il ne se retrouvait pas dans ce terme, je ne sais pas si je serais allée plus loin. Je suis honorée et ravie par son intervention!

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  7. Minimaliste ou pas (c 'est vraiment jouer sur les mots cette histoire), le sillage Ellena est diffus, transparent et fugace.

    Ellena revendique l 'emotion olfactive, c 'est exactement ce que je ne retrouve pas dans sa parfumerie. Ses parfums sont froids, distants et sur la peau expriment peu la sensualite.

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  8. Garde Rose, oui, mais les mots, c'est tout ce qu'on a pour parler des parfums -- autant qu'ils soient précis, non?
    Je comprends ce que tu veux dire au sujet de la froideur des parfums de Jean-Claude Ellena, j'y pensais justement hier... Mais ce n'est pas systématiquement le cas: je pense notamment à Ambre Narguilé, Osmanthe Yunnan et Vétiver Tonka, mais aussi à La Haie Fleurie chez l'Artisan ou à Cologne Bigarade chez Frédéric Malle.
    Pour l'émotion... Là, c'est forcément subjectif. S'il est vrai que le ton est feutré, cela ne veut pas dire qu'elle est absente.

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  9. Quel sujet passionnant! On ne peut être que ravi de cet échange!
    Je comprends ce qui manque aux amoureux des orientaux dans les créations d'Ellena, mais personnellement, je trouve qu'il est injuste de dire qu'elles manquent d'émotion. Pour moi un Ellena c'est les nymphéas de Monet avec du Debussy en fond. L'émotion d'une douceur translucide, auquel l'adjectif épuré conviendrait mieux que minimaliste, alors? Alors non, les créations d'Ellena n'ont pas la sensualité d'un Ambre Sultan ou d'un Musc Ravageur, mais qui a dit que la tendresse n'a pas la même profondeur que la passion?
    Muguette

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  10. "translucide" et "epure" on ne pourrait trouver plus juste! Suis un peu d 'accord pour "douceur", enfin tout depend des parfums.

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  11. Muguette: épuré, translucide, limpide, zen... En effet, les adjectifs ne manquent pas! Jean-Claude Ellena lui-même livre une classification des parfums très différente de celles auxquelles nous avons habituellement recours, pour parler des formes de *perception* du parfum, qui emprunte aux vocabulaires des beaux-arts et de la musique: baroque, classique, abstrait, figuratif, narratif et minimaliste. C'est très intéressant de repenser nos catégories à partir de là.

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  12. Garde Rose: c'est vrai, le style Ellena est très cohérent, mais il y a des variations tout de même... Douceur, pourquoi pas? Parce qu'il n'y a pas d'aspérités dans ses compositions...

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  13. carmencanada, je trouve Un Jardin sur le Nil assez acide et reche, de meme ses parfums aux notes de tete hesperidees acidulees comme Rose Ikebana ou Kelly Caleche.

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  14. Merci pour ces précisions sur le Minimalisme qui sont en effet très intéressantes et nous rappellent que mal employer les mots nous mènent souvent à des contre-sens.
    Cependant, je pense que le terme de "minimaliste" (comme adjectif et non en référence au mouvement artisitique) pour décrire le style de Jean-Claude Ellena ne disparaitra pas, parce qu'il exprime bien ce que certains ressentent à propos de ses parfums.

    J'ai pour ma part une certaine admiration pour beaucoup de ses créations (notamment celles pour L'Artisan et quelques Hermessences), mais je rejoins Garde Rose quand elle parle du manque d'émotions. Pour certaines fragrances, j'ai la sensation que le parfum ne décolle pas, souvent je le trouve beau, mais il reste vide. Est-ce du au style de création justement?

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  15. Garde Rose: oui, je vois ce que tu veux dire, j'avais oublié UJslN... Pour Kelly Calèche, passée la note de tête, je le trouve incroyablement *humide*... Ça me fascine. Mais je pensais plutôt aux fondus des créations que je préfère, comme Vétiver Tonka, Vanille Galante et Osmanthe Yunnan.

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  16. Poivre Bleu, effectivement, on n'empêchera personne d'utiliser cet adjectif! Mais j'ai trouvé intéressant de faire écho aux remarques que JCE m'a adressées: il est toujours passionnant de découvrir la façon dont un créateur décrit sa propre démarche.
    Quant au manque d'émotion: dans ce qu'écrit JCE, il ne parle pas d'émotion mais de sensible, c'est-à-dire de perceptible, de sensation, ce qui n'est pas la même chose. Effectivement, ses parfums sont souvent assez peu démonstratifs de ce côté-là. Comme un mélange d'austérité et de sensualité retenue, quelque chose d'assez intellectuel, via l'olfaction... Je comprends très bien qu'on ne s'y retrouve pas toujours.

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  17. Vétiver Tonka et Osmanthe Yunnan, honte a moi, je ne les connais pas! En fait, j'aime pas le vetiver ni le the en parfumerie alors je suis passee a cote. Vanille Galante, il me tarde de le sentir, la je suis curieuse mais pas sure que ce soit sorti aux Etats-Unis.

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  18. Garde Rose: le vétiver est assez atypique, avec une note noisette grillée, ni terreux, ni citrus... Pour OY, c'est l'osmanthus qui prédomine, avec ses accents abricotés. Vanille Galante... n'est pas tant une vanille qu'un lys, mais avec une toute autre texture que SL Un Lys... Je ne sais pas si elle est arrivée aux USA, mais il me semble que oui.

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  19. Oui, Vanille Galante est disponible aux États-Unis chez les boutiques Hermès, depuis février.

    Quant aux émotions en parfum, je me demande, comment trouve-t-on une émotion dans un parfum? Il doit y avoir des odeurs qui fonctionnent comme signes des émotions (en fait, que nous nous sommes habitués à regarder comme signes de la sensualité, de la passion, etc.). Bien qu'on soit habitué à cette "sémiologie des odeurs", les signes ne sont pas absoluement "fixées." Ce que je trouve très intéressant chez Vanille Galante est que JCE a transformé l'odeur de vanille, et en le transformant, a rédeployé la vanille comme signe d'une sensualité plus raffiné, plus éthéré. Car nous connaissons aussi la vanille comme l'odeur plus gourmand, plus "corporel", la tension entre les deux significations peut-elle nous révéler quelque chose de nouveau quant à notre sensualité? (Si nous deviendrons anges au ciel, est-ce que nous n'aurions plus la sensualité, ou aurions-nous une sensualité plus pûre, plus divine?)

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  20. Jarvis, c'est très intéressant, ce que tu développes là. Comment déplacer la valeur du signe "vanille", l'investir d'un sens différent (ni gourmand, ni oriental, ni Guerlain)? Je pense que c'est l'une des choses qui m'ont époustouflées dans Vanille Galante et pour le coup, l'émotion était intellectuelle, esthétique, autant que liée au plaisir sensuel.
    Dans sa conférence à l'IFM, JCE disait: "Si vous comprenez le parfum, je vous donne de la joie". Ce qui est tout à fait cohérent avec ce qu'il m'écrivait dans le mail que je cite ici: "concilier le sensible et l'intelligible".

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  21. Je suis assez d'accord avec Poivrebleu. JC Ellena a sans doute raison de préciser que sa démarche ne relève pas du minimalisme au sens strict du terme, si minimalisme au sens strict désigne "mouvement artistique (pictural et musical) né dans les années 60". Cependant, je constate que pour dire qu'il n'est pas minimaliste, il se réfère à une définition du minimalisme donnée par... lui-même dans son propre livre! C'est un peu circulaire comme mode d'argumentation.

    De plus, peut-on vraiment dire que Ellena n'est pas minimaliste parce qu'il est figuratif? De même qu'il peut y avoir un art abstrait qui ne soit pas minimaliste (il ne faut pas confondre minimalisme et abstraction), peut-être n'est-il pas tout à fait aberrant de penser qu'il est possible d'être figuratif ET minimaliste à la fois?

    Si on suit la définition rigoureuse du minimalisme que vous avez citée, le minimalisme en parfumerie pourrait être représenté par une démarche comme celle qui a donné C16 d'Indult: une unique molécule de synthèse diluée dans l'alcool. Là effectivement, on a la matière pour la matière, qui plus est une matière synthétique. Ellena ne serait donc pas minimaliste au sens, non pas où ses parfums sont figuratifs, mais où ils sont composés.

    Cela dit, je pense que l'on peut dire que la démarche d'Ellena, si elle n'est pas à 100% minimaliste selon cette définition rigoureuse, partage certaines caractéristiques avec le minimalisme, par exemple l'exigence d'épure: l'épure n'est pas seulement une conception erronée et "vulgarisée" du minimalisme, c'est quelque chose d'essentiel au minimalisme. Il s'agit d'exclure le superflu pour mettre en avant quelque chose supposé essentiel, primordial, etc. Or c'est bien cela que fait Ellena pour Brin de réglisse: il retire ce qu'il estime être les éléments superflus pour obtenur une certaine pureté de la senteur. En ce sens, je pense qu'on est parfaitement en droit de dire que sa démarche est minimaliste (que ça lui plaise ou non!).

    Dernière remarque générale: un artiste n'est pas forcément le mieux placé pour théoriser sa propre pratique, même si son témoignage quant au processus de création est évidemment très précieux. Ainsi, rien n'interdit aux amateurs, critiques, historiens... de faire cette théorisation en toute liberté et sans autocensure par rapport à ce que dit l'artiste de lui-même (c'est même leur boulot!).
    En l'occurrence, Ellena semble tenir beaucoup à proposer un discours visant à justifier et argumenter sa démarche et sa vision artistique. Très franchement, ce que j'ai lu de lui à ce propos m'a toujours paru assez confus: d'un côté, il prétend fonder sa pratique sur une pensée et des partis pris esthétiques forts, mais concrètement, il justifie ses créations par l'usage de procédés techniques inédits qui sont le fruit de l'innovation technologique et ne sont pas directement liés à des considérations esthétiques (voir encore une fois ce qu'il dit de sa création de Brin de réglisse). De plus, ce qu'il dit des trois époques de la création de parfums dans la conférence dont vous avez publié un compte rendu m'a laissé complètement dubitatif...
    Bref, je pense que Ellena est un grand parfumeur, mais un mauvais théoricien! A ce titre, je me joins aux éloges sur Vanille galante que j'ai découvert aujourd'hui même!

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  22. Friedrich,
    Vous soulevez énormément de questions intéressantes auxquelles je vais essayer de répondre sur certains points…

    1/ JCE se réfère à une définition donnée dans son propre livre, certes, mais cette définition, bien que très succincte, correspond cependant assez bien à celle du mouvement Minimaliste, pour autant que je sache ;

    2/Encore une fois, pour ce que je connais du Minimalisme, il n’existe pas de figuration dans les œuvres plastiques du mouvement, ni de référence à la nature ;

    3/Cela étant, dans l’acception plus large du terme minimaliste, en effet, on ne peut pas nier que l’adjectif puisse s’appliquer à certaines des compositions de JCE, je suis d’accord avec vous ;

    4/Je suis également d’accord avec vous quant au fait qu’un artiste ne soit pas forcément le meilleur théoricien de sa propre démarche, mais il se trouve que JCE est l’un des rares parfumeurs à expliciter son approche : donc, comme vous le dites, son apport est précieux. Si vous vous référez au post auquel JCE a réagi, je pense que vous y trouverez un ton qui n’est pas tout à fait déférent à son égard. Mais je ne vous cache pas que j’ai été étonnée et honorée -- disons le mot : flattée -- qu’il prenne la peine de me lire, et de m’écrire pour me faire part de sa réaction. Cette réaction même me semblait intéressante. Et je n’aurais pas écrit moi-même ce nouveau post si je n’avais pas pensé qu’il avait raison sur ce point. N’y voyez pas d’autocensure.

    5/Je ne suis pas entièrement certaine que l’innovation technologique soit ce qui fonde la démarche d’Un Brin de Réglisse : la technologie est l’instrument qui permet de parvenir au résultat esthétique souhaité – ou alors, je n’ai rien compris.

    6/En effet, la réflexion théorique sur l’esthétique du parfum n’est pas encore un genre très développé, et il n’est pas sûr que les parfumeurs soient les mieux à même de le faire. Seuls Edmond Roudnitska et Jean-Claude Ellena s’y sont vraiment attelés… pour l’instant.

    7/La conférence de JCE à l’IFM étant destinée à des étudiants de mode essentiellement, son histoire du parfum a été un peu schématique. Mais encore une fois, c’est un point de départ.

    8/ Et, oui, c’est un grand parfumeur et c’est ce qui compte le plus !

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  23. Merci de votre réponse très complète. J'ai bien compris que vous adhériez profondément au refus d'Ellena de l'affiliation au minimalisme, et pas pour lui faire plaisir ou lui graisser la patte (je n'en attendais pas moins de vous!), et visiblement, pour associer figuration et minimalisme, il faudrait faire subir une forte distorsion au concept de minimalisme, je fais amende honorable sur ce point.

    Pour la place de l'innovation technologique, en fait ça fait partie des choses que je ne trouve pas très claires dans le discours d'Ellena justement, car on a parfois l'impression (moi du moins!) qu'il l'utilise comme argument, alors qu'il essaie par ailleurs de fonder son esthétique sur autre chose. Après, c'est un peu la question de l'œuf ou de la poule: est-ce que le créateur obtient sa vision parce que les outils techniques sont là qui permettent de la réaliser (la technique a une influence sur la vision), ou est-ce que c'est la vision du créateur qui provoque l'innovation technique et l'oriente (la technique n'est qu'au service de la vision et n'en change pas profondément la nature), vaste débat que je me garderais bien de trancher...

    Mais c'est vrai que ce serait intéressant que ces questions soient davantage traitées à propos de la parfumerie, là nous sommes tous d'accord je crois!

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  24. Je rejoins tout à fait Friedrich, puisque nous évoquions tout récemment ce qu'il a longuement et précisément détaillé plus haut.

    "Un artiste n'est pas forcément le mieux placé pour théoriser sa propre pratique"

    Mille fois vrai!
    Combien d'artistes restent perplexes face à leur oeuvre et à la façon dont elle est reçue.
    L'art implique pour moi une sorte de lâcher-prise dans la vision. Quand on créé il est difficile de se dire "je vais faire ci pour évoquer ça, et ce détail là aura telle signification... etc" encore moins de définir totalement et définitivement à l''avance sa création.
    Créer, c'est ouvrir une porte sur l'inconnu.
    Sinon c'est que JCE est davantage un "intellectuel-artisan" dans son souci de maîtrise et de définition.

    Il est vrai que le souci, c'est qu'il est bien le seul parfumeur à "parler".
    Est-ce parce qu'il est l'un des seuls parfumeurs visionnaire ET technicien à la fois?
    Je me suis posé la question.
    Mais un visionnaire qui n'est pas réellement libre hélas... Car au final, comme on peut le lire dans "The perfect scent" ce n'est pas lui qui tranche ou impose entre plusieurs propositions différentes, pas plus qu'il ne choisit le thème sur lequel il va créer. Pour les exclusifs, c'est peut-être différent, mais pour la série des jardins, c'est bien le cas.

    Je ne suis pas étonnée enfin que Jean-Claude (appelons-le par son prénom après tout...) lise vos articles et y réagisse. Depuis longtemps il considère très positivement les blogs/critiques, il citait Now Smell This dans son "Que sais-je" sur le parfum. Et au passage, Grain de musc est l'un des meilleurs du genre, qui va au-delà de la critique simple, avec des essais pertinents et des échanges vivants et interactifs.

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  25. Friedrich, dans la mesure où plusieurs créations en parfumerie tirent leur source de la mise au point, ou de la découverte des utilisations possibles, de nouveaux matériaux, je crains que la question de l'oeuf ou de la poule ne soit jamais résolue! Pas de Trèfle Incarnat sans salicylate d'amyle, pas d'Après l'Ondée sans aldéhyde anisique, pas de parfums aldéhydés (le N°5 n'étant pas le premier) sans aldéhydes aliphatiques...
    Dans le cas qui nous occupe, certes, c'est JCE qui a sollicité un laboratoire pour des molécules haute couture: quant à savoir s'il avait une idée en tête ou si les laboratoires Monique Rémy lui ont proposé cette possibilité... Je ne sais pas si c'est très important.
    Le discours de JCE quant aux innovations techniques auxquelles il peut avoir recours me semble plutôt procéder d'une volonté de transparence par rapport à un métier qui nous jette trop souvent aux yeux de la poudre de perlimpinpin. Je trouve qu'il s'agit d'un véritable progrès dans la communication en parfumerie. Chez Frédéric Malle aussi, on tient ce discours: certains produits de synthèse sans équivalent dans la nature sont nommément cités. Je m'en réjouis, car cela va dans le sens d'un apprentissage du public, seule condition de l'appréciation réelle des parfums.

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  26. Bénédicte, tout d'abord, merci! Je pense que le fait que JCE réagisse à ce que j'ai écrit confirme en effet que même un parfumeur de sa réputation considère certains blogs comme des interlocuteurs valables. Mais aussi, comme le laissait entendre Friedrich, qu'il attache une certaine importance à la façon dont on décrit son travail -- ce qui est intéressant en soi.

    Quant au fait que les artistes ne soient pas les mieux placés pour parler de leur oeuvre... Il se trouve que je fréquente énormément le milieu de l'art (la plupart de mes amis sont artistes ou critiques) et que... en fait, tout dépend des artistes. De plus en plus, ces derniers se trouvent dans l'obligation de tenir un discours sur leur démarche: certains y réussissent fort bien.

    Tout cela me rappelle ce que mon ancien professeur, le philosophe Michel Serres, disait en cours. Pour paraphraser, les artistes fabriquent les boîtes noires, et il revient aux philosophes (ou aux critiques) le soin de les ouvrir, de les déplier pour trouver le sens...

    Quant à la liberté de JCE, elle est certes limitée -- il a un employeur, après tout -- et c'est ce que je signalais dans mon post d'origine, au sujet de la création des Jardins. JCE ne cache pas à quel point il doit peiner pour trouver une inspiration olfactive in situ, ni dans le livre de Burr, ni dans les films tournés sur place par Hermès! Mais cette liberté est supérieure à celle de bien d'autres compositeurs de parfum, puisqu'il ne passe pas par le brief, à part le thème de départ. Il propose, l'équipe d'Hermès dispose, mais elle n'impose pas.

    J'évoque depuis quelques temps, avec certains parfumeurs, la possibilité de transposer leur esthétique en discours. Tous ne sont pas des hommes de plume, et c'est par leurs parfums qu'ils s'expriment. Mais cela ne signifie pas pour autant qu'ils n'aient pas d'idées. À creuser!

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  27. Il y a baroque et Baroque, style moderne et Modern Style, minimaliste et Minimalisme. Descripteurs et Mouvements dans l'Histoire de l'Art. Manifeste d'origine, théories (utopies) et adeptes / fondateurs d'un groupe. Il y a aussi le nom d'un mouvement donné par les créateurs ou par des historiens de l'art après la "consommation" de cet art. C'est le cas aussi du terme "art néoclassique" qui a commencé à être utilisé à la fin du 19ème siècle à l'occasion d'une expo. Ce n'était pas le terme utilisé par les contemporains du style, fin 18eme et début 19ème.
    Même si Jean Claude Ellena ne définit pas sa création comme... minimaliste, il a influencé quand même une génération de parfumeurs qui ont extrait de ses créations cette esthétique.
    Après, il faudrait voir ce que minimalisme veut dire dans les autres arts. Si l'Art Minimal a un sens très précis dans l'art contemporain… le minimalisme a d'autres connotations en architecture et design qui en plus n'avaient rien en commun avec le mouvement des années 60. L'économie des moyens et la mise en valeur de chaque élément de "construction" c'est aussi le commun de l'architecture de Adolf Loos (Ornement et Crime) et plus tard de Mies et de l'école américaine. Ce n'est point le rejet de la nature et l'œuvre "abstraite" (De Stijl, Corbusier, etc.) mais une vision…qui s'approche d'une esthétique japonaise ancienne.
    Ce que Jean Claude Ellena "écrit" avec les matières premières c'est une sorte d'haïku.
    Pourtant le style figuratif c'est plus Olivia Giacobetti et Pierre Bourdon qui d'ailleurs a initié ce mot ("Vers une parfumerie figurative") en tant que rejet de l'abstraction dans les années 90. Le parfum paysage ou histoire racontée c'est aussi Pierre Bourdon et Dune pour homme à la note figue, bien avant Un Jardin en Méditerrané. A la dernière conférence de la SFP JCE parlait aussi d'un parfum actuellement en vente qui a moins de 5 ingrédients. Si cela n'est pas une approche épurée… que serait-ce alors?
    Il est aussi vrai que certains termes ont une connotation très stricte et déterminée pour les domaines des arts. On parle pas de musique rococo pour définir ce qu'on écoutait dans les salons de l'époque style rocaille. Et la musique classique n'est pas toujours la musique du temps de David.
    Il y a aussi des différences de nuance - JCE minimaliste et JCE style minimaliste. Et aussi des perceptions différents du même style historique par les différentes époques ultérieures.
    Et si Jean Claude Ellena se refuse ce terme, comment pourrait-on appeler ce genre de parfumerie pour résumer ce qu'elle est et ce qui la différencie des autres?

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  28. Octavian, je me suis demandé en effet comment définir le style de JCE en l'absence du terme "minimaliste". Lui-même, dans sa conférence à l'IFM, parle de style "évolutif", mais cela ne me semble pas satisfaisant.
    Et effectivement, dans le Que Sais-je, les termes de "baroque" et de "classique", notamment, sont utilisés dans une acception beaucoup plus large que celle des époques auxquelles on applique ces termes.
    Tu as raison de parler de Loos, Mies, Corbu... les Modernistes. Mais ce terme-là ne semble pas s'appliquer à JCE non plus, à cause de ce côté "évocation d'ambiance" (plutôt que strictement figuratif) qu'on retrouve dans les Jardins, Eau Parfumée au Thé Vert ou Eau de Campagne, par exemple. Giacobetti fait partie de la même "école", en effet. Premier Figuier, c'est d'ailleurs 1994, deux ans avant Dune pour Homme. Mais bon, la question n'est pas de savoir qui a introduit une note avant qui.
    A ton avis, Pierre Bourdon fait-il partie du même groupe esthétique que Jean-Claude Ellena?

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  29. Evolutive surtout pas! Je ne connais pas un parfum qui ne soit évolutif, à part une sollution d'Iso E Super :)
    A ma connaissance oui!

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  30. Octavian: en effet. On n'est pas plus avancés...

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  31. Salut tous le monde.
    Je suis étudiante en 5eme année architecture d'intérieur et je suis entrain de preparer mon projet de fin étude qui parle du style minimaliste dans la décoration d'intérieur.
    Par hasard, je suis tomber sur ce blog en faisant des recherches et j'aimerais bien savoir votre avis sur le sujet, bien sur si ça ne vous pose pas de problème.
    Vraiment je serais ravi de lire vos commentaire.
    Merci bien a vous

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  32. Medusacupidon, je crains de ne pas avoir grande compétence en la matière... ma maison à moi est plutôt de style baroque-éclectique!

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