lundi 9 décembre 2013

Avec Replica, Margiela joue le parfum comme média social




Il y a quelques semaines, au sujet du 1996 de Byredo, je parlais du problème des visuels dans la parfumerie de niche. Aujourd’hui, il me semble que les marques de niche doivent s’interroger sur la pertinence d’un passage à l’image. Un tournant à négocier selon des codes spécifiques au niche, qui ne gagnera jamais à se mesurer aux visuels produits par des marques de luxe.

Certes, Maison Martin Margiela n’est pas à strictement parler une marque de niche. Elle appartient désormais à Diesel ; la licence parfum est détenue par L’Oréal. Mais bien qu’en tant que marque de prêt-à-porter, MMM puisse se fonder sur un corpus visuel préexistant, elle entretient des rapports assez particuliers à l’image. Son fondateur ne s’est jamais montré ; le studio de créateurs qui lui a succédé est anonyme ; ses étiquettes n’ont longtemps été que des rectangles de tissu blanc, et ne portent encore qu’une suite de numéros indiquant les différentes collections, sans logo.

La ligne de parfums reflète ce statut particulier. Untitled oscille entre le mainstream et le niche. D’un point de vue olfactif, le parfum, signé Daniela Andrier, aurait pu sortir chez Prada. Le nom, écho de l’anonymat du créateur, relève des codes de l’art moderne/contemporain – les créations MMM ont souvent été la traduction dans le champ vestimentaire de procédés inventés par les avant-gardes artistiques. Le flacon de labo, avec son étiquette « dactylographiée », relève quant à lui des codes du niche.

C’est également vers le niche que penche la série des Replica, « reproduction d’odeurs et de moments familiers dans divers lieux et époques ». Une source d’inspiration qui remonte sans doute à Après l’Ondée, mais dont le processus a été formalisé dans les années 90 par Christopher Brosius (d’abord chez Demeter, puis avec sa propre marque CB I Hate Perfume) et L’Artisan Parfumeur sous la direction artistique de Pamela Roberts, puis adapté par Hermès dans la collection des Jardins.

« Replica » est, en fait, une ligne MMM depuis 1994 : des reproductions de vêtements trouvés aux Puces, dotées d’une étiquette indiquant leur origine, leur fonction et leur époque – un geste qui combine le ready-made et l’appropriation art

Transposer ce geste au parfum est pour le moins problématique. Les Replica sont fondés par des souvenirs olfactifs. Mais ceux de qui ? Pas Martin Margiela puisqu’il n’est plus là (le seul parfum dont il ait donné le brief, un mystérieux patchouli, n’a jamais été commercialisé). Les souvenirs, nous apprend-on chez L’Oréal, sont fournis par « le créateur », autrement dit l’équipe de MMM. Mais contrairement aux vêtements Replica, ces souvenirs ne peuvent être copiés, à moins que le parfumeur ne soit télépathe… Il doit donc tirer de ses propres souvenirs les notes indiquées par le mood-board que fournit le studio MMM.

On ne saura donc sans doute jamais si la « Promenade in the Gardens, Oxfordshire, 1986 » de Carlos Benaïm (IFF) reproduit fidèlement l’expérience qui lui donne son nom. Et peu importe. C’est beau, cette moiteur verte, mousseuse, florale qui monte de la végétation après une averse d’été… Le cœur floral est celui, canonique, de la parfumerie française – rose et jasmin. Mais plutôt que des fleurs précises, on sent un flouté de pétales (l’accord freesia, qui combine des notes fleur d’oranger, violette et fruitées, y est sans doute pour quelque chose). Le vétiver qui domine l’accord vert, souligné d’un crissant acidulé un peu rhubarbe, ajoute une lichette de yang à ce yin floral – on peut songer en passant à l’Ylang 49du Labo, qui joue sur des effets similaires. Ce vétiver plutôt sage, sans facettes fumées ou racinaires, est ce qui donne son relief et son charme à cette Promenade in the Garden. (La nouvelle série comprend également Lazy Sunday Morning de Louise Turner de Givaudan et le Jazz Club d’Aliénor Massenet d’IFF).

Le plus intéressant, dans cette nouvelle édition de Replica, est le dispositif mis au point par MMM/L’Oréal, que retourne littéralement le principe du mood-board. Tout se passe comme si l’étiquette blanche était devenue un écran sur lequel les aficionados du parfum pouvaient projeter leurs propres souvenirs olfactifs, éléments d’une « mémoire olfactive évolutive et collective ». Autrement dit : si l’un des Replica vous parle, vous pouvez lui répondre en collant une photo sur Instagram avec le hashtag #SMELLSLIKEMEMORIES, ou la charger directement sur le compte Tumblr de Replica.

Pour impliquer le consommateur, c’est franchement bien vu. Pour résoudre le problème des visuels, nickel : on les crowd-source, bien que les premiers aient été fournis par des photographes de renom, mais aussi par les parfumeurs. Mais c’est surtout une façon d’exposer ou plutôt, de prendre appui sur le mécanisme par lequel on s’approprie un parfum, en l’intégrant à une narration personnelle. En nous invitant à partager la photo-souvenir d’une expérience intime, Replica met en œuvre – et dévoile – la fonction de média social du parfum.

Photo: "Promenade in the garden" illustré par son auteur Carlos Benaïm pour le compte Tumblr des parfums Replica.




2 commentaires:

  1. bonjour Denyse,

    à propos de cette 'mise en visuel" du niche, je viens de tomber sur une pub sur YouTube pour l'Artisan Parfumeur . 30 secondes dont 5 obligatoires avant d'accéder à ce qu'on voulait voir, la pire prise en otage de la pub sur la toile, nous oblige à assister en direct au premier suicide involontaire de marque niche. Le nom déjà, tellement main stream, "explosion d'émotions" avec Skin on skin, Deliria et autre, la musique, l'image, le concept. ça y est, nous y sommes, main stream et niche confluent. Ou alors, il faudrait sortir l'Artisan Parfumeur des marques niche.
    une autre possibilité.
    hélène

    RépondreSupprimer
  2. Hélène, j'avoue ne pas avoir regardé cette pub. Jouer sur le même terrain que les "grands", avec les mêmes codes mais sans les mêmes moyens... en principe ça me semble périlleux, mais en même temps, comment se faire connaître dans un environnement de concurrence de plus en plus effrénée? Le principe de cette collection me laisse un peu perplexe. Entre son prix très élevé, son packaging très luxueux, ses formules pas du tout mainstream (surtout Déliria), son nom en effet plutôt grand public et cette pub qui est, me semble-t-il, le premier film publicitaire d'une marque de niche diffusé au cinéma... C'est, en tous cas, une prise de risque.

    RépondreSupprimer