L’exposition The Art of Scent débutera le 13 novembre au Museum of Arts and Design de New
York. Son commissaire, l’ancien
critique de parfum du New York Times Chandler Burr, m’a fait parvenir (ainsi
qu’à plusieurs blogueurs), le lien de l’article que lui consacre le critique d’art de Newsweek, Blake Gopnik. Une occasion d’entrevoir comment le monde l’art
recevra la première exposition d’« art olfactif »…
Lorsque Chandler Burr tente de le convaincre que l’Eau
de Protection d’Antoine Lie et Antoine Maisondieu pour État Libre d’Orange
est « l’une des œuvres les plus fascinantes jamais créées, dans n’importe-quelle
forme d’art », Blake Gopnik reste pour le moins perplexe. Selon Burr, ce parfum est « le portrait d’une
femme si belle que la rose coule dans son sang. Un homme arrive avec un couteau
en métal et le plonge dans son cœur. Et ceci et l’odeur de son sang qui coule
sur la lame. » L’image est frappante, et correspond bien au parfum.
Mais un peu difficile à réconcilier avec la position adoptée par Burr durant
notre débat à l’Institut Français de la Mode, puisqu’il a soutenu que les
histoires accompagnant les parfums ne l’intéressaient absolument pas. À moins
qu’il ne s’agisse que des histoires fournies par les marques ? Pourtant,
la version d’ELO semble tout aussi valide…
Gopnik ne perçoit d’abord qu’une odeur de savonnette dans l’Eau de
Protection. Une fois nommée, la rose lui apparaît. Pas le sang. « “C’est
bizarre ! C’est étrange !”, insiste Burr. “Si une
sonnette d’alarme ne se déclenche pas quand vous sentez ça, vous avez un
problème neurologique.” » Ou
bien tout simplement, signale Gopnik, c’est qu’il est un « Philistin de
la fragrance ».
Si le critique d’art admet volontiers que son nez est trop inculte pour
discerner les nuances des parfums qu’on lui présente, il reste néanmoins
capable de signaler ce qui lui paraît une erreur de raisonnement de son
interlocuteur : l’« idée étrange » que seuls les parfums
comportant des matières premières synthétiques peuvent aspirer au statut
artistique. « Burr, autodidacte en théorie de l’art, semble avoir assimilé
l’artifice de l’art à la notion chimique de l’artificiel, et maintenant il s’y
accroche. »
On peut se demander si les hyperboles de Burr ne risquent pas de nuire à la cause qu’il
défend en braquant ses interlocuteurs du monde de l’art. Qui abordent la question munis de plusieurs siècles de réflexions
esthétiques et philosophiques, alors que le corpus critique du parfum est encore embryonnaire et se développe de façon plutôt anarchique. Gopnik conclut que « malgré le
prosélytisme de Burr, la gamme d’expériences proposées semble plus restreinte
que dans d’autres formes d’art », limitée à un « expressionisme
abstrait qui relève de l’émotion et de vagues allusions au monde »,
alors que l’art regorge de « contenu (…) au sujet de presque tout ce
que les êtres humains peuvent penser. »
Dans un article de 2009 pour le Washington Post, Gopnik tenait un
raisonnement assez semblable au sujet de Ferran Adrià, le célèbre chef
catalan d’El Bulli, auquel son approche expérimentale de la cuisine avait valu de
figurer parmi les artistes de la Documenta 12 de Kassel en 2007 (un repas à El
Bulli faisant office d’œuvre). Cette cuisine d’avant-garde, souligne le
critique, « est encore prise dans l’abstraction,
mais elle joue sur la palette (ou le palais) traditionnelle des sensations ;
alors que le meilleur de l’art d’aujourd’hui peut tenter de dire des choses
importantes sur le monde, de changer notre façon de penser. Il s’agit de
nouveaux contenus autant que de sensations inédites. »
Lorsqu’il s’agit d’analyser le potentiel et les
limites de la cuisine comme forme d’art, Gopnik reste en terrain connu. Bien qu’Adrià
transforme les textures et les présentations à tel point qu’un aliment familier
reste méconnaissable jusqu’à ce qu’on le goûte, ses préparations sont tout de
même plus lisibles au non-initié que n’importe-quel parfum, ne serait-ce que
parce que les ingrédients sont nommés et pour la plupart familiers. Par
exemple, on peut parfaitement percevoir et juger du caractère inédit de l’écume
de parmesan surgelée d’Adrià, puisqu’on a déjà mangé ce fromage sous une forme
plus courante…
Mais comment faire comprendre à un critique, si
cultivé et ouvert fût-il, à quel point Jicky
a été révolutionnaire ? Peut-être en le mettant en parallèle avec des
créations contemporaines qui n’avaient pas recours aux matériaux de synthèse,
ou qui restaient résolument figuratives, ou encore à un Jicky 100% naturel ? En comparant, par exemple, la teinture de
vanille à la vanilline ? Le mariage de
la rose et du sang dans l’Eau de
Protection ne serait-il pas plus lisible en sentant l’huile de rose et le
sang, ainsi que ce qui, dans l’huile de rose, l’apparente au sang (l’oxyde de
rose, par exemple) ? Gopnik ne rapporte pas avoir senti des matières
premières. Il est vrai que Chandler Burr affirme haut et fort qu’il est idiot
de parler de matières premières – en tous cas, pour les blogueurs, puisque
lorsque j’ai assisté à son Scented Dinner 100% Ellena à Pitti Fragranze,
plusieurs matières premières étaient présentées pour chaque composition… L’article de Blake Gopnik démontre en tous cas
qu’avant de faire comprendre aux non-initiés la dimension esthétique d’un
parfum, il faut s’atteler à la formation, ce qu’aborderont les conférences, ateliers
avec des parfumeurs et salon interactif proposés autour de l’exposition.
Gopnik
note au passage dans son article les aptitudes linguistiques remarquables de
Burr. « Je ne peux pas additionner deux chiffres [embêtant pour le
détenteur d’une maîtrise en économie ?], mais je peux apprendre une
langue en trois mois environ », lui explique ce dernier. C’est sans doute ce talent réel pour les
langues qui lui a permis de convaincre un grand musée de créer un poste inédit
de « conservateur d’art olfactif », et l’industrie du parfum de lui
accorder des fonds considérables pour son exposition. Il a en effet été le
premier à parler la langue du parfum au monde de l’art, et la langue de l’art à
l’industrie du parfum avec assez de conviction pour réaliser un projet de cette
envergure. Formidable réussite, donc, qui ouvrira au public une nouvelle façon
d’aborder le parfum sous un angle plus purement esthétique. Mais quant à savoir
si c’est de l’art ou du sent-bon… peu importe, au fond. Rien n’est plus
excitant que d’apprendre une nouvelle langue.
S’il y a quelqu’un qui le sait, c’est
bien Chandler Burr.
Remarquable synthèse et réflexion Denyse, merci une nouvelle fois !
RépondreSupprimerCe qui est inquiétant, c'est finalement de savoir qui déterminera si un parfum x est une oeuvre artistique, voire même un chef d'oeuvre. Dans le cas d'une peinture, on voit bien les multiples facteurs, s'étalant sur des siècles effectivement, qui conduisent à des classifications que personne ne songerait à remettre en cause. De la même manière, qui décidera si tel ou tel parfumeur est un artiste ou seulement le détenteur d'un savoir-faire, lequel aussi sophistiqué soit-il, ne serait pas de l'art ? D'une manière générale, je suis assez méfiante quand un domaine de compétence semble devenir la propriété privée d'une certaine élite, même new-yorkaise. Sans même évoquer la question: le marché fait-il l'art ? Mais vous avez bien fait de finir sur un regard tourné vers l'avenir. Les amoureux du parfum ne peuvent que se réjouir de cette exposition. Pourvu cependant que les jugements un peu implacables ne refroidissent pas les amateurs. Je suis parfois restée de glace devant des oeuvres picturales. Et je n'aurais pas aimé qu'on me dise que je souffrais d'un problème neurologique...
Narriman
Narriman, on pourrait se dire qu'à partir du moment où la parfumerie est un art, tout parfum est une oeuvre -- qu'il s'agisse d'une grosse daube commerciale ou d'une création époustouflante. Et que parmi ces oeuvres, certaines sont meilleures que d'autres, qu'il existe des styles, des "écoles", etc.
RépondreSupprimerMais bien que j'aie défendu mordicus la thèse du parfum-comme-art il y a deux ans en ces pages, j'en suis précisément à me demander si c'est bien là la question pertinente. Celle de l'oeuvre de l'esprit me semblant plus pressante à régler. C'est justement l'impureté du parfum comme forme d'expression créative qui m'intéresse, elle est bien plus riche qu'une idée essentialiste de l'art remontant aux années 50...
Comme, s'agissant d'explorer la dimension artistique du parfum (indéniable) on part de vraiment très loin dans les institutions culturelles, on n'assiste pas vraiment encore à ce qui serait un travail de commissaire d'exposition dans le domaine de l'art (nouvelles lectures, croisements, etc.) mais à un B-A-BA. La liste des parfums exposés pouvant éventuellement croiser celle des entreprises ayant financé l'exposition.
C'est un pari en tous cas très audacieux de la part du Museum of Arts and Design.
Très interessant. Et riche en questions qu'on peut se poser.
RépondreSupprimerPeut-on avoir une culture du parfum sans connaissance réelle des matières – leur contenu olfactif – qui composent les jus ? Une culture historique, de bachotage encyclopédique, sans aucun doute oui ; une culture intrinsèque aux parfums, à leur "qualité" et leur rendus respectifs, est déjà plus compliqué sans s'être jamais confronté assidûment aux MP. En revanche, j'ai lu qu'il existait d'excellents parfumeurs qui avaient une culture plus que lacunaire des parfums, de leur perspective historique, etc. Ça ne les intéresse pas plus que ça.
Autre question : Si on considère Jicky ou Angel ou, allez, Eau de Protection, comme des oeuvres d'art, qu'en est-il alors du Coca-Cola, formule révolutionnaire, ou de la crème anti-âge Pulsar by Mutek (3 ans de recherches biotech, une centaine d'ingrédients de derrière les fagots, prix en rapport), tout aussi révolutionnaire. C'est quoi "l'art" en fait ? La voilà la question. Toujours ce fameux clivage entre art et artisanat, on n'en sort pas. Ajoutons, tant qu'on y est, la performance technique. Ça devient encore plus flou. L'horloger qui a passé deux ans sur un boîtier à "complications" unique au monde, a-t-il fait oui ou non une "oeuvre d'art" ? On a envie de dire oui (en tout cas moi), mais un féru d'art contemporain dira que non. Pas tout à fait. Et de toute façon les prises de positions sur ce qu'est art et ce qui ne l'est pas sont irréconciliables. Les guérillas fréquentes.
L'art olfactif ? Pourquoi pas. Bonne idée. Pour ma part j'estime qu'il ne peut y avoir d'art olfactif qu'en présence d'un autre media. La fragrance, si novatrice qu'elle soit, doit faire partie d'un dispositif, ou d'une installation. Elle considérée seule me paraît un peu maigre pour la consacrer "oeuvre totale". Pour moi l'art doit faire sens. Caractéristique essentielle en plus de la fameuse "condition d'originalité" définie par l'art contemporain. Sans quoi c'est de l'artisanat ou de la décoration. Et, si la "condition d'originalité" peut être évoquée au sujet d'un parfum (nouvelles molécules aidant), "faire sens" me semble loin d'être aquis. Mais on peut en discuter :)
NLR, cette condition du "faire-sens" est justement celle que pose Blake Gopnik... mais en effet, la question statut artistique du parfum risque de ne pas être résolue du si tôt.
RépondreSupprimerQuant au parfum comme élément d'un dispositif (installation, etc.), pour le coup plus concrète, il me semble que souvent l'odeur joue un rôle un peu gadget, résorbée par le visuel, passée à la trappe...
Cela dit, qu'il puisse exister des oeuvres d'art olfactives me semble évident. Le dispositif permettant de "faire sens" pouvant être autre chose qu'une installation: un récit, un concept, bref du discours.
Je me demande finalement si les parfumeurs ne sont pas des artistes qui créent des produits, qui se trouvent parfois être des oeuvres d'art, mais parfois seulement. La production de masse exclut-elle la notion d'oeuvre d'art ? Et vous avez raison, la question de l'oeuvre de l'esprit est bien plus pertinente que celle d'oeuvre d'art, puisqu'elle pose le problème de la protection tout en échappant au piège de la définition de l'"art".
RépondreSupprimerNarriman
RépondreSupprimerOui, à ceci près que le discours est toujours AUTOUR du parfum. Il l'accompagne, le souligne, l'explique (enfin essaie), le décortique, le crie parfois. Comme une légende sous une photo. Alors qu'une oeuvre d'art doit pouvoir s'exprimer seule, sans soutien. Sans explication. Et ça c'est difficile, à mon avis hors d'atteinte pour un parfum (de part sa nature). Lâchez un jus "nouveau" sous le nez de quiconque sans aucune explication (et sans, surtout mettre les nom des ingrédients, des notes à retrouver) et à part le "ça sent bon" ou "c'est fleuri", etc., vous n'aurez rien de très captivant. De très nouveau surtout. Alors qu'appuyé par un concept, un storytelling, là les langues se délient, parfois même jusqu'à la bagarre et les grincements de dents. On sent ce qu'on compte sentir. Toujours. Mais on demeure assez loin de l'art pur.
Pour le gadget vous avez parfaitement raison. C'est à l'artiste de faire de telle sorte que le statut de gadget soit dépassé. Là il y a peut-être quelque chose à trouver. A inventer.
Je pense à une photographie, d'un artiste plasticien qui commence à être connu. Elle provoque parfois une réaction chez mes clients, mais la plupart du temps, elle les laisse assez indifférents (du moins, ils ne dépassent pas le: "elle est jolie, la photo", comme ils pourraient le dire d'une photo de vacances). Pourtant, c'est indéniablement une oeuvre d'art. Mais les gens se raccrochent à leurs repères habituels et sans doute inconscients. Pour en revenir à cette photo, une fois racontée son histoire, celle de son auteur, son sens, ils s'y arrêtent et y voient beaucoup de choses qu'ils n'avaient pas perçues. J'ai parfois besoin, pour certaines oeuvres d'art, de connaître l'histoire, pour les comprendre et donc les apprécier. Je suis parfois, au contraire, émue par l'oeuvre, sans qu'il y ait eu un discours. En fait, il y a sûrement toujours un discours, même s'il ne se lit pas ou n'est pas audible. Il relève, peut-être, de la conscience universelle, ou de la culture inconsciente. Le discours autour du parfum est souvent commercial, il sert à le vendre. Mais le discours "sens", qui rejoindra avec les siècles l'inconscient collectif, est quasiment absent, et sans doute que cette exposition a le mérite de tenter un tel discours. De savoir si le parfum est un art est une question quasiment insoluble à ce jour. Et le débat existe encore pour certaines oeuvres d'art contemporain (qui n'a pas entendu devant une installation ou une performance : "Mais en quoi est-ce de l'art, çà ?). Le dépasser, ou le contourner, pour s'attacher à, au moins, conférer au parfum le statut (et du coup la protection) d'oeuvre de l'esprit, me paraît salvateur. Toujours est-il que l'audace du musée ne pourra qu'aider ! A ceux qui dénient toute protection au parfum au motif qu'il n'est que le résultat industriel d'un savoir-faire, on pourra au moins leur répondre qu'un savoir-faire ne ferait jamais l'objet d'une exposition dans un musée si prestigieux. C'est toujours çà de gagné. Narriman
RépondreSupprimerUn oeuvre d'art – officielle – l'est a partir du moment où une instance légitimante (un critique en vue, un musée, peu importe) en a décidé ainsi. C'est réducteur, souvent arbitraire, parfois injuste, mais c'est comme ça que fonctionne le marché. (Après ça n'empêche personne de trouver cette oeuvre merdique, ou sans intérêt.) Quoi qu'il en soit, pour émettre une critique au sujet d'une oeuvre, quelle qu'elle soit, il faut des référence, une culture, savoir de quoi on parle ; sans quoi ce n'est qu'un avis (qui peut être intéressant cela dit). C'est à l'aune d'antécédents qu'ont peut juger une oeuvre, qu'on en a le droit. Une oeuvre faisant partie d'une démarche. On jugera alors ce que la critique appelle la "mythologie" de l'artiste. En quoi cette oeuvre nouvelle s'inscrit-elle dans ce qui la précédé chez cet artiste. Y-a-t-il cohérence ou non ? Aujourd'hui, étant donné que le nouveau se fait rare (le champ du possible étant de plus en plus saturé), ce qu'on juge est plutôt la cohérence d'une oeuvre. C'est elle qui fait sens. Et c'est à partir de cette éventuelle cohérence qu'on peut légitimement qualifier la dernière création d'untel ou unetelle. Le reste n'est que bavardage. Et je ne suis pas certain qu'il y ait une place pour la création parfumée, en tant que telle, dans cette affaire. (Alors oui, bien sûr, un parfumeur peut avoir un style, une griffe, une certaine lumière, comme JC Ellena, mais il manque à mon avis la composante sémantique, essentielle. Le travail du new-yorkais Chistopher Brosius (I Hate Perfume), inconnu en France (et non distribué), me semble ouvrir une voie plus intéressante dans le domaine expérimental et artistique.) Ouvrons les yeux et les narines, rien n'est jamais fini.
RépondreSupprimerNarriman, NLR, une fois n'est pas coutume, je regroupe ma réaction à vos deux commentaires respectifs, pour lesquels je vous remercie...
RépondreSupprimerPour un dispositif qui inclut un récit de la démarche, je songe au travail de Sandrine Videault sur Manoumalia. L'approche de Geza Schoen pour sa série des Molecules, très différente, relève du concept. Plusieurs Comme des Garçons aussi: la liste de notes fait fonction de "cartel".
Pour Jean-Claude Ellena, je pense que précisément c'est l'un des très rares parfumeurs à tenir un discours sur son travail, et à pouvoir imposer une signature à un corpus. Car justement, cette question de la signature est gênante: très peu de parfumeurs signent l'ensemble de leurs travaux, ce qui signifie qu'il ne peut exister de réelle cohérence d'une oeuvre.
Il me semble cependant qu'on puisse parler d'approches, dans le parfum, croisant certaines démarches artistiques (voyez comme je suis prudente!).
Par ailleurs, NLR, l'argument de reconnaissance par un appareil de réception (critiques, institutions, galeries, collectionneurs...) est également celui que j'avance -- je ne me souviens plus si je l'ai cité dans le débat de l'IFM. Nous ne sommes absolument pas dans les mêmes conditions de production ou de réception, en effet!
Un autre argument, que je ne développerai pas en détail ici (je l'ai fait dans des billets plus anciens) concerne ce que vous dites au sujet de l'oeuvre qui doit s'exprimer seule. Il me semble que ce n'est pas toujours le cas dans l'art contemporain, comme vous le soulignez, Narriman. Il faut parfois un accompagnement pour décrypter -- moi qui traduis assez régulièrement des catalogues d'expo ou de vente d'art contemporain, je dois dire qu'ils m'ont très souvent éclairée sur des oeuvres devant lesquelles je serais passée en fronçant les sourcils dans une galerie... Cet accompagnement pouvant être celui d'un artiste, d'un commissaire d'exposition ou d'un critique.
Je pense aussi à ce que Nicolas Bourriaud a appelé l'esthétique relationnelle: pour moi, il est tout à fait possible que le parfum en relève. La réception, les réactions qu'ils suscitent, en font intrinsèqment partie: le parfum doit être "performé" pour advenir (c'est un médium qui doit nous pénétrer pour exister). Il me semble que ce dispositif de réception sera mis en scène dans le "salon" du MAD, où les visiteurs pourront inscrire leurs réactions.
Dernière petite réaction à NLR quant au "bavardage": certes, bien des avis sur le parfum ne relèvent pas d'un discours critique. Cependant, la fonction du parfum comme générateur de discours, de récit, d'écriture, ne me semble pas négligeable. Il se pourrait même que cette fonction en ait subtilement changé la nature. Voilà pourquoi, lorsque C. Burr décrète qu'il est "stupide" de s'intéresser aux matières premières lorsqu'on analyse un parfum, je tique: je ne vois pas au nom de quoi on définirait ce dont il est licite ou pas de parler. Il faudrait au contraire s'interroger sur la raison pour laquelle on parle autant des MP... Il vaut mieux dire "pourquoi" que "non".
Merci de votre réponse, Denyse. Il semble ainsi se dessiner l'idée, presque triviale, qu'il faut sortir du "parfum à papa" (ou à maman) et du flacon de salle de bain pour s'approcher un tant soit peu du champ artistique. Installation, concept moléculaire, visuel associé, voire film (Comme le Loretta de Tauer, dont l'odeur "fait sens" si soutenue par la projo du film). En somme, il faut un porte-voix au parfum. J'espère qu'en France aura lieu quelque événement en écho à cette expo de NYC. Mais vu le conservatisme ambiant... :)
RépondreSupprimerNLR, il est en effet frappant de constater que c'est à New York -- l'autre capitale de l'industrie du parfum -- que cette initiative a été prise. Burr compte évidemment faire voyager cette expo, notamment à Paris. Disons qu'à partir de ce point de départ, d'autres initiatives peuvent être prises, peut-être plus pointues. Mais comme on part de vraiment très loin chaque fois -- le public est entièrement à éduquer -- cela pose des complications inédites.
RépondreSupprimerPour moi le Loretta est un projet un peu raté dans la mesure où Tauer s'est associé à un réalisateur franchement assez amateur.
Il est possible que l'art olfactif doive intégrer une dimension quasi "pédagogique" pour s'installer. A ce titre, le travail réalisé par Sandrine Videault avec Fabrice Hybert était une approche plus fructueuse, me semble-t-il.
Oui en effet, Loretta (que je n'ai pas senti) est un projet gâté, non pas, je trouve, par l'amateurisme du réalisateur (il y a des amateurs qui produisent des films exceptionnels de beauté et d'intelligence), mais parce que le film est simplement une bluette douceâtre filmée à la David Hamilton (j'en ai vu que trois extraits cela dit). Gageons que l'ami Tauer, qui s'y entend en contacts, puisse oeuvrer un jour avec David Lynch... (Et là, comme par hasard, ces flacons seront N°1 chez Sephora, mais c'est une autre histoire (de sous) ;-)
RépondreSupprimerNLR, si jamais David Lynch s'engageait dans le parfum, autant qu'il fasse appel à un Ropion, une Menardo ou un Roucel! Et merci de m'avoir reprise, ce n'est pas tant l'amateurisme qui est en cause dans les films accompagnant les Tauer, mais l'absence de talent.
RépondreSupprimerCe serait intéressant de faire un post (mais peut-être l'avez-vous déjà fait ?) sur le cinema et les compositeurs de parfum. J'ai pensé à Lynch car son univers labyrinthique et mémoriel (surtout dans ces derniers films) active pas mal le cerveau reptilien, le système dit limbique (comme le parfum). Un post, donc, où l'on proposerait un certain nombre de chef d'oeuvres du cinema (ou de réalisateurs typés, comme Scorcese), et on imaginerait quel parfum ou quel compositeur serait à même d'être "en phase", et dire pourquoi. Bon, pour se faire il faut une culture des fragrances et des acteurs du métier que je n'ai pas vraiment. mais vos lecteurs, peut-être...
RépondreSupprimerJe vous laisse conclure, sans quoi je vais y passer ma journée, j'adore discuter ! Bonne journée à vous, chère Denyse.
NLR, Lynch et Scorcese sont précisément deux réalisateurs qui ont oeuvré dans le spot publicitaire de parfum! C'est une bonne idée de post, mais les blogs jouent déjà suffisamment le rôle de think-tank gratuit pour l'industrie...
RépondreSupprimerEt bonne journée à vous aussi!
RépondreSupprimerJ'ai du mal à sentir Chandler Burr. Donc j'ai du mal à l'idée qu'il soit le VRP Parfum de N-Y.
RépondreSupprimerJ'ai vu des vidéos sur youtube, j'ai lu des interviews. Rien de ce qu'il dit n'a jamais sonné juste à mon oreille. Rien de pertinent.
Luca Turin, même dans ses pires exagération, ça fait "ding" toutes les 5 lignes quand je le lis. (Et pourtant les deux sont amis).
Certains blogueurs, dont je ne partage ni les goûts ni les jugements, développent des choix et des visions artistiques personnelles cohérentes et très intéressantes.
Chandler Blurr encenserait tel parfum au hasard, ou prendrait telle vessie pour une lanterne, il ferait "tilt" de temps-en-temps. Mais là, rien.
Je ne demande qu'à avoir tort, donc je m'intéresse à ce qu'il fait.
Mais pour l'heure, pour moi, Chandler Blurr c'est juste le niveau au-desssus de l'infomercial recopié dans les magasines. J'ai un peu peur à l'idée que ce type qui s’excite et qui dit n'importe quoi soit le représentant de l'art du parfum à N-Y.
Mais je veux bien lui reconnaître les lauriers que tu lui donnes. Organiser une exposition. Ses relations avec le monde de l'industrie.
Gopnick, connais pas. Il reste que ce sont ses mauvaises critiques qui font connaître un critique. Donc ça ne m'étonne pas qu'il commence par jouer les sceptiques.
Julien, Blake Gopnik a été plus de dix ans critique d'art au Washington Post, qui n'est pas franchement une feuille de chou, et il est à Newsweek maintenant, donc je ne crois pas qu'il ait à se "faire remarquer". J'ai trouvé son article intéressant car il donne le point de vue d'un critique d'art "mainstream", hors mundillo du parfum, sur la question. Quant à Luca Turin, si mes renseignements sont bons, je crois que lui et CB ne sont plus en très bons rapports.
RépondreSupprimerCe commentaire a été supprimé par l'auteur.
RépondreSupprimerIl est connu. Mon tort.
RépondreSupprimerJe viens de commencer à rattraper 10 ans de retard sur Gopnick en lisant l'ITW en question.
Je partais sur ce postulat : Quelqu'un qui n'a pas été touché par un parfum aura du mal à en dire quelque chose de valable, en bien ou en mal. Il pourra commenter la forme mais restera à la surface.
C'est aussi notre problème à toi moi et les autres pour critiquer un parfum médiocre. Le parfum est-il mauvais ou n'avons nous pas réussi à entrer dans le tableau?
On doit garder une prudence devant nos réaction. Et souvent, même une critique savante de quelqu'un qui est passé à côté, vaut moins bien que la description d'un amateur qui aime sincèrement son parfum. Car il apprend à aimer.
Il écrit bien le bougre! Il donne parfaitement vie à son expérience, en train de passer à côté des parfums, devant un Burr qui fait son zébulon.
Comment commenter sur quelqu'un qui est passé à côté.
Après la lecture, mon préjugé s'est remodelé, c'est vrai que les gens sont "comme des bébés" vis-à-vis des parfums. Rester à un développement de l'âge de 4-5ans.
Je me souviens moi-même avoir eu l'impression de marcher à quatre patte avec un bandeau sur les yeux, quand je découvrais peu à peu les parfums il y a ~5 ans. C'est presque plus de l'éveil sensoriel plutôt que de l'éveil artistique qu'il faudrait.
L'article souligne peut-être aussi comment peut-être l'exposition ne laisse pas les parfum exister pour ce qu'ils sont. Au lieu d'une comparaison à des mouvements artistiques. J'aime beaucoup le mot de "correspondances", comme dans le poème de Baudelaire : parler des mouvements artistiques a quelque chose trop abstrait comme comparaison.
Gopnick reproche le manque d'émotion suscité par le parfum. D'ailleurs il parle de parfum, parlant de "smells perfumy" et de savon, au lieu de parler d'odorat. Qu'un film touche l'âme, déclenche des réactions politiques violentes. Mais aucun film ou image ne donne de goût ou d'odeur au télespectateur, un media manque, au mieux une pub mac-do fait saliver.
Les parfums sont avantagés sur d'autre media pour exprimer toute une gamme de sensations et d'émotions, dont les autres arts sont bien moins le vecteur.
Ce media a aussi ces vertues propres : l'importance de l'équilibre, et qu'on ne puisse pas en abuser car l'excès atténue la sensation car le nez sature (comparé à trop manger, boire, fumer, etc).
Reste que Gopnick écrit vâchement bien, j'ai bien envie de le lire pour m'imprégner de son niveau d'anglais.
Merci pour les nouvelles sur Turin. Burr et Turin brouillé? Souvent une admiration trop forte ("the emperor of scent" rien que ça) est une impulsion qui laisse place à la déception, car on voudrait que la personne soie comme on la voit.
Julien, je ne suis pas tout à fait d'accord sur le premier point: il me semble qu'on peut avoir un jugement valable même sans être touché. Tout autant qu'une personne sans connaissances techniques, mais sachant trouver les mots justes, pourra faire un commentaire qui le sera également.
RépondreSupprimerEffectivement, le parfum est un domaine en soi, qui traverse l'art, l'artisanat, l'industrie... Et qui suscite des effets spécifiques. Vouloir à toute force et systématiquement lui donner le rang des autres beaux-arts en multipliant les comparaisons, c'est peut-être écarter ce qui en fait justement la richesse et la complexité.
Par ailleurs, pour Luca Turin, ça n'a rien à voir avec ce que tu supposes.