Une scène de Breakfast at Tiffany’s tourne en boucle
sur l’écran. Une coupe de champagne ? Allez… Francis Kurkdjian a soif, ce
qui n’a rien d’étonnant, puisqu’il enchaîne les présentations presse d’Amyris
Femme et Homme dans sa jolie boutique de la rue d’Alger. Or Francis K est « bon
client », comme on dit dans le jargon : volubile, pas
langue de bois, assez facile à faire dévier hors-pitch et parfois combustible (ce qui sied d’ailleurs
à sa beauté sèche et sombre). Ainsi, lorsque je mentionne à quel point les
parfumeurs en maisons de composition se plaignent de ne pas faire ce qu’ils
veulent, notamment parce leurs clients ne savent pas ce qu’ils veulent, Francis
K se hérisse. Ils n’ont qu’à ne pas se laisser faire ! Les clients sont
comme des enfants, dit-il ; ils sont perdus dans le labyrinthe. Il faut
donc être ferme avec eux. Après tout, l'industrie s'arrêterait de tourner sans les parfumeurs: s'ils se font bousculer, c'est bien un peu parce qu'ils se laissent faire.
Si Francis K savait déjà imposer
sa façon de voir alors qu’il travaillait encore pour des maisons de
composition, cela explique peut-être pourquoi certains des parfums de la Maison Francis Kurkdjian évoquent des accords qu’il a développés auparavant,
interprétés avec des notes plus riches. Après tout, pourquoi pas? Façon de se réapproprier son travail,
de le signer, de l’ordonner selon un
concept somme toute assez simple : une garde-robe de parfums pour chaque
moment de la journée, complétés par des parfums d’ambiance. Dans ce cadre,
Amyris Femme et Homme, troisième duo de la maison, se présentent selon leur
auteur comme des parfums nécessitant moins de « temps de réflexion »
que les duos APOM ou Lumière Noire : « plus dans l’immédiateté »,
précise-t-il, « pour être bien tous les jours de la semaine ». Tenues
de jour, donc, faciles à passer, faciles à habiter.
C’est en faisant réviser
ses matières premières à son apprenti que le parfumeur est tombé sur le bois d’amyris,
dit également santal ou bois de rose des Antilles. Le mot le séduit : il
provient du grec amyron, « intensément
parfumé ». Et puisqu’il contient déjà l’iris dans son nom, la deuxième
note est trouvée (étymologiquement, ça se tient, puisque l’acide
myristique présent dans le beurre d’iris, qui lui confère ses notes un peu peau
grasse et repli de chair, tire son nom de la même racine grecque).
Comme Francis K n’a pas
travaillé l’iris depuis l’Iris Nobile d’Acqua di Parma, qui remonte à 2004, il
se dit qu’il est temps de s’y ré-attaquer. D’autant plus qu’en fait, il ne
raffole pas de la note, qu’il trouve plutôt « morbide » et « pas
sympa », même si il n’a pas pour elle autant d’aversion que pour le lys,
le géranium et la sauge… « Mais si on ne fait que les trucs qu’on aime, on
se fait chier », lâche-t-il. Cet iris qu’il compare à une « femme
très belle mais chiante », il décide qu’il faut « lui mettre un truc
qui la pousse au cul », qui la rende « primesautière » -- retour
donc à l’image de Hepburn en Holly Golightly, version jeune femme parisienne
chic mais spontanée.
Appel d’offre sur le
beurre d’iris auprès de ses fournisseurs : il en trouve un qui, parce que
suffisamment vieilli, ne dégage pas de facettes racinaires. Pour le chatouiller
jusqu’à ce qu’il sourie, il lui ajoute un accord fleur de citronnier « roudoudou »
et « des notes poudrées qui pétillent » sur le fond boisé.
Si l’on juge un parfum
par son adéquation à la proposition initiale, Amyris Femme y répond
impeccablement : ça s’enfile comme une petite robe bien coupée en tissu coûteux
mais pas ramenard, ça ne pince nulle part, ça laisse respirer. Bref, c'est très chic parisien
contemporain, donc dégagé – « ma
signature, c’est l’espace entre sa peau et le parfum où on peut bouger »,
explique Francis K.
Voilà ce que le
mainstream pourrait être, avec de meilleurs budgets pour les matières
premières. D’ailleurs, bien que son mode de distribution et ses prix la placent
dans le « niche », ce que la Maison Francis Kurdkjian propose, c’est
en quelque sorte une version du mainstream dans un univers alternatif où les
parfumeurs seraient encore chefs de maison… Son concept même, la garde-robe de
parfum, semble appeler virtuellement une ligne de prêt-à-porter, tout comme l’aspect
très texturé des parfums eux-mêmes, du coton blanc d’Aqua Universalis au
velours pétale-de-rose lie de vin de Lumière Noire, jusqu’au cuir encanaillé d’Absolue pour le Soir…
P.S. Puisqu’Amyris Homme comporte ce que j’ai surnommé le « bois
qui pique », famille de molécules ambrées-boisées surpuissantes à laquelle
je suis hyperosmique comme bien des femmes, je ne peux pas l’évaluer pour des
raisons piteusement physiologiques. J’attends donc votre avis.
Illustration: Françoise Dorléac dans La Peau douce de François Truffaut (parce qu'une photo d'Audrey Hepburn, ça serait tout de même trop facile).
Très juste "portrait" de ce parfum, qu'effectivement moi aussi, toute novice que je suis, je perçois comme une fragrance très juvénile, printanière et malicieuse (donc ni faite pour moi, ni en accord avec la météo actuelle). Si j'avais dans mon entourage une jeune femme de 20-25 ans (ou même une jeune fille) qui souhaiterait sentir autre chose que le tout-venant des fruitchouli, je n'hésiterais pas à le lui recommander.
RépondreSupprimerJack Sullivan, idem pour moi, si j'avais dans mon entourage une jeune femme qui souhaite un parfum moins courant que, disons, Allure ou Coco Mad, je n'hésiterais pas à lui recommander Amyris Femme. Je pense également qu'il peut convenir au-delà de 25 ans: le côté irisé lui donne quand même une certaine tenue et de l'élégance.
RépondreSupprimerJe devrais peut-être faire fi de mes préjugés contre ce genre de parfum et le tester... En général je choisis des parfums orientaux, forts, parfois difficile à porter, ce qui fait que les jours où je me sens moins vaillante, je cherche en vain un parfum tout simplement joli et facile à porter dans ma collection.
RépondreSupprimerTara, en effet, c'est pas mal d'avoir un parfum plus facile à assumer de temps en temps, avec moins d'aspérités et d'exigences.
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