jeudi 29 avril 2010

Mon Top Ten des parfums du printemps 2010... Fugue florale dans des tons de vert




« Créer un poncif, c’est le génie », notait Baudelaire dans ses Fusées

Que l’odeur des fleurs et de la verdure signifient le printemps en est un dont personne, sinon la nature, ne peut revendiquer d’être l’auteur. Mais l’expression de cette verdure et de ces fleurs en parfumerie a bel et bien inspiré à des parfumeurs de génie des accords devenus des poncifs au sens baudelairien du terme : une fois trouvés, ils ont eu l’évidence des choses naturelles. L’association du galbanum et de la jonquille dans le Vol de Nuit de Jacques Guerlain ; du galbanum, du géranium et de la jacinthe, d’où germeraient les grands floraux verts des années 60-70, dans le Vent Vert de Germaine Cellier ; l’équilibre parfait entre les notes vertes, rosées, fleurs blanches et animales du Diorissimo d’Edmond Roudnitska ; le galbanum et l’iris du N°19 d’Henri Robert… Il serait superfétatoire de faire figurer ces parfums dans un Top Ten du printemps : ils vont de soi. Ceux qui suivent sont les compositions qui m’ont séduite cette saison. Fugue sur tous les tons du vert.


Comme la fine peau gris violet d’une figue fendue d’un coup d’ongle, la verdeur astringente, soufrée et quasiment vénéneuse du Ninfeo Mio d’Isabelle Doyen et Camille Goutal laisse sourdre un jus tendre et laiteux, réchauffé par le lentisque aux facettes amande/foin, vertes et mousseuses. Taches de soleil entre des feuilles frémissantes : Ninfeo Mio scintille.

Du vert brin d’herbe au noir réglisse, le Papyrus de Ciane de Pierre Guillaume glisse de l’éclat juteux du galbanum à la rondeur cuirée de la Mousse de Saxe sur une tige mince où court la sève amère de l’armoise: un floral vert Seventies surgi du terreau d’un classique de Caron.

Plus sombre encore dans sa verdeur: Onda de Vero Kern pour Vero Profumo. L'Eau de parfum qui sortira en juillet prochain et que Vero m'a fait découvrir, reprend les notes de vetiver, de cuir et de tabac de l’extrait, mais la formule, rajustée pour cette nouvelle version, fait mieux ressortir d’iris. Les notes animales qui font parfois hésiter à porter le parfum ont été remplacées par la passiflore, qui imbibe la terre d’Onda d’un jus tropical, acidulé, soufré. Rassurez-vous, ça sentira encore le fauve, mais un fauve qu’on pourrait promener dans le parc sans risquer de se faire mordre au bras…

Remontant le spectre du vert jusqu’au blanc : le Tiaré de Linda Pilkington pour Ormonde Jayne (désormais inclus dans son kit découverte) tire le floral vert vers des latitudes tropicales en étoffant le cœur muguet-jasmin d’absolue de tiaré, sur le fond boisé-vaporeux qui est la signature des parfums Ormonde Jayne. Chic et enjoué, comme un souffle d’alizée dans les jupons New Look de Grace Kelly…

Le Gardénia Pétale de Nathalie Feisthauer pour Van Cleef and Arpels greffe un grand lys sur le gardénia éponyme, et le plante dans un accord tropical ylang-frangipanier-vanille. De tous mes parfums, c’est, avec Carnal Flower, l’un des seuls à m’attirer systématiquement des compliments grâce à un sillage immense et apparemment irrésistible. Je serais bien mal embouchée si je m’en plaignais.

Aucun parfum à ce jour n’a recréé le lys carnivore, fumé-épicé de mes rêves, mais c’est Un Lys de Serge Lutens et Christopher Sheldrake qui s’approche le plus de la saturation olfactive de la fleur en bouquet. L’accord lys s’étire des notes de tête vertes et un peu aqueuses qui penchent un peu vers le muguet à la vanille un peu boisée, peut-être réchauffée d’un grain d’opoponax. Sucré, mais pas mièvre et encore moins virginal…

Le Grand Amour d'Annick Goutal plonge dans un jardin affolé par le printemps pour y cueillir une brassée de fleurs, où domine un accord jacinthe vert et pénétrant, adouci par un ambre laiteux et miellé. Comment un parfum composé par, et pour une autre femme, peut-il parler aussi intimement à une autre ? Cela s’appelle la grâce…

Comme un ami très cher me le faisait récemment remarquer, la récente trilogie florale de Bertrand Duchaufour, bien qu’elle soit parue dans deux maisons différentes, devrait être offerte en coffret : son Orange Blossom effervescent et ensoleillé, sa charnelle Amaranthine, crème d’ylang corsée de cardamome (tous deux chez Penhaligon’s), et son éclatante Nuit de Tubéreuse (L’Artisan Parfumeur) aux relents de fruit soufré et de racine reflètent les trois visages d’Eve – leur point commun étant la verdeur édénique qui les parcourt.

J’ai dû exercer une certaine discipline pour ne pas porter que ceux-là. D’ailleurs, seuls Grand Amour et Le Parfum de Thérèse peuvent rivaliser avec eux ces derniers temps.

Après tout, you must believe in spring (cliquez pour entendre Bill Evans interpréter "La Chanson de Maxence" de Michel Legrand, tirée des Demoiselles de Rochefort).


Pour découvrir d’autres Top Ten du printemps:

Bois de Jasmin

Now Smell This

Perfume Posse

Perfume-smellin’ Things


Ilustration: Hoja Elegante de Flor Garduño (1998).


11 commentaires:

  1. Bonjour Denyse

    juste un petit mot pour vous dire que j'ai découvert votre blog récemment et que j'adore vous lire ! Un lieu où on parle des parfums avec autant de sensibilité et d'intelligence, c'est rare... Un lieu où on évoque si justement Serge Daney, Deep Purple ou les films de Jacques Demy, encore plus !!! Tout cela correspond pour moi à la justesse du geste dont on parlait l'autre jour.
    Delphine

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  2. Delphine, merci. Cela me fait toujours très plaisir que certaines références soient relevées et appréciées. J'étais une lectrice avide de Daney, mais je n'ai jamais pu retrouver l'origine de la citation en question, qui m'avait tant frappée à l'époque... Quant à Demy, que dire? Ses films embaument. Et Gene Kelly, même s'il n'est plus au sommet de ses capacités physiques dans les Demoiselles, peut me faire pleurer tant ses gestes ont de beauté printanière.

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  3. en parlant de parfums pour le printemps votre blog et celui de jeanne m'a donné envie de découvrir Manoumalia... que je m'approprie peu à peu et qui me semble idéal piur cette saison ainsi que pour l'été...

    sinon même si je ne porte pas personnellement gardénia pétale, en effet, il est ravissant, un superbe sillage, il es vraiment de toute beauté; j'ai du mal à imaginer qu'on ne puisse l'apprécier.

    sinon mes parfums de printemps resteront bien sûr chamade, songes, l'âme soeur, mes préférés pour les beaux jours, et bien sûr tous les autres mais peut-être plus pr le soir.

    à bientôt!

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  4. Soph, oh la la, L'Ame Soeur... je l'ai, et je l'ai complètement oublié! Ce que c'est que de protéger sa collection en la mettant dans des placards... Merci de ce rappel!

    Pour moi, Manoumalia est plus estival... Cela ne m'a pas empêchée de le porter cet hiver, cela dit.

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  5. Mon envie pour ce printemps se matérialise par un besoin de lumière combinée au côté craquant du vert ; par exemple le Néroli d'Annick Goutal qui est ma dernière "découverte".
    L'homme de coeur joue aussi sur une dualité poivrée (angélique) et "florale" (racine d'iris) qui me paraît adaptée à la saison.

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  6. Thierry, bien des Goutal sont printaniers... J'adore l'angélique, mais à part Nuit de Tubéreuse, je n'ai aucun parfum où sa présence soit prononcée. Coup de coeur pour Angéliques sous la pluie... mais pas le budget pour l'instant, hélas!

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  7. C'est curieux j'adore le galbanum et les odeurs de feuilles et d'herbe verte et pourtant je n'ai pas encore trouvé de parfum vert qui m'accroche vraiment. C'est souvent un peu criard ou ça tourne court (a scent). Il faut vraiment que je teste ce Papyrus de Cyane, que je tente le vieux Private Collection. J'aimais bien le muguet du Weekend à Deauville des parfums De Nicolaï mais malheureusement il a déjà été retiré. Et j'attends avec impatience Nuit deTubéreuse, jusque là ce que j'en ait senti est appétissant! et aussi la nouvelle version d'Onda que j'adore mais qui me souffle un peu trop d'encaustique sous le nez en extrait.
    Sinon ce printemps pour moi c'est L'Ombre dans l'eau que je porte le plus avec sa rose cassis feuille, en rotation avec les iris, Silver Mist et L'homme de coeur aussi quand la température grimpe. J'aime ce côté vert racine poivre cèdre un peu anisé de l'angélique, la note ombellifère. Mais elle ne dure pas très longtemps malheureusement et ni celle de F. Malle ou d'Honoré des près ne tiennent la route sur moi.
    Enfin, les soirées un peu fraiches sont consacrées à mon nouveau culte pour Que Sais-je, une ouverture d'œillet sur un chypré pèche noisette ensorcelant. Évidemment si l'on pouvait avoir les deux: iris + pèche ce serai l'extase mais c'est hors de portée maintenant. Au fait avez-vous senti Moulin rouge d'Histoire de Parfum, il m'a fait penser justement à un accouplement bizarre d'ISM et de Femme de Rochas et fantasmer à ce qu'Iris Gris pouvait être.

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  8. Anatole, absolument d'accord sur A Scent, en effet il tourne court et c'est bien dommage, il reste l'un des lancements "mainstream" les plus intéressants par sa prise de risque (et il n'a malheureusement pas trouvé son public, d'où la sortie hâtive d'un flanker plus conventionnel).

    Private Collection est un vert que j'aime énormément, et son absence de mon top ten est due... au fait que j'ai des tonnes de parfums dans leurs boîtes, bien à l'abri de la lumière, que j'oublie de ressortir à la saison opportune!

    Quant à l'angélique... je n'ai pas encore trouvé "mon" parfum mettant en vedette ce matériau fascinant qui vire au musc au fil des heures.

    Que Sais-je est un chypre à l'ancienne, dans le style de Mitsouko, que j'aime infiniment et dont je n'ai jamais parlé -- je manque de temps pour les vintages!

    Je n'ai pas senti Moulin Rouge, mais j'ai devant moi une nouveauté qui sera lancée en mai et qui m'évoque (il paraît que ce n'est pas délibéré) un peu Iris Gris. J'y reviendrai sous peu...

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  9. hoho peut-être un iris pêchu en perspective, très intéressant!

    Pour Mitsouko, LE grand classique, hélas je n'ai jamais eut l'occasion de sentir la version originale et il y a dans la reformulation et tous les chypre reformulés en gros, une note, peut-être l'evernyl sensé remplacer la mousse de chène, mais qui est pour mon nez comme un cri strident et métallique qui me vrille le cerveau, je pourrai même décrire le trajet des nerfs sollicités. Je dois y être hypernosmique.

    J'ai lu quelque part que l'angélique partage des molécules odorantes avec l'ambrette ou quelque chose comme ça.

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  10. Hoh. Jamais senti le Mitsouko d'avant 2005? D'une certaine manière, ce n'est peut-être pas plus mal, c'est moins douloureux comme ça... Je ne sais pas quel peut être ce matériau qui vous gêne. Je trouve que le nouveau Mitsouko a dans l'extrait une note "plastique" mais je ne me suis pas attardée à déterminer laquelle...

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