jeudi 10 septembre 2009

Fourreau Noir de Serge Lutens : le Fil de la Lavande



Ma première impression de Fourreau Noir, la plus récente exclusivité Palais-Royal de Serge Lutens, avait été assez alarmante. Sur papier, la première bouffée de lavande avait jailli dans le fracas métallique du dihydromyrcénol (ou d’un matériau similaire), l’omniprésente note « fraîche » des fougères contemporaines. Comme c’était le premier Lutens que je détestais franchement – je porte ses parfums depuis l’ouverture des Salons du Palais-Royal – j’avais littéralement l’estomac noué au moment de le ressayer, sur peau cette fois.

Malheureusement, sur touche fraîchement trempée, le DHM s’est à nouveau imposé (et persiste encore au bout de 24 heures). Heureusement, sur peau, il s’est évaporé si rapidement que je l’ai à peine remarqué.

Le double sens du mot « fourreau » -- robe ajustée ou gaine d’une épée – semble indiquer qu’il s’agit d’un parfum destiné aux hommes autant qu’aux femmes. Je dirais plutôt qu’il s’agit d’un parfum-Tirésias – le Tirésias en question étant un devin aveugle de la mythologie grecque, transformé en femme après avoir troublé l’accouplement de deux serpents. Il fut appelé à trancher une querelle entre Zeus et son épouse Héra – le dieu soutenait que les femmes retiraient plus de plaisir que les hommes de l’acte sexuel, la déesse soutenant le contraire. Tirésias répondit « les femmes » et Héra, furieuse, l’aveugla.

De la même manière, Fourreau Noir change de sexe en plein vol. Il début en masculin, si tant est que la lavande soit une note plutôt associée aux hommes. Cette lavande-là est assez dense, presque médicinale, avec des accents caramélisés de réglisse, et persiste plusieurs heures sur (ma) peau. La fève tonka et l’immortelle l’enrichissent d’un sillage tabacé. Au fil du temps, la lavande se fond dans la fève tonka par leurs communes facettes baumées ; ou plutôt, la fève tonka semble l’aspirer, jusqu’à ce que Fourreau Noir se transforme en aura poudrée-amandée ombrée de volutes d’encens, et prenne des traits plus féminins.

Le jeu de la lavande et de la fève tonka est ce qui anime la composition, mais si Fourreau Noir passait plus rapidement à ses notes de fond délicieusement baumées, il rejoindrait sans doute ses sœurs dans mon armoire à parfums… Mais la lavande tranche comme une épée glaciale ce fourreau encens-tonka trop obstinément pour qu’on s’y love.

Tout comme El Attarine, l’an dernier, me faisait l’impression d’un Santal de Mysore greffé à Bois de Violette, Fourreau Noir pourrait bien être une variation sur des motifs déjà esquissés – cette fois un travail plus charnel sur Encens et Lavande, croisé de Fumerie Turque. Le parfum n’a rien de radicalement original – c’est une fougère orientale, plus riche et mieux équilibrée que d’autres compositions plus commerciales – mais il possède une qualité anthologique d’œuvre (relativement) tardive qui fait rêver aux accords passés que Lutens aura envie de permuter dans les années à venir. Des dizaines de parfums sont encore dans les cartons, dit-on…

Image tirée de la mise en scène des Mamelles de Tirésias, opéra de Francis Poulenc sur un livret de Guillaume Apollinaire, par Hervé van den Meulen (photo de Jérôme Bouteiller).

10 commentaires:

  1. Lavande et DHM? Ca craint au maximum. Je ne vais pas me precipiter pour tester celui-la... je m'estime plus que satisfaite des Filles en Aiguilles. Pour une fois que la version "export" est superieure a l'exclusif!

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  2. Tara: le DHM, comme je l'ai dit, se fait tout petit sur la peau, mais il faut vraiment aimer la lavande, et si c'est le cas pour moi dans Jicky ou Moment Suprême de Patou, là, je cale un peu. L'export est en effet plus intéressant selon moi (et j'ai l'impression que même en interne, certaines personnes en ont été un peu étonnées.)

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  3. mouais, lutens fait du rechauffé, c'est a dire des redites agrementées ici ou la de note d'un autre..lutens, je suis de plus en plus deçue a chaque sortie
    serge vieillirait'il? en tout cas, il n'y a plus la creativité du debut

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  4. Véro, je ne dirais pas qu'il fait du réchauffé, ce serait un peu brutal.

    Je l'avais déjà écrit dans mon post "Mais est-ce original?": on ne peut attendre de Lutens qu'il renouvelle constamment l'art de la parfumerie: il l'a déjà fait.

    Et on peut comprendre qu'il cherche à raffiner des idées qu'il a déjà eues, à les dire autrement.
    L'art de la parfumerie, ce n'est pratiquement que cela (et même, souvent, ce sont les idées des autres qu'on reprend).

    On pourrait argumenter qu'hier, Edmond Roudnitska raffinait sans cesse des idées qu'il avaient eues dans Femme, puis Diorissimo. Ou qu'aujourd'hui, Francis Kurkdjian fait de même dans sa nouvelle maison.

    Il se trouve que je n'aime pas tellement ce Lutens en particulier, mais il serait prématuré à mon avis de déclarer qu'il s'épuise.

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  5. Personnellement, je n'ai rien contre les classiques. J'aime l'idée de pouvoir affiner ou re-orienter un classique. Encens et Lavande était une belle idée, tout comme mandarin mandarine, ils évitaient le côté "cuisine cantonaise" que je reproche à certaines créations de SL. Toutefois, ce fourreau me semble être un retour à des classiques opulents qui finissent irrésistiblement en poudré-amande et laissent une note de musk synthétique ou de coumarine associé à un fumé-épicé très culinaire... Je vais encore adorer les premières notes et être déçu par le fond très "Boudoir de Madame"

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  6. Madiel, je trouve aussi que les parfumeurs ont bien le droit d'avoir des après-coups! Cela étant, le Fourreau en question n'est pas du tout épicé, à part l'immortelle (mais elle n'évoque pas le curry ici).

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  7. bonjour carmencanada,
    je n'ai eu l'occasion de tester fourreau noir que par le biais de la concrète, et je suis heureuse de lire ici que vous y trouvez un croisement entre encens et lavande et fumerie turque.. car avec la concrète, c'est vraiment un fumerie turque peut etre un poil plus amandé que miellé, qui m'a sauté au nez et a donc aiguisé ma curiosité, aimant beaucoup déjà fumerie..
    je n'ai pas détecté la lavande, ni le côté fougère.. à voir sur la version liquide, donc!

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  8. Fleurdesel, le parfum semble beaucoup varier selon les peaux, donc en effet, à tester en vrai!

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  9. J'arrive un peu tard, mais comme fleurdeSel, tout en étant ravie de la possibilité de découvrir toute la gamme tranquillement, il me semble que la concrète ne permet pas de se faire une idée juste. Point de lavande ni de fougère à mon nez non plus! Pareil pour Musc Koublai Khan, les notes animales et sales sont déjà tout en douceur et en rondeur, le félin ronronne déjà; je ne sais pas comment je réagirais à ces même notes rugissantes et non soutenues par les notes de fond.

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  10. Podcasts "A voix nue" :

    Pour réécouter la série consacrée à Serge Lutens et diffusée du 2 au 6 septembre 2013 sur France Culture, suivez le lien:

    P O D C A S T S // SERGE LUTENS // A VOIX NUE

    Par Philippe Bresson - Cinq épisodes.

    http://www.franceculture.fr/personne-serge-lutens


    1 – A l'origine

    2 – La photographie

    3 – Le parfum

    4 – Parfums et littérature

    5 – Libre comme l'art (Objet d'art versus produit commercial)

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