dimanche 21 décembre 2008

Nuit de Noël de Caron : Réveillon au Crillon


Depuis une quinzaine d’années environ, je porte une touche de Nuit de Noël de Caron pour le réveillon du 24 décembre.

Ce rituel, qui n’a consumé qu’environ un tiers du ravissant flacon art déco (difficile à dire car il est noir) est né au cours de la passion pour Caron qui m’a prise après une relation exclusive de dix ans avec Habanita.

Apparemment, mon nez de proto-perfumista était plutôt affûté, puisque selon le parfumeur Guy Robert, cité dans le Parfums de Légende de Michael Edwards, ce Caron de 1922 a servi d’inspiration au Molinard de 1924, ainsi d’ailleurs qu’à Bois des Iles de Chanel (1926) et Shocking de Schiaparelli (1937), deux parfums que je chéris. Je décèle même dans Nuit de Noël les prémisses de mon amour plus tardif pour des chypres cuirés comme Bandit et Diorling, ou plus précisément, dans la fameuse « mousse de Saxe » qui est la signature de la plupart des Caron. Cette base des laboratoires de Laire a été composée par Mme de Laire pour habiller une molécule à l’odeur assez abrupte, l’isobutyle quinoléine (synthétisée dans les années 1880), dont elle arrondit les facettes de réglisse, cuir et iode grâce au géranium et à la vanille.

Toujours d’après Guy Robert, cette fois dans son ouvrage malheureusement épuisé Les Sens du Parfum, le Russe Ernest Daltroff, parfumeur autodidacte comme son contemporain François Coty, avait une prédilection pour les matériaux « puissants », voire « brutaux », y compris des matériaux de synthèse que ses confrères étaient réticents à employer. Ses parfums envahissants et très modernes – pour l’époque – étaient donc idéalement adaptés au nouveau type de la garçonne en robe-chemise, chez qui la surcharge de maquillage, de broderies et de parfum avait remplacé la complication des tenues féminines du 19ème siècle.

« Vous êtes au théâtre, écrit Robert, votre voisine de droite sent l’Opium, celle de gauche le Mitsouko, devant vous une femme porte Estée. Voici qu’une autre femme arrive qui porte Nuit de Noël et subitement vous ne sentez plus les autres parfums ! »

Nuit de Noël dissimule son impact sous une overdose d’absolu rose de Mai ; marié à l’iris, il dégage au premier abord une senteur intensément poudrée, sous-tendus d’une note un peu verte (feuille de violette, muguet et vétiver) qui lui confère une légère amertume, accentuée par les facettes presque vineuses de la rose. Les autres fleurs (jasmin, ylang-ylang et tubéreuse) sont moins facilement décelables.

Curieusement, peut-être à cause du côté réglisse-brûle de l’IBQ enrobé de vanille et d’ylang-ylang – qui partage des molécules avec le beurre de cacao – Nuit de Noël dégage une odeur de friandise. Luca Turin y décèle, très justement, le marron glacé ; d’autres commentatrices parlent d’écorce d’orange plongée dans du chocolat noir…

Mais Nuit de Noël sent-il Noël ? Sûrement pas, si Noël sent le sapin, les oranges piquées de clous de girofle et le pain d’épices… Ses accords à la fois sombres et poudrés évoqueraient plutôt une nuit glaciale dont on émerge, engoncée dans un manteau de fourrure, épaules et seins nimbés de poudre Caron sous un fourreau 1920 rebrodé de perles, pour un réveillon au champagne au Crillon…

Si excessivement féminin qu’il vire à l’androgyne par surcroît de théâtralité, Nuit de Noël cache bien sa dureté sous son nuage rétro poudré rosé. Gare à vous si vous la croisez sous le gui -- ou alors, préparez-vous à une reddition inconditionnelle : Nuit de Noël n’est pas un parfum de mauviette.

P.S. Le parfum dont je parle a été acheté au début des années 1990. On a énormément parlé, ces derniers temps, de reformulations désastreuses dans la maison Caron, notamment suite à la publication du Perfumes : The Guide de Luca Turin et Tania Sanchez. Je n’ai pas comparé la version actuelle de Nuit de Noël avec la mienne. Si vous avez des commentaires à ce sujet…

Image: Rosalind Russell dans Auntie Mame (Ma Tante) de Morton DaCosta (1958). Ce personnage de grande dame excentrique, héroïne du roman éponyme de Patrick Dennis, fait l'objet d'un véritable culte aux USA; selon l'auteur, son parfum est Nuit de Noël.

12 commentaires:

  1. Ne désespères pas Carmen, c'est pour bientôt, le trèèès beau Nuit de Noël vintage ;-)

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  2. Carmen, j'ai oublié de dire que j'étais une graaaande fan de l'exubérante Tante Mame ;-) A quand le prochain P. Dennis ?

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  3. Il me semble que Nuit de Noël est l'un des Caron qui a le moins "changé", avec N'aimez que moi il me semble.
    Je ne connais pas les anciennes versions, je n'ai essayé que l'eau de toilette actuelle ainsi que l'extrait.
    L'eau de toilette est assez fade, comme le sont à mon nez la plupart des parfums Caron actuels dans cette concentration. Je n'y perçois pas toute la richesse présente dans l'extrait. Une forumeuse il y a quelques temps écrivait que son eau de toilette Nuit de Noel des années 80 pourrait être aujourd'hui une eau de parfum, la différence tenant surtout dans la profondeur la concentration du jus. Elle décrivait le Caron des années 80 comme peut-être plus "corsé" que l'actuel.
    Dans l'extrait actuel en revanche, l'aspect confit/sirop de sucre qu'évoque Turin sous la métaphore des marrons glacés est bien là. ;-)

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  4. Bénédicte... on s'est bien vues chez SL avec Lamarr, c'est ça? Merci des précisions. Je crois que pour Caron plus qu'ailleurs, il n'y a que l'extrait qui soit encore valable, et je suis heureuse d'apprendre que NdN reste assez inchangé.

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  5. C'est bien ça Carmencanada (j'ai du effacer le début de mon commentaire par erreur, il est tronqué...).
    Donc en effet, nous avons bien testé ensemble El Attarine. :-)

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  7. Bénédicte, j'espère qu'il y aura d'autres séances en 2009!

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  9. Avec grand plaisir Carmencanada! Tous mes voeux pour cette nouvelle année et longue vie à Graindemusc! :-)

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  10. ah moi aussi j'ai une passion presque exclusive pour habanita, avec pour seule exception l'heure bleue.
    je me suis lassée un temps d'habanita, mais j'y reviens....

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  11. Soph, j'ai eu une passion exclusive pendant dix ans pour Habanita. Elle m'est passée, avec cette époque de ma vie,et il m'est impossible de le reporter... :-( Mais c'est dire si je comprends ce qu'on peut éprouver pour ce chef d'oeuvre!

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