dimanche 8 juin 2008

Les trois reines myrrhes


Bien que son usage soit attesté en parfumerie depuis l’Égypte ancienne, la myrrhe n’a pas joué un grand rôle dans la parfumerie classique – bien qu’elle soit l’une des clés de voûte d’Opium, qui exacerbe ses notes de cannelle -- et elle est rarement mise en vedette dans les créations contemporaines. Guy Robert ne l’inclut pas dans la liste des « essentiels » destinés aux parfumeurs débutants (Les Sens du Parfum, éditions Eyrolles) ; elle ne figure pas non plus dans la palette de Jean-Claude Ellena (Que Sais-Je : Le Parfum, PUF).

Il s’agit pourtant d’un ingrédient fascinant et complexe, aux facettes de résine de pin (pinène), de cannelle (aldéhyde cinnamique), de cumin (aldéhyde cuminique), d’agrumes (limonène) et de clou de girofle (eugénol). La myrrhe est cependant d’une manipulation particulièrement difficile, car elle est à la fois très tenace et peu volatile : elle altère radicalement les compositions sans livrer beaucoup de sillage. Pour cette raison, les parfumeurs qui s’y sont intéressés sont ceux qui poussent leurs recherches hors des sentiers battus de la parfumerie classique, pour explorer ses racines orientales, quasi-archéologiques.



L’Eau Trois de Diptyque : la myrrhe-garrigue



Dès 1975, Diptyque propose L’Eau Trois, inspirée par les senteurs des montagnes du Nord de la Grèce : la myrrhe est mariée aux accords résineux et épicés de myrte, du ciste (dont est extrait le labdanum, l’un des substituts végétaux de l’ambre), du pin, du laurier, de l’origan, du thym et du romarin. On dit qu’au bord de l’Atlantique, c’est la mer qui sent, et qu’au bord de la Méditerranée, c’est la terre… Avec son odeur de pétrole en note de tête et ses puissants relents balsamiques, l’Eau Trois capte à la perfection les senteurs combustibles de la garrigue surchauffée, où l’on a l’impression qu’une simple allumette pourrait embraser des collines entières. C’est la myrrhe côté nature, un anti-parfum un peu âpre et médicinal, salubre comme une potion antique…
Mise à jour : Lorsque j'ai rédigé ce post, j'ignorais que L'Eau Trois faisait partie des produits retirés du marché par Diptyque. C'est dommage, et je présente mes excuses à ceux de mes lecteurs qui auraient été tentés de la découvrir.



La Myrrhe de Serge Lutens : un N°5 postmoderne



Paradoxalement, lorsque l’orientaliste Serge Lutens s’y attaque, c’est précisément en dépouillant la myrrhe de ses connotations exotiques. Quoiqu’il évoque explicitement, dans ses interviews, le mythe de Myrrha – la couleur rouge du jus évoquerait les larmes de la fille incestueuse transformée en arbre par des dieux compatissants – Lutens la modernise par une injection massive d’aldéhydes mandarine en notes de tête, qui accentue le composant « agrumes » de la myrrhe, rafraîchissent radicalement son côté balsamique et la fait vibrer sous une pluie de givre. Le santal, l’ambre et une base miel d’abeille réchauffent le fond de cette composition inattendue, qui joue sur une sensation de chaud-froid presque gustative, avec ses notes anisées. Du très grand Lutens-Sheldrake, sans doute l’un des parfums les plus étonnants d’une gamme qui recèle des chefs-d’œuvre, précisément parce qu’elle déjoue les attentes : là où l’on croyait découvrir une senteur d’Orient, on tombe sur une réécriture postmoderne de Chanel N°5…



Myrrhe Ardente d’Annick Goutal : l’aromate comestible



La Myrrhe Ardente d’Annick Goutal, présentée dans le cadre de sa nouvelle collection Les Orientalistes, se réfère plus explicitement aux traditions olfactives antiques : avec Ambre Fétiche et Encens Flamboyant, ce sont les cadeaux des Rois Mages à l’enfant Jésus (l’or, l’encens, la myrrhe) qui sont évoqués. Le coffret d’extraits proposé lors du lancement, qui reprend, sur les flacons, la première lettre des ingrédients pour former le mot « AME », indique d’ailleurs l’intention de la collection…
Myrrhe Ardente, adoucie des notes suaves de foin de la fève tonka et de celles, vanillées, du benjoin, sur un fond miellé un peu animal, n’a d’ardente que le nom : un facette anisée, sucrée fait pencher la composition vers la confiserie en ouverture. Le fond recèle un côté un peu fumé, boisé, commun à toute la gamme des Orientalistes. Des quatre parfums d’une collection pleinement réussie (s’y est ajouté récemment Musc Nomade), Myrrhe Ardente est sans doute le plus solaire, le plus enjoué et, à mon sens, le plus intéressant.

Remerciements à Octavian Sever Coifan (1000fragrances) qui m’a fait sentir la résine de myrrhe et expliqué son usage en parfumerie.

Image : Martial Raysse, Made in Japan, La grande odalisque (1964)

4 commentaires:

  1. Tres interessant! J'aime myrrhe beacoup.(et le Goutal est un tres beau parfum!)

    Mais pourquoi tu n'as pas apprecie La Myrrhe jusqu'a aujourd'hui? C'est un des parfums les plus fascinants dans la ligne Lutens, je trouve.

    Je l'aime a cause de sa douce nature, qui peut etre pettilante, mais subtile aussi. Je sais que tu es d'accord!

    Plus orientaliste odeur que No.5, pourtant, plus "gourmande" selon moi.

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  2. J'ai mis longtemps à apprécier La Myrrhe de Lutens tout simplement, je crois, parce que j'avais une aversion aux aldéhydes, qui m'est passée depuis. Je crois aussi que le côte "non-oriental" de ce Lutens me déconcertait. Je suis d'accord, c'est vraiment l'un des plus intéressants de la ligne, précisément pour cela. Et si je le rapproche du N°5, version postmoderne, c'est parce que Lutens et Sheldrake embarquent la myrrhe dans un avion à destination de Paris et vont la rhabiller rue Cambon!

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  3. Bonjour chère Denyse!
    Juste pour vous informer que j'ai acheté la semaine dernière L'Eau Trois, ainsi que L'Autre de Diptyque. Elle ne sont finalement pas retirées de la vente, mais juste disponibles dans les boutiques Diptyques, en format 100ml... Voilà!
    En tout cas, cete Eau Trois est fabuleuse, à la croisée des chemins entre Encens Avignon, et Bois d'Argent!

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  4. En effet, j'ai vu qu'ils ne les avaient finalement pas arrêtées. Plusieurs bougies ont d'ailleurs échappé au couperet aussi en fin de compte. Tant mieux.

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