lundi 15 décembre 2014

Potion de Néron... L'Incendiaire de Serge Lutens met le feu à Rome




Pourquoi ai-je emporté avec moi une miniature de L’Incendiaire lors de mon voyage à Rome ? Peut-être à cause de son nom, qui évoque l’empereur Néron accusé d’avoir allumé le grand incendie de Rome en l’an 64 de notre ère – dans un passionnant entretien accordé au quotidien suisse Le Temps, Serge Lutens déclare : « L’idée de brûler quelque chose c’est «suicider» une partie de soi-même. J’ai envie de faire table rase. Mais peut-on brûler le passé, le réduire en cendres? Tout brûler peut-être? Et puis partir, me sauver avec un petit sac, des cahiers… Me sauver même de ma maison au Maroc, de tout ce que j’ai construit. Car au fond, tout cela m’emprisonne. L’Incendiaire c’est cela. C’est quelqu’un qui veut se sauver, qui n’en peut plus, qui étouffe dans ce qu’il a. »

Ou alors, c’est parce que ce parfum archaïque m’évoquait les potions sombres et huileuses concoctées par les unguentarii ou les mélanges d’encens proposés par les thurarii aux citoyens d’un Empire romain enivrés de parfums jusqu’à l’extravagance…

L’Incendiaire, c’est ce que l’on gratte au fond de l’un de ces brûle-encens qui fument depuis des siècles sur les autels de la Ville Éternelle. La trace d’un sacrifice, cuirs et bois carbonisés, englués de résines crépitantes et de larmes d’encens, suitant la confiture caramélisée de prunes couleur de pourpre impériale. Un glacis miellé de roses. Une brume de muscs exhalés par la panthère de Bacchus…

Le nom de la nouvelle collection inaugurée par L’Incendiaire, la Section d’Or (une référence aux recherches des mathématiciens et des artistes sur le Nombre d’Or depuis l’antiquité), comporte une allusion à cette rupture désirée par Serge Lutens – « sectionner », c’est trancher. Rupture qui ne relève pas de l’olfactif puisque ce nouveau parfum reste imprégné de son vocabulaire. Mais rupture, certainement, avec une bonne part des amoureux du parfum puisque L’Incendiaire accuse une flambée des prix (450€) assez clivante… Rareté, cherté des ingrédients, présentation luxueuse dans un écrin tendu de tissu japonais : cette potion désormais adoptée par le maestro en personne, qui aurait mis sept ans à la créer, aurait fait hurler Pline l’Ancien qui déjà, dans son Histoire Naturelle, se plaignait du prix des parfums.

« Les parfums sont l'objet d'un luxe le plus inutile de tous. En effet, les perles et les pierres précieuses passent à l'héritier, les étoffes durent un certain temps; mais les parfums exhalent immédiatement l'odeur; et l'heure où on les porte les a dissipés (…) Ils se vendent plus de 40 deniers la livre. Voilà ce que coûte le plaisir d'autrui ; car celui qui porte une odeur ne la sent pas lui-même. »

C’est pourtant enveloppée dans ce sillage hors de prix et hors d’âge que j’ai erré des ruines du temple d’Isis, près de l’appartement de mes amis, jusqu’à la Galerie Borghèse où nous avons tournoyé autour des statues du Bernin, avant de baigner dans la lueur dorée des mosaïques byzantines de Santa Maria del Trastevere…

L’Incendiaire m’a suivie dans le jardin imaginaire de l’impératrice Livie, épouse d’Auguste. Les fresques du triniclium de la Villa Livia, salle à manger souterraine utilisée en temps de canicule, sont désormais exposées dans le Palazzo Massimo alle Terme, l’un des bâtiments du Musée National de Rome. Ces images oniriques de plantes liées aux mythes et aux parfums antiques – rose, violette, iris, myrte, laurier – ne se rattachent à L’Incendiaire que par cette anecdote. Mais j’ai eu envie d’en partager certaines, parce que pour moi, ce parfum pyromane est désormais romain…


7 commentaires:

  1. J'aime cette idée de se débarrasser du passé, faut faire table rase, il n'y a rien dans le passé. La seule chose de sûre et de vraie, nous allons tous mourir!
    Cela dit, rupture totale sur le plan olfactif, j'y vois plus Laine de verre, L'incendiaire reprend bien les codes maison déjà connus; prune, cognac, bois, cuir, encens...certes autour de matières premières exceptionnelles.
    Pour le prix, effectivement çà ne s'adresse pas à la clientèle Monoprix, mais à prix égal, choisir entre Le Muguet de Guerlain ou L'incendiaire, pour moi la question ne se pose même pas.


    Emma

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    1. Je suis d'accord, L'Incendiaire n'est pas une table rase olfactive mais plutôt une quintessence du style Lutens. Cela dit, moi qui fais mes courses chez Monoprix (qui n'est pas la moins chère des épiceries), je trouve le prix un peu raide tout de même !

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  2. En même temps, L'incendiaire c'est un peu tout Lutens en un, ce qui est loin d'être le cas pour un Mademoiselle Guerlain à 300 dollars ou le Muguet à 600 ...et puis justement je regardais le profil de nanas sur BT qui se plaignaient des prix de certaines marques exclusives, alors en tout cas, elles ont du fric pour s'acheter toute la série des flankers Trésor Midnight Rose, Dior Addict, Miss Dior Chérie, La Petite Robe Noire de Guerlain (quoique le Couture après une heure est pas si mal que ça), Alien de Mugler et Narciso Rodriguez for Her!

    Au fait, j'ai enfin reçu des compliments avec La Panthère de Cartier, non pas que je cherche à plaire, mais je tiens beaucoup à ce parfum, donc ça fait toujours plaisir.

    Emma

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    1. Certes, mais enfin, ça n'est pas la même clientèle, ou alors je ne comprends plus rien ! Et je comprends très bien ton bonheur, pour La Panthère -- moi aussi ça me fait très plaisir qu'on aime ce que j'admire !

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  3. Toute cette mise en scène a, en sous entendu, une vague odeur de terrorisme...

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    1. Euh... vous parlez de la mienne ou de celle de M. Lutens? Dans mon cas, je ne sous-entendais rien.

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