Plus une marque dépense pour doter son produit d’un
visage célèbre, moins elle semble croire en son parfum : tout se passe comme si
c’était à l’aura de la star, à sa célébrité et aux personnages qu’elle entraîne
dans son sillage de suppléer à la personnalité d’un jus créé en comité.
Chez Robert Piguet, le processus est inversé puisque
c’est en découvrant qu’Isabelle Huppert portait Fracas que la marque a demandé
à la star d’incarner une édition limitée de la pétroleuse de Germaine Cellier,
comme l’actrice l’explique dans le numéro de septembre de Vogue France, relooké par Emmanuelle Alt qui en a pris les rênes l’an
dernier.
De la garce sexy exquisément venimeuse à Médée, Isabelle
Huppert est sans doute capable de tout jouer.
Et pourtant, cette actrice de génie a également le don de se mettre absolument
en retrait lorsqu’elle le souhaite : je l’ai aperçue plus d’une fois en
public, dans des cinémas et des théâtres. Quasiment personne ne la reconnaît. Dans
l’interview qu’elle accorde à Nelly Kaprièlian dans Vogue, elle éclaire d’une lumière oblique cette aptitude étonnante,
lorsqu’elle est interrogée sur le rôle que jouent le style et le parfum dans la
création de ses personnages et dans sa vie :
« Autant pour un rôle au cinéma,
tout est défini, et le style permet d’approcher, sommairement d’abord puis de
façon plus définitive, les contours d’un personnage. Alors que pour moi, dans la vie, tout est
possible, tout est d’ailleurs tellement possible que cela peut devenir une
source d’angoisse. C’est quelque chose
qui renvoie plutôt à une forme de non-existence que d’existence. Là où je suis
définie, c’est dans les films, là où je ne suis pas définie, c’est dans la vie. »
Ce qui rend son choix de Fracas d’autant plus
énigmatique. Cette diva olfactive est incapable de passer inaperçue, et le plus
souvent, ce sont des personnalités flamboyantes qui l’arborent, de Madonna au
mannequin Sophie Dahl en passant par la regrettée Isabella Blow, styliste, découvreuse
et égérie d’Alexander McQueen. Isabelle Hupert raconte à Nelly Kaprièlian qu’elle
a découvert Fracas sur une amie, et l’a longtemps acheté aux USA car il n’était
pas encore disponible en France : « C’est un parfum très particulier, rare, assorti d’une aura mystérieuse
qui crée une sorte de connivence entre ceux qui le connaissent et l’aiment. »
Avec sa sensibilité exacerbée aux nuances et aux complexités
de ce qui définit une personnalité, couplée au sentiment de vacuité que peut
ressentir un acteur entre deux rôles, il est possible qu’Isabelle Huppert
éprouve plus vivement encore que la plupart d’entre nous la puissance d’ancrage
que peut représenter le parfum. La présence surdimensionnée de Fracas
répond-elle à son angoisse de « non-existence » ? Le parfum est
comme la lettre volée de la nouvelle de Poe : il nous dupe en nous faisant
croire que son message inconscient – le message qu’adresse notre inconscient au
monde via son sillage – restera dissimulé alors que tout le monde l’a sous le
nez. En rejoignant la flamboyante communauté des femmes-Fracas, Isabelle
Huppert permettrait-elle à l’érotisme tantôt innocent, tantôt vénéneux qu’elle
prête à plusieurs de ses personnages d’affleurer dans sa vie quotidienne, de l’envelopper
de son aura ?
C’est après avoir lu dans certaines interviews qu’Isabelle
Huppert portait Fracas que les parfums Robert Piguet l’ont sollicitée pour
collaborer à une édition limitée dans un flacon spécialement dessiné. Pour une
fois, le couple star et parfum prend un sens. L’aspect le plus séduisant de
cette opération étant sans doute les indices qu’il livre sur l'énigme qu'Isabelle Huppert semble être à elle-même...
ayant eu envie, vraiment envie d'aimer Fracas, j'ai vainement essayé. le parfum reste malheureusement trop écoeurant (comme un gâteau de qualité mais tout de même trop sucré pourrait l'être) pour mon goût.
RépondreSupprimerje suis effectivement perplexe du choix d'Isabelle Huppert qu'on imagine porter quelque chose de plus sobre. comme vous dites, cela révèle quelque chose d'elle. tout de même, le nom du parfum lui va bien je trouve.
je suis admirative et de ses qualités d'actrice et de sa beauté.
c'est une excellente idée de demander aux belles stars d'être embassadrices de leur propre parfum...
Columbine, c'est curieux, tout de même, non, ce besoin qu'on a d'aimer un parfum dont tout nous séduit: son histoire, son aura, son nom... etc.
RépondreSupprimerJe suppose qu'Isabelle Huppert ne s'en tient pas forcément qu'à Fracas? Dans ce hiatus entre la personne telle qu'on la voit et un parfum qu'on ne voyait pas sur elle, quel est le message le plus authentique? Ce parfume "qui ne colle pas", c'est peut-être une part invisible d'elle qui parle? Voilà ce que je trouve le plus fascinant...
Fracas est un parfum à mystères.
RépondreSupprimerEt selon comment on le dose, c'est le plus beau des fleuris, ou un coup de massue derrière la nuque.
C'est pas mal, le mystère, c'est plaire sans lasser.
Anonyme, c'est très joliment formulé... alors ayons le Fracas léger!
RépondreSupprimerJe me rappelle d'un interview, où Isabelle Huppert disais qu'elle portais Mitsouko. Moi, je la vois dans Mitsouko, Jicki et Vol de Nuit ou dans un parfum de la collection Signature de Mona Di Orio. En tout cas, ce doit être un parfum complexe, intellectuel et charnel. Mais après, dans sa vie privée, je pense qu'elle est comme nous tous, elle suis ses inspirations du jour...
RépondreSupprimerPivoine, côté anglophone un internaute disait avoir vu L'Heure Bleue dans sa loge. Mitsouko tombe sous le sens aussi. Guerlain, c'est un incontournable dans notre culture! Qu'Isabelle Huppert ait plusieurs registres, ça ne m'étonne absolument pas.
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